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Environnement

Transition électrique : un R.I.C. pour (re)définir la politique gouvernementale ?

Transition électrique : un R.I.C. pour (re)définir la politique gouvernementale ?

Que connaissons-nous vraiment des fondamentaux d’une politique de transition écologique appliquée à la production d’électricité en France ? Au-delà de quelques clichés comme les 50% d’électricité nucléaire décrétés par un François Hollande dont la compétence technique n’était pas le plus grand des talents…, de la fermeture annoncée de la centrale de Fessenheim et des mantras débités au profit du photovoltaïque et des éoliennes ?

Le Numéro de janvier 2019 d’une série des Annales des Mines, Responsabilité et environnement est consacré plus qu’utilement à L’économie du nouveau mix électrique.

Deux types d’auteurs ont été sollicités pour ses différents articles : des profils ingénieurs/chercheurs et deux représentants des industriels engagés dans les nouvelles technologies intermittentes. Nous reviendrons plus loin sur ces derniers. Concentrons-nous dans un premier temps sur les premiers en commençant par l’introduction qui dresse le décor :

« Vous avez dit transition énergétique, transition électrique ? Depuis quelques années, ce concept fait florès. Pour pouvoir parler de transition, l’on devrait être capable de répondre aux questions suivantes : pourquoi a-t-on besoin d’une transition énergétique et électrique ? Vers quel nouvel état veut-on aller et pourquoi ? Comment y va-t-on ? Avec quels moyens ? A quel rythme ? Quel coût la société est-elle prête à consentir pour y parvenir. Et là les choses deviennent beaucoup plus confuses…. Et pourtant la politique énergétique a un impérieux besoin de cohérence et de constance, particulièrement dans le domaine de l’électricité où les investissements relèvent bien plus qu’ailleurs du temps long » (F.Dambrine, ingénieur général des Mines, p.4)

Pour tenter une synthèse des différents articles, nous proposons quatre parties :

  • le rappel de quelques fondamentaux, définitions et présupposés ;
  • les caractéristiques majeures de l’intervention du politique dans un débat technique ;
  • le soutien au politique des industriels concernés par les technologies intermittentes;
  • le questionnement sur des insuffisances lourdes dans la définition de la politique gouvernementale française.

De quelques fondamentaux, définitions, ordres de grandeur et autres présupposés

Beaucoup de choses peuvent porter à confusion. Songez par exemple à la différence entre énergie et électricité ; entre les unités de mesure (le Mtep ou Million de tonnes équivalent pétrole qui permet une consolidation des différentes sources d’énergie ; les productions électriques –MWh- et les puissances installées –MW, TW…) ; entre consommation primaire d’énergie (248 Mtep pour la France en 2017) et la consommation finale d’énergie (154 Mtep pour la France en 2017) ; dans le domaine de l’électricité, entre capacité installée et part dans la production (l’électricité d’origine nucléaire en France en 2017 représentait 48,5% de la capacité installée et 72% de la production)…

Un peu naïvement sans doute, on attendait du seul article de la revue fourni par le Ministère de la Transition écologique et solidaire intitulé Bilan énergétique de la France métropolitaine en 2017 – Données provisoires un tableau clair. On a été un peu déçu : il est plutôt confus. On retrouvera cependant sa version actualisée pour 2018 à l’adresse internet suivante.

On recommande par contre, pour une présentation complémentaire la brochure Chiffres clés de l’énergie édition de 2018 éditée par le Commissariat général au développement durable et qui fournit des données claires.

Tout raisonnement fait appel à des présupposés. Retenons en cinq qui devraient faire à peu près consensus.

  1. Le premier est qu’à l’évidence, les ressources énergétiques existent pour satisfaire l’augmentation de la demande mondiale en électricité dans les décennies qui viennent (p.5).
  2. Le deuxième est que, pour des raisons d’ordre climatique et scientifique dont nous ne discuterons pas ici le bienfondé, les économies mondiales doivent rechercher la diminution aussi drastique que possible de l’émission de CO2 dans l’atmosphère.
  3. Le troisième, qui en est la conséquence directe, est que l’économie française, comme toutes les économies mondiales, doit mettre en œuvre une transition énergétique.
  4. Le quatrième est que, dans le cadre de cette transition énergétique, l’électricité est vouée à jouer un rôle central, à la condition qu’elle soit « bas-carbone » (émettant peu ou pas de CO2).
  5. Le cinquième est que nous devons aussi être attentifs à une utilisation optimale des ressources énergétiques et électriques, pour diminuer l’énergie consommée par unité de richesse produite.

Tous ces présupposés aboutissent à une conclusion : il faut mener à bien une transition électrique pour arriver à un nouveau mix électrique. (On aura remarqué qu’un présupposé très présent dans les discours politiques n’a pas été ici pris en compte : c’est celui de la sortie du nucléaire. « La production d’électricité nucléaire est parfaitement adaptée aux objectifs climatiques qui sont les grands leviers de décision pour l’action pour une transition énergétique ».)

Il faut donc ensuite différencier les types de sources d’électricité. Les trois qualificatifs majeurs sont pilotables, renouvelables (EnR = énergies renouvelables) et carbonées. Il faut privilégier les sources d’électricité bas-carbone, renouvelables tout en gardant des installations pilotables.

En effet, ce qui est pilotable, c’est la puissance. Les installations non pilotables (éolien et photo-voltaïque) peuvent seulement servir à effacer les installations pilotables quand les conditions météorologiques le permettent car elles sont intermittentes (EnRi). Un article donne deux exemples de variation de la puissance électrique fournie par les EnRi : la puissance fournie par l’ensemble des éoliennes en France sur quelques jours de septembre 2017 a varié d’un facteur de 1 à 48 ; pour le photovoltaïque, sur deux jours consécutifs et à la même heure, le rapport de puissance fournie a varié de 1 à 2,5.

Ces variations fondamentales sont représentées par ce que M.Dambrine appelle les monotones, à comprendre comme la puissance produite (en pourcentage par rapport à la puissance nominale) sur l’ensemble d’une année. On voit que le pourcentage pour l’énergie nucléaire ne baisse pas en-dessous de 50%, alors que pour l’énergie solaire et l’énergie éolienne, la puissance produite n’est déjà plus qu’à 30% de la puissance nominale pendant 75% du temps !

(Source : Fabrice Dambrine, Analyse micro-économique de l’intégration des EnR électriques intermittentes dans un système de production électrique, p.9)

Un aspect associé à la caractéristique « pilotable » d’une source d’énergie électrique est son apport à l’inertie du système électrique. Le système électrique dans son ensemble (production, distribution, consommation) doit maintenir une certaine inertie pour être capable d’absorber un choc dans l’équilibre production-consommation sans que les variations de fréquence ne soient trop importantes. Les installations éoliennes et photovoltaïques ne contribuent pas à l’inertie du système. Leur déploiement massif réduit donc l’inertie totale, ce qui est susceptible d’avoir un impact sur la sécurité d’alimentation électrique. Il est estimé qu’au-delà d’un taux de pénétration de 10 à 15%, le recours au solaire et à l’éolien pose des problèmes d’équilibrage du réseau, nécessitant alors de faire appel à des techniques complémentaires (et donc des coûts associés) de stockage et de gestion de la demande.

  • Les EnR pilotables sont la biomasse, les déchets renouvelables, la géothermie (pompes à chaleur), l’énergie hydraulique. Les EnRi sont le solaire et l’éolien.
  • Les sources d’électricité bas-carbone sont les EnR, pilotables ou non, et l’énergie nucléaire.
  • Les sources d’électricité pilotables (mais sans être renouvelables) sont le nucléaire, le gaz, le charbon.

Au final, l’énergie nucléaire fournit en France environ 72% de la production électrique ; l’hydraulique environ 12% ; l’éolien 4% ; le photovoltaïque moins de 2% (voir croquis en valeur absolue). Au total, les EnR (pilotable et non-pilotables) ont fourni environ 17% (chiffres de 2017).

La question du stockage est abordée à l’occasion d’un article intitulé Le stockage de l’électricité : la  solution à l’intégration des EnR intermittentes ?  Retenons sur ce point une conclusion très mitigée : « La valeur économique du service rendu par une installation de stockage est délicate à évaluer… Le stockage électrochimique d’électricité n’est pas à ce jour une solution économiquement rentable ». De plus, des mesures prises par la Commission européenne rendent la question d’un statut des futurs opérateurs de stockage confuse. Et au surplus, une partie de l’article détaille spécifiquement le coût environnemental de fabrication des cellules d’une batterie Li-ion (technologie apparemment la plus prometteuse- au détail près ( !) du monopole chinois sur les matériaux nécessaires à leur fabrication, lithium et cobalt) : « Si la batterie d’un véhicule électrique est fabriquée en Chine dont le mix électrique est très carboné, les émissions de CO2 sont alors équivalentes à celles d’un véhicule thermique d’un modèle similaire ayant parcouru plus de 50 000 km » ! Au final, la technologie la plus fréquemment utilisée pour le stockage d’électricité est ce qui est appelé STEP (Stations de transfert d’énergie par pompage, utilisant l’hydroélectricité) : soit 98% des puissances installées au niveau mondial.

La question des prix de revient à la production. C’est bien sûr un aspect majeur pour anticiper un déploiement d’EnR et en particulier les EnRi.

Les prix qui sont souvent communiqués (pour démontrer par exemple la baisse tendancielle des prix de l’électricité d’origine éolienne ou photo-voltaïque) sont appelés prix LCOE : Levelized Cost of Energy, ou coût moyen actualisé, par MWh.

Donnons des ordres de grandeur : le LCOE actuel pour l’éolien onshore est estimé à 60 à 80€/MWh ; pour le photovoltaïque sur très grandes surface : 30 à 80€ ; pour l’éolienoffshoreou le  photovoltaïque de petites toitures : 150€. Rappelons que prix de production pour une centrale au gaz varie entre 60 et 75 €/MWh. Les estimations pour le nucléaire sont extrêmement variables selon les éléments pris en compte (prolongation, coût marginal, nouvelle technologie EPR, coûts de fermeture) et varient disons de 40 à 110 €/MWh.

Jean-Pierre Hauet dans son article Les énergies intermittentes : jusqu’où ?pointe « l’erreur fréquemment commise d’utiliser le LCOE pour comparer directement entre elles les différentes filières et de conclure par exemple que l’éolien est devenu plus compétitif que le nucléaire ». Pour l’auteur, deux autres facteurs doivent être pris en considération :  l’ensemble des coûts d’une part, une décotefonction d’une réelle valeur économique d’autre part.

  • Curieusement, on s’aperçoit que le LCOE à un instant t, pour une technique et une région données, croissent avec le taux de pénétration de la filière considérée sous l’effet de plusieurs facteurs, contrairement à ce qui aurait pu être anticipé (on se rappelle l’impact sur l’inertie du réseau des EnRi, avec l’obligation d’accroître plus que proportionnellement des infrastructures de stockage et de gestion de la demande globale).
  • Il faut aussi comparer le LCOE avec ce que l’auteur appelle la valeur économique des MWh produits. Cette valeur est difficile à calculer. L’auteur décrit, assez empiriquement, les trois décotes qu’il faut appliquer aux EnRi pour l’approcher :« décote liée à la variabilité temporelle conduisant en particulier à prendre des mesures de secours ; décote liée aux aléas de prédictibilité, conduisant à prendre des marges de sécurité accrues ; décote liée à la non-concordance entre les lieux de production et ceux de consommation ». Ainsi, une étude d’EDF R&D en 2016 a montré qu’une hypothèse de 40% d’éolien et de photovoltaïque dans le système électrique européen nécessiterait, pour remplacer 160 GW des moyens de production actuels,  le développement de 700 GW d’éolien et de photovoltaïque (soit quatre fois plus, ce qui corrobore d’ailleurs l’ordre de grandeur desmonotones décrit plus haut !) et entrainerait dans le même temps une augmentation des besoins en back up de 68 GW !(p.29)

L’intervention du politique

Les trois objectifs d’une politique énergétique appliquée à l’électricité sont la sécurité d’approvisionnement (et d’accès à l’électricité au moment voulu), l’accès à l’électricité à un coût raisonnable et la protection de l’environnement (décarboner l’économie).

L’expression de cette politique économique passe par la définition de multiples objectifs, parfois embarqués dans des lois. Retenons les plus représentatifs et structurants :

  • Pour ce qui concerne la réduction de la consommation énergétique, passer de 165 Mtep en 2012 à 131 Mtep en 2030 (voire réduire de 50% en 2050, soit 83 Mtep).
  • Pour ce qui concerne la « neutralité carbone » (que nous ne discuterons pas ici), l’objectif est de l’atteindre en 2050.
  • Pour ce qui est la place des EnR : objectif de 40% de la production d’électricité dont 27% pour les EnRi en 2030 (rappel : les EnRi fournissent actuellement 6% de la production d’électricité en France)
  • Place du nucléaire : un premier objectif de diminution de la part du nucléaire à 50% dans la production d’électricité en 2025 a été reporté à 2030/2035. Rappelons que cet objectif suppose soit la fermeture du 1/3 du parc actuel de réacteurs nucléaires (soit 17 à 20 réacteurs à fermer), soit la diminution de production unitaire par réacteur d’environ un tiers.
  • La loi TECV d’août 2015 (relative à la transition énergétique pour la croissance verte) ajoute encore une quarantaine d’objectifs chiffrés précis.

Bref, le politique a strictement encadré la définition du déploiement du futur mix électrique !

Cet encadrement s’accompagne d’une politique de prix par le biais de mesures incitatives sous la forme de taxes d’un côté, d’aides de l’autre. En 2015 en France, le prix moyen payé par le consommateur final en France était de 116€/MWh TVA incluse (contre 99 € en 2011). Soit une composante fourniture de 54 €, une composante acheminement de 32€ et une composante taxe de 30 €. Dont la CSPE(Contribution du Service Public d’Energie) passée de 5€ en 2010 à 22,5€ en 2016 démontrant ainsi que la hausse du prix final de 2011 à 2015 a été entièrement due à la hausse des taxes).

Depuis 2017, pour limiter la hausse de la CSPE, les consommateurs de carburants ont commencé à être mis indirectement à contribution à travers l’affectation d’une partie croissante des recettes de la contribution Climat-énergie intégrée à la TICPE (taxe intérieure de consommation des produits énergétiques) au financement des dispositifs des EnR électriques. Actuellement, les aides aux EnRi en France s’élèvent à plus de 100 €/MWh, payés donc par les consommateurs d’électricité et de carburant.

La politique de prix comprend aussi la taxe carbone, qui ne sera pas non plus discutée dans le cadre de ces réflexions.

Le soutien au politique

Sans réelle surprise, les deux articles rédigés par des représentants d’ENGIE d’une part (« ENGIE et la transition énergétique. Passer du rêve à la réalité : un bouquet énergétique 100% renouvelable à l’horizon 2050 ») et du syndicat des énergies renouvelables d’autre part (« Les énergies renouvelables et la transition électrique ») soutiennent avec enthousiasma le développement des EnR.

  • ENGIE : « La transition énergétique doit être perçue comme une occasion pour des pays comme la France de se projeter vers un avenir commun en répondant de façon harmonisée à un défi global : l’intensification du dérèglement climatique et la capacité des citoyens, des entreprises, des territoires et des Etats à se transformer eux-mêmes pour en limiter les effets».
  • Le SEN : « Au cours de son histoire, la France a toujours conduit avec succès des transitions majeures de son système électrique. Celle que nous avons engagée ces dernières années s’inscrit donc dans cette continuité et représente une formidable source d’innovation et d’opportunités économiques. Cette transition vers les énergies renouvelables prend tout son sens aujourd’hui… le citoyens comme les entreprises sont prêts à entrer dans une nouvelle phase de la transition énergétique de notre pays ».

C’est parfaitement conforme à leurs intérêts d’entreprises subventionnées et à la vulgate médiatico-politique. Et pourtant…

La mise en évidence de nombreuses insuffisances

Pourtant, tous les articles d’auteurs techniques soulignent de très nombreuses insuffisances(par exemple, l’article : « Les incohérences de la transition électrique au regard de la politique de transition énergétique » de Dominique Finon, directeur de recherche au CNRS, pp 41/47), dont quatre sont présentées ci-après :

Première insuffisance : l’absence totale de prise en compte par le politique d’une spécificité (et une force) française, à savoir le caractère très peu carboné des productions et consommation électriques française grâce au parc nucléaire. Le mix de production électrique en France est déjà décarboné à 94%.  Comparons les chiffres pour l’électricité consommée en France, Norvège et Allemagne, au 26/09/2019 : intensité carbone de 32 g en Norvège (avec 98% de renouvelable et 98% de bas carbone), de 59g en France (avec 27% de renouvelable et 92% de bas carbone), et 340g en Allemagne (avec pourtant 40% de renouvelable mais seulement 57% de bas carbone : c’est la sortie du nucléaire mode Merkel…).

Remarque de bon sens des auteurs de l’article Evaluation macroéconomique de la transition électrique en France :

« Dès lors que notre système électrique actuel ne présente pas de défaut au regard des objectifs de décarbonation, la France pourrait adopter une posture valorisant son avance au niveau européen. Elle pourrait contribuer à limiter l’ampleur des ajustements sur le mix électrique français dans les dix années qui viennent dans l’attente de l’arrivée à maturité des nouvelles technologies de l’énergie et de la baisse de leur coût dans la production, les transports, le stockage et la consommation d’électricité. D’ici là, il conviendrait de réorienter une partie de ces soutiens à ces technologies vers la recherche et l’innovation plutôt que vers leur déploiement, de sorte qu’elles puissent être déployées massivement à moyen terme, tant en France qu’à l’exportation, au bénéfice de l’industrie française et européenne. Et, surtout, il conviendrait de faire porter les efforts de décarbonation sur les secteurs qui sont réellement les plus émetteurs de CO2 (en premier lieu les transports et le bâtiment)» (p.20).

Deuxième insuffisance : les différents auteurs indiquent qu’il n’y a pas d’étude disponible pour aboutir à un calcul de la place optimum de chacune des sources d’électricité dans un mix électrique cible.

Cela paraît un comble. Et pourtant, voilà la fin de l’article sur Les énergies intermittentes : jusqu’où ? :

« Il n’existe pas aujourd’hui d’études technico-économiques complètes permettant de chiffrer, du point de vue de la collectivité, les avantages et les inconvénients de divers scénarios et de décider sur la base de critères aussi objectifs que possible de la stratégie à retenir » ; et aussi : « On assiste depuis une dizaine d’années à une sorte de tâtonnement expérimental, fondé sur la recherche ‘un compromis entre les exigences de la transition énergétique et ses conséquences financières. … Beaucoup d’études font de la sous-optimisation, en considérant comme acquises les décisions les plus structurantes » (p.32).

Jean-Pierre Hauet, dans son article, publie le schéma ci-dessous. En abscisse, la part des EnRi dans le mix électrique ; en ordonnées, le prix de revient au MWh ; l’optimum se trouvant dans la zone à la croisée de la baisse de la valeur économique (facteur négatif, courbe vers le bas) et de la réduction du coût complet (facteur positif, courbe vers le haut).

L’optimum peut évoluer dans le temps du fait notamment de deux facteurs : le progrès technique et l’effet de série aboutissant à un abaissement des coûts complets ; l’amélioration de la valorisation économique des EnRi du fait de l’évolution de la demande, du développement de nouvelles techniques telles que le stockage, ou le renchérissement des sources alternatives. Or, ce schéma ne semble pas exister au niveau gouvernemental. Et, au final, « les décisions se prennent généralement sous la pression des mouvements d’opinion » (p.31).

Rappelons qu’il existe pourtant un ministère de la Transition écologique et solidaire(et d’un ministre quand il n’est pas démissionnaire) disposant d’un budget (2017) de 36 milliards d’euros. Il est vrai que le site gouvernemental officiel ne sait même pas donner de chiffres d’effectifs récents : les dernières estimations sont de 57000 personnes en… 2014. Voilà un suivi soigneux !

Troisième insuffisance : les informations, au lieu de porter sur la valeur économique, portent sur la comparaison des prix LCOE seulement.

« Il faut raisonner en terme de valeur économique des productions des différents moyens techniques et non pas en termes de prix de revient pour pouvoir juger de la compétitivité d’un type de technologies par rapport aux autres. Dans cette perspective, il n’existe aucune étude technico-économique indiquant que le chiffre de 50% de nucléaire et celui de 40% d’ENR seraient des optimums. Une telle orientation ne peut que nous obliger à dépenser beaucoup plus que ce qu’exigerait une politique rationnelle. … Cela se traduit par un surcoût croissant qui est payé par les consommateurs d’électricité et de carburants ».

Quatrième insuffisance, conséquence directe des choix précédents (politique de dénucléarisation, raisonnement en LCOE pur) : la politique énergétique française est très concentrée sur l’éolien et le photovoltaïque. Il y a ourtant d’autres allocations possibles pour les ressources fiscales : rénovation thermique, développement des EnR thermiques (et réseaux de chaleur associés) : bois-énergie, géothermie, chaleur solaire, biogaz, récupération d’énergie. « On se trompe de cible et de moyens en incluant dans la politique de transition énergétique la promotion des ENR électriques à grande échelle au-delà du seuil optimal » écrit Dominique Finon (Les incohérences de la transition électrique…. p.46).

Une illustration particulièrement stimulante de la définition possible d’autres cibles est fournie par l’article : « 50%, ou 50% ? ». Jean-Marc Jancovici se positionne l’optique de 50% de nucléaire dans la production électrique (qu’il accepte donc comme un présupposé à des fins de raisonnement) mais pour proposer deux scénarios totalement antagonistes (Base de départ : production annuelle d’électricité en France = 540 TWh dont 400 en nucléaire et dont 50 exportés) :

  • Un scénario qu’il appelle « « Je fais 50% – version antinucléaire » : la production globale d’électricité reste stable, ce qui n’est plus produit par du nucléaire l’est par un mix éolien-solaire. Pour l’évolution de la puissance installée nucléaire, s’appuyant sur l’expérience allemande actuelle, il suppose qu’il n’y aura pas une réduction d’un tiers du nombre de réacteurs en activité, mais une baisse de la charge effective de chacun des réacteurs. C’est-à-dire une sous-utilisation des infrastructures nucléaires existantes, avec un risque sur leur maintenance par manque de moyens financiers de l’opérateur. C’est grosso modole scénario gouvernemental actuel.
  • Un scénario qu’il appelle « Je fais 50% – Version anticarbone». l’énergie renouvelable développée est la géothermie basse température, qui se met en œuvre avec des pompes à chaleur. Ces pompes consomment de l’électricité en affichant un très bon rendement : pour 1 kWh d’électricité consommée, elles restituent en général 3 à 4 kWh de chaleur qui ont été transférées de l’extérieur dans le logement, chaleur du soleil, donc renouvelable.

Or le chauffage au gaz et au fioul représente actuellement 400 TWh en France. Si on arrive à diminuer ces besoins par l’utilisation de géothermie, le rédacteur de l’article à la fin de ses calculs aboutit à un ensemble de 700 à 800 TWh produits en électricité, dont 400 par le nucléaire. C’est donc toujours 50% issus du nucléaire, mais dans une production d’électricité en très forte croissance globale.

Et l’auteur d’arriver aux conclusions suivantes en faveur du scénario anticarbone :

  • Les infrastructures nucléaires sont utilisées au mieux et le nombre de réacteurs nucléaires a même un peu augmenté. Les recettes d’EDF ont augmenté en proportion. Le risque nucléaireest moins fort car EDF a les ressources financières pour la maintenance de ses centrales. Les compétences de la filière industrielle nucléaire seraient renouvelées.
  • Ayant remplacé des hydrocarbures par de l’électricité nucléaire, on économise l’importation de 400 TWh de pétrole et de gaz par an.
  • Le pétrole et le gaz non consommés ont réduit les émissions de CO2.
  • Il n’y a besoin ni de stockage d’électricité, ni d’un renforcement du réseau, ni de problème de réglage de la fréquence sur le réseau car la part des EnRi est restée contrôlable.
  • Le prix de l’électricité n’augmente pas, ni celui des carburants car on n’a pas eu à subventionner outrageusement le déploiement d’EnRi.

« Tant qu’’à conserver cette valeur totem, choisir le « bon » 50% est donc d’importance majeure pour l’avenir du pays : dans un cas, c’est la désillusion certaine qui nous attend ; dans l’autre, c’est une sortie par le haut qui permettra de faire globalement baisser le risque » (p. 93).

« Pour conclure, il conviendrait donc de réduire rapidement le subventionnement des nouvelles capacités EnRi, et ce d’autant plus que les tenants de cette politique nous disent que leur coût par MWh est désormais suffisamment bas pour rivaliser avec celui des autres technologies » (p. 43) ; affirmation confirmée par ENGIE dans son article : « La dernière session de l’appel d’offres pour les installations photovoltaïques au sol ou en ombrières dont les résultats ont été annoncés le 6 août 2018 a révélé un prix moyen proposé de 58,2 €/MWh pour l’ensemble des projets, soit une baisse de 5% par rapport à la tranche précédente. Il s’agit du prix le plus bas constaté en France pour des centrales solaires, un prix qui se rapproche désormais du prix de marché » (p.49).

Vous l’aurez compris, la lecture de cette revue amène à se poser quelques questions sur la légitimité de la politique gouvernementale dans le domaine de la transition à la fois énergétique et de production électrique. Politique de qualité ou politique de Gribouille ?

Pourtant quand on y songe :

  • La compétitivité du coût de l’énergie et de l’électricité ne concerne pas que les ménages (consommation), mais aussi l’industrie et donc la création de richesses.
  • Les choix faits sur la transition énergétique et électriques ont des répercussions géopolitiques (par exemple le monopole de la Chine sur les terres rares) et industrielles: quid d’une industrie de production de batteries en France, alors que la France n’a pour l’instant annoncé aucun projet d’usine de fabrication de batteries (p.38) ?Quidde l’éventuel impact en capacités de production française d’un besoin de pompes à chaleur en très forte croissance ? Quid de l’impact à long terme de la vente de l’activité turbine nucléaire d’Alstom à General Electric (merci, E.Macron) ?
  • En raison du caractère déjà décarboné de notre production d’électricité, avoir une ligne claire en France aurait pour conséquence moins la diminution de notre empreinte carbone (les émissions de CO2 représentent moins de 1% des émissions mondiales) que la proposition à d’autres pays d’un modèle possible.
  • Les choix faits (diminution du nucléaire, ambitions démesurée en faveur des EnRi) ont abouti directement au mouvement des Gilets Jaunes: « il est étonnant de voir que l’on ne cherche aucunement à mettre à plat de façon rigoureuse et transparente ce surcoût de la politique de transition électrique, ni de préciser sur qui ce coût est reporté. On peut ainsi occulter le fait que les investissements des développeurs d’éoliennes et de fermes photovoltaïques, comme ceux des ménages aisés s’équipant de panneaux PV, sont financés par la CSPE qui est payée à plein tarif par l’ensemble des ménages ».

C’est quand le RIC  argumenté sur les présupposés structurants du futur mix électrique ?

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4 commentaires

  1. Document très intéressant couvrant les aspects technique, économique et écologique basique mais pas l’aspect conservation de l’environnement (paysages, patrimoine visible, calme, …)

    Il semble que beaucoup de français considèrent déjà que ces éléments sont déjà détériorés et enlaidis par des éoliennes peu efficaces (EnRi). Il faut absolument revoir ce programme d’installation avant que la France soit enlaidie complétement par ces monstres indémontables, sauf à un coût exorbitant au détriment de la valeur de notre patrimoine inestimable.

  2. Merci pour cette présentation très claire: enfin des faits et non des polémiques politiciennes. Nos dirigeants sont vraiment trop nuls. Y en a-t-il un seul parmi eux qui soit capable d’assimiler cette étude et d’en faire la base de la politique énergétique de la France? Ils préfèrent écouter une gamine ignare comme eux plutôt que nos meilleurs ingénieurs.

  3. Merci à MJ pour cette courageuse synthèse d’un problème complexe auquel nos responsables politiques ne comprennent rien. Autre aspect du sujet qui méritera réflexion : si l’on peut faire quelques économies d’énergie sans trop affecter le niveau de l’activité, lorsque l’on atteint de hauts niveau de réduction de consommation d’énergie, alors PIB et revenus se trouvent mécaniquement affectés. Ce sera difficilement acceptable pour ceux demeurant attachés à la consommation et la mobilité faciles

  4. un RIC pour toute question !
    les français seraient ils moins fiables, moins intelligents, moins matures que les suisses?

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