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France : Laïcité à la française

Vers un totalitarisme “français”, “laïque” et “républicain” ? (3)

Vers un totalitarisme “français”, “laïque” et “républicain” ? (3)

D’un lecteur, Thomas Jane :

Nous proposons ici tout d’abord quelques éléments de réponse à deux questions soulevées par nos précédents articles (premier article ; deuxième article).

Et nous reprenons une citation très profonde du Cardinal de Richelieu, indiquée en commentaire :

« Le Règne de Dieu est le principe du gouvernement des Etats, et c’est une chose si absolument nécessaire que, sans ce fondement, il n’y a point de prince qui puisse bien régner ni d’Etat qui puisse être heureux.»

Dans cet esprit, nous établirons dans une troisième section que pour être vraiment laïc, l’état doit être chrétien.

  1. Nous demandions avec inquiétude dans notre deuxième article « ce que peut un homme seul, ou une minorité, même « consistante™», face à la souveraineté absolue du Peuple revendiquée si ardemment par nos Républicains, ou tout simplement face à une majorité manipulée avec astuce ?»

Il va sans dire qu’il est deux façons de manipuler une majorité : l’amener à soutenir telle idée, tel projet, telle réforme, tel parti, tel homme ; ou encore la distraire, l’occuper, pour qu’elle ne prenne jamais conscience qu’elle n’exerce jamais aucun pouvoir : que les institutions soient biaisées, ou que le pays soit fracturé et aux mains d’une majorité relative ou de gouvernement qui n’est qu’une éternelle minorité réelle.

Pour ne faire de peine à personne, nous ne chercherons pas à établir combien d’hommes (ou de femmes !) politiques en France sur les 30 dernières années ont exercé un mandat politique avec la majorité du corps électoral correspondant.

  1. Comment comprendre l’appel du pape François à des « prophètes de sainteté, qui s’engagent dans les affaires publiques, sans crainte de se salir les mains » ?

Il est certain que ce n’est pas un appel à renier les exigences de la vérité ni les appels de sa conscience : il ne s’agit de renier ni Dieu, ni soi-même (il s’agit bien de vivre, choisir, agir par égards pour Dieu en soi-même).

Il est certain que ce n’est pas non plus un appel au laisser-aller, et moins encore à la négligence : le chrétien en politique est davantage exposé aux petits pièges ordinaires entre amis politiques (épines derrière les roses ; peaux de banane ; ciseaux à bois dans le dos ; cadeaux ou avantages qui deviennent compromission et moyen de pression ; faiblesse repérée, notée, et utilisée pour faire chanter : même sans faire d’erreur, chacun est vulnérable par ce(ux) à quoi il est attaché…). Le chrétien en politique est donc appelé à une vigilance particulière, et à solliciter avec infiniment d’ardeur le Secours divin et le Conseil de l’Esprit Saint. Il doit en outre être conscient qu’il devient d’autant plus « dangereux » et donc à « abattre » qu’il est réellement libre.

Voilà pour ce que « se salir les mains » ne doit pas être. Il me semble que dans ce propos, le pape François veut évoquer deux niveaux, et le camarade Socrate, un troisième en plus.

Le premier niveau est de l’ordre de la lucidité sur la condition de l’homme, sur lequel Socrate, François, Saint Thomas et Saint Louis sont d’accord : les hommes sont pécheurs, les structures viciées – d’autant plus difficiles à rectifier un tant soit peu qu’elles sont complexes – et les moyens, toujours limités et dérisoires. Il faut s’engager en politique en ayant conscience que l’on a le devoir d’agir aussi bien que possible, mais qu’en réalité rien ne saurait être intégralement droit et juste, et même suffisant.

La politique, par définition, fixe et cap et même arbitre entre des nécessités vitales : la paix et la sécurité, l’alimentation, la santé et le soin des malades, l’éducation et l’économie pour préparer l’avenir, l’assistance publique aux pauvres et déshérités (parmi lesquels il serait injuste de refuser totalementd’inclure la catégorie des ‘migrants’), par exemple.

Et à chaque fois, il y a des sacrifices. La doctrine sociale de l’Eglise recommande par exemple que les dirigeants suscitent les conditions permettant à chaque famille d’avoir une maison, un lopin de terre, et un travail. Ceci est très beau, serait sans doute très fécond (et est très éloigné de la direction prise par notre société). Renverser le mouvement actuel – choisir de donner à chaque famille une maison, un jardin, et un travail – n’est pas de soi « impossible », surtout avec les nouveaux moyens de travail délocalisé. Mais cela demande des investissements, une ligne suivie sur une longue durée, et donc des sacrifices sur d’autres postes – au moins transitoires… si tant est qu’au bout du chemin on en récolte des fruits ! Imaginons ce qu’il en serait si l’on devait choisir entre reconstruire et soigner…

Le deuxième niveau est celui de la prudence et de la sagesse politiques– sur lequel là encore, Socrate, François, Saint Thomas d’Aquin, Saint Louis sont d’accord : il faut s’engager dans les affaires publiques en pensant non corriger tout mal, ni même en l’espérant, mais en ayant conscience que l’on aura le devoir même d’organiser le mal qui ne pourra être éradiqué.

Le meilleur exemple en reste l’organisation des maisons closes par Saint Louis, fondée en vérité et justice par Saint Thomas d’Aquin : il est des maux à tolérer pour éviter des désordres plus grands, et en même temps pour ménager à l’homme bon un juste espace de liberté – plaidoyer net contre le totalitarisme, en particulier la police de la vertuqui par son excès de rigueur contraint trop et empêche beaucoup de bien d’advenir (relire Michel Villey).

Le troisième niveau, celui de la fuite courageuse et vertueuse face au martyre, est hors du champ du propos du pape François. Mais Socrate est parfaitement d’accord avec Saint Thomas More : il faut tout faire pour éviter d’être acculé au martyre. Pour Socrate, il est des types d’âmes si droites (et si fragiles d’être droites) qu’elles ne sauraient s’engager n’importe comment dans la vie publique sans être totalement broyées, brisées, ou même éliminées, et celles-ci doivent agir avec la plus grande prudence, et s’écarter radicalement de la conduite des affaires publiques.

  1. Pour être vraiment laïc, l’état doit être chrétien

Nous commencerons par établir le devoir pour l’état laïc d’être chrétien.

Puis nous établirons l’impossibilité pour l’état d’être vraiment laïc sans être chrétien.

Enfin, nous rappellerons la doctrine de Saint Thomas d’Aquin sur la consistance de l’ordre temporel.

    1. L’état doit être chrétien

Le Christ commande « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu ».

Or ce commandement universel vaut pour César, qui à l’époque du Christ incarnait le pouvoir politique.

Donc César a à rendre un culte à Dieu, comme homme privé toujours, comme homme public selon des modalités variables avec les temps et les lieux.

De plus, il faut non séparer le temporel du spirituel, mais distinguer les deux ordres distincts dans lesquels tous les hommes sont totalement plongés : la vie temporelle préparant la Vie éternelle. Ce n’est pas ‘à l’état, le temporel ; à l’Eglise, le spirituel’(distinction et non séparation qui anime la vie même de l’Eglise, où ce n’est pas plus ‘aux laïcs, le temporel ; aux clercs, le spirituel’).

En effet, on ne peut convenablement administrer les affaires temporelles que dans une perspective spirituelle.

Le matérialisme idolâtrique de la classe, de la race, ou aujourd’hui de la crasse, est fondamentalement incapable de proposer un avenir, car pour envisager l’avenir, il faut lever les yeux au loin, au ciel, vers l’invisible.

Inversement, insiste Benoît XVI, on n’a de juste perspective spirituelle qu’incarnée, à l’image et à la ressemblance du Christ, Dieu fait homme.

Chez les moines du premier millénaire, par exemple, qui ont façonné l’Europe socialement, culturellement et même politiquement, ce fruit temporel a été un surcroît de fécondité de leur engagement spirituel à la louange de Dieu avant tout. Mais ce fruit a été réel, et possible, parce qu’ils ne se sont pas retranchés derrière leurs murailles en refusant tout lien avec le monde, en se fermant à lui. Les Pères du désert, les chartreux, les ermites, n’ont jamais été fermés au monde : leur lien à celui-ci pouvait et peut encore être extrêmement ténu, il n’en est pas moins essentiel à leur vocation, intrinsèque à leur condition humaine, indispensable à leur unité-même.

2. L’Etat ne peut être vraiment laïc sans être chrétien

La limite de l’obéissance à l’Etat, rappelait le pape François, est l’obéissance à Dieu.

(Le pape François ne fait là que transposer au domaine politique les mots de Pierre et des Apôtres aux Chefs déchus de l’Ancien Israël déchu : « Il vaut mieux obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes. »)

Or le Dessein d’Amour de Dieu n’est le plus largement connu et intégré que par l’Eglise. Par conséquent, l’Etat ne peut donner une place suffisante au Dessein providentiel de Dieu qu’en reconnaissant le rôle éminent et irremplaçable de l’Eglise.

L’apologétique des premiers chrétiens le disait déjà : rien n’est objectivement plus utile à l’Etat que l’Eglise, car l’Etat ne trouve jamais meilleurs serviteurs que chrétiens. Il serait donc logique, Etat, que tu soutiennes tes meilleurs alliés.

Il est vrai qu’à cette époque, on se souvenait que les Apôtres avaient recommandé d’obéir aux maîtres, mêmes mauvais, à l’Empereur, même persécuteur – et de prier pour eux – et de les gagner par la sainteté d’une vie en tous points exemplaire.

De plus, il est certain que seul le christianisme est capable de reconnaître la légitimité, de discerner le fond de vérité, et de donner la place due à la la vie, la philosophie et la spiritualité de chaque homme.

3. Consistance de l’ordre temporel selon la doctrine de Saint Thomas d’Aquin

Nous donnons ici de larges citations du R.P. François Daguet o.p. (Province de Toulouse), qui a publié en 2016 un remarquable Du politique chez Thomas d’Aquin.

Le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel procèdent tous deux du pouvoir divin, et ainsi le pouvoir temporel est soumis au spirituel en tant qu’il lui est subordonné par Dieu, c’est-à-dire en tout ce qui se rapporte au salut de l’âme. En ce sens, il vaut mieux obéir au pouvoir spirituel qu’au temporel. Mais pour ce qui se rapporte au bien public, il vaut mieux obéir au pouvoir temporel qu’au spirituel, selon Mt 22, 21 : « Rendez à César ce qui est à César ». [II Sent., dist. 44, a. 3] Pour Thomas, donc, la règle générale est que l’autorité temporelle n’est soumise à l’autorité spirituelle que lorsque le salut des âmes est en cause ; en revanche, lorsqu’il s’agit d’honorer le bien public, ou bien commun naturel, c’est l’autorité temporelle qui prime.

Dans ces conditions, il faut reconnaître la réalité de deux sphères de pouvoir ici-bas, l’une relevant de l’ordre naturel – c’est la sphère civile-, l’autre de l’ordre surnaturel déjà présent sur terre – c’est la sphère ecclésiastique. Chacune a un domaine propre de compétence: de même qu’il appartient aux princes séculiers d’édicter des lois précisant le droit naturel en ce qui concerne le bien commun dans le domaine temporel, de même il appartient aux prélats ecclésiastiques de prescrire par des décrets ce qui regarde le bien commun des fidèles dans le domaine spirituel. [IIa-IIae q. 147 a. 3] Pour Thomas, l’ordre temporel relève radicalement de la vertu de justice, l’ordre spirituel des dons de la grâce : vertus théologales et morales infuses et dons du Saint-Esprit. Celui-ci ne disqualifie pas celui-là, c’est un principe constant chez lui: “Le droit divin qui vient de la grâce ne supprime pas le droit humain qui vient de la raison naturelle» (II-II, q. 10, a. 10).

Le Droit, le Juste, la Loi, s’ils sont véritablement conformes à la raison et donc au Bien (Vérité et Amour, Vérité de l’Amour, Amour vrai) ne sauraient être contraires à la Révélation. La Révélation permet tout au plus de les éclairer, les assurer, les dilater.

Ces citations sont tirées de cet article.

Conclusion

Nous conclurons par de brèves indications sur un dernier chaînon de raisonnement : l’Etat doit être laïc et chrétien.

Le dimanche de la Passion 14 mars 1937, Pie XI relevait dans l’encyclique Mit brennender Sorge que

« Le croyant [indéterminé générique] a un droit inaliénable à professer sa foi et à la vivre comme elle veut être vécue. Des lois qui étouffent ou rendent difficile la profession et la pratique de cette foi [indéterminé générique] sont en contradiction avec le droit naturel. »

Pie XI ne vise pas ici seulement un droit des catholiques, il ajoute en effet :

« Des parents sérieux, conscients de leur devoir d’éducateurs, ont un droit primordial à régler l’éducation des enfants que Dieu leur a donnés, dans l’esprit de leur foi [indéterminé générique], en accord avec ses principes et ses prescriptions. Des lois ou d’autres mesures qui éliminent dans les questions scolaires cette libre volonté des parents, fondée sur le Droit Naturel ou qui la rendent inefficace par la menace ou la contrainte, sont en contradiction avec le Droit Naturel et sont foncièrement immorales. »

Il s’agit bien d’un droit naturel, qu’a toute homme, toute famille, de professer, vivre, et transmettre à ses enfants « sa foi », et non seulement la foi catholique. L’absence délibérée de précision (droit pour « les catholiques », professer, vivre, transmettre « la foi catholique ») suffit déjà à le prouver. Mais le mouvement de l’encyclique le confirme, puisque les paragraphes suivants s’adressent à l’Eglise (jeunesse, prêtres et religieux, laïcs).

Ceci n’est pas contradictoire avec la condamnation de la séparation de l’Eglise et de l’Etat (par exemple : Saint Pie X, Vehementer nos), et moins encore de l’indifférentisme religieux (par exemple : Pie XI, Mortalium animos).

D’une part, faisons à Pie XI la grâce de ne pas le prendre pour schizophrène, incohérent, ou apostat.

D’autre part, faisons à Dieu la grâce de croire que l’Eglise ne saurait se contredire.

Reconnaissons simplement que le contexte des années 30 a été très éclairant.

Le Christ, l’Eglise, les papes donnent les principes généraux que nous avons rappelés, qui sont susceptibles de modalités d’application très diverses : des contextes de persécutions les plus vives (premiers siècles ; Révolution française ; Vietnam ; Chine), à la plus large unité dans la Foi (France de Saint Louis et Europe de Chrétienté), en passant par la féodalité, les diverses Républiques (celle de Venise et de Sienne… et même la “République” française).

L’espoir demeure vif. La conviction et la leçon commune de l’Histoire Sainte et de la Théologie politique chrétienne – des Prophètes à la Cité de Dieuaugustinienne, par exemple – est que Dieu règne, y compris dans le social, politique, géopolitique. Il règne réellement, y compris chez les hommes, les peuples, les structures qui prétendent se passer de Lui et Le chasser : les Livres historiques et prophétiques ne cessent d’en témoigner.

« Oui, pour le Seigneur de l’univers, il y aura un jour contre tout orgueil et toute prétention,

contre tout ce qui s’élève et sera abaissé,

contre tous les cèdres du Liban, prétentieux et altiers,

contre tous les chênes du Bashane,

contre toute haute montagne, et toute colline élevée,

contre toutes les tours arrogantes, et tout rempart fortifié,

contre tout vaisseau de Tarsis, et tout navire de grand prix.

L’arrogance des humains sera humiliée ; la prétention des hommes sera abaissée.

Seul le Seigneur sera exalté en ce jour-là. »

(Is 2,12-18)

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