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Immigration

Stephen Smith : les Européens ont tort de penser qu’ils rendent service à l’Afrique en ouvrant leurs frontières

Ancien journaliste (1986-2005), désormais professeur d'études africaines à l'université Duke, aux États-Unis, Stephen Smith a a publié : « La ruée vers l'Europe », un livre politiquement incorrect. Il répond aux questions de Jeune Afrique. Extraits :

9782246803508-001-T"[…] Contrairement à une idée reçue, ce ne sont pas les plus pauvres qui migrent. Ne pars pas qui veut. D’ailleurs, sinon, la pression migratoire aurait été la plus forte dans les années 1990, quand le continent était géopolitiquement à l’abandon et dévasté par de multiples guerres civiles. En fait, outre une certaine connaissance du monde, il faut pouvoir réunir un pactole de départ pour entreprendre un si long voyage. Ce sont donc ceux qui sortent la tête de l’eau qui se mettent en route – « l’Afrique émergente » de la subsistance. Or, le « co-développement », qui vise à fixer les Africains chez eux, contribue à faire passer ce premier cap de prospérité. C’est un effet aussi involontaire qu’inévitable : dans un premier temps, un léger mieux économique incite au départ parce qu’il est insuffisant pour combler les inégalités entre l’Afrique et l’Europe, tout en donnant les moyens de partir. C’est seulement quand des pays en développement atteignent une prospérité plus conséquente, comme aujourd’hui la Turquie, le Mexique, l’Inde ou le Brésil, que leurs ressortissants restent – sinon retournent – au pays pour saisir les opportunités chez eux.

Certains membres de la classe moyenne ou aisée font pourtant le choix de rester ou de revenir au pays pour contribuer à son développement…

Il y a des cas individuels mais, statistiquement, ils ne font pas le poids. Au Togo, un tiers des adultes a tenté sa chance dans la loterie américaine des permis de résidence – 55 000 green cards par an, pour le monde entier – qui sont offerts aux « candidats de la diversité » aux États-Unis. À l’échelle du continent, selon une enquête de l’Institut Gallup de 2016, 42% des Africains âgés de 15 à 25 ans déclarent vouloir partir. Même si tous ne passeront pas à l’acte migratoire, l’Afrique est un continent en instance de départ. […]

La migration est une perte nette pour l’Afrique parce que ses forces vives l’abandonnent. C’est profondément démoralisant pour ceux qui restent, et les Européens ont tort de penser qu’ils rendent service à l’Afrique en ouvrant leurs frontières. En fait, les migrants tournent le dos à un continent « en panne » dont les insuffisances leur semblent irréparables à l’échelle d’une vie humaine. Ils se sauvent. Pas seulement parce que des infrastructures ou des emplois font défaut, ou que leurs enfants n’y peuvent recevoir une bonne éducation, mais aussi parce qu’ils pensent que l’Afrique est en panne d’espoir. […]

Vous parlez d’une Europe qui va s’africaniser et prévoyez des tensions identitaires. Est-ce inévitable ?

Je ne prévois pas, je constate. Il suffit de faire le tour de l’Europe, de l’Italie à la Suède en passant par l’Allemagne d’Angela Merkel ou la Hongrie. Est-ce inévitable ? Peut-être pas si trois principes de réalisme et d’humanité peuvent être conciliés. D’abord, il appartient aux Européens de décider qui entre chez eux et qui n’entre pas. Ensuite, l’Europe ne peut pas se désintéresser de son voisin africain, elle doit comprendre qu’une frontière n’est pas une barrière baissée ou levée mais un espace de négociation. Enfin, et c’est peut-être la réalité qui est encore la moins bien perçue, la ligne de partage ne sépare plus tant les pays riches des pays pauvres mais, à l’intérieur du Nord et du Sud, les gagnants et les perdants de la mondialisation. Si les gagnants – en Afrique autant qu’en Europe – se moquent du sort des perdants, nous serons tous perdants. […]"

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4 commentaires

  1. Mille fois d’accord.
    Pour avoir longtemps travailler au développement de l’Afrique, et des Pays de l’ex-bloc soviétique, j’ai recueilli souvent le témoignage accusateur des “pays en voie de développement” sur la fuite de leurs compétences vers nos paradis dorés.
    Ainsi, la moitié des médecins du Kenya, anglophones, partent… mais ont été formés par le pays, aux frais de sa population !!
    … qui doit compter sur l’aide internationale pour assurer les services de santé de base !!
    Je connais aussi bien des égyptiens (et pas forcément des coptes fuyant la dictature…) et qui trouvent plus confortable et rémunérateur de vivre au Canada, en Suisse ou en Arabie Saoudite, après avoir bu le lait des gamousses égyptiennes…

  2. En fait, les leaders de cette invasion, ne se soucient guère de l’Afrique, et n’ont aucune envie de la “servir”. Ils veulent surtout desservir la civilisation occidentale et le peu de christianisme qu’elle abrite encore.

  3. Il y a déjà une bonne douzaine d’années l’un de mes chers camarades, chargé de mission à Kinshasa par une organisation de bienfaisance, m’avait dit textuellement : “Dans cette ville il y a 9 millions d’habitants (à l’époque); eh bien, ils veulent tous venir s’installer en France ou en Belgique !!”
    Y a-t-il un citoyen lambda, un prêtre conciliaire, un évêque même, – mis à part quelques uns que tout le monde connait – je n’ose même pas parler d’un élu, encore moins de journaleux, capable de comprendre cela et de le conceptualiser ??

  4. Les européens ne pensent pas ils subissent, c’est différent.

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