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Histoire du christianisme / Valeurs chrétiennes : Culture

Saint Thomas d’Aquin par Ivan Gobry

Saint Thomas d’Aquin par Ivan Gobry

De Franck Abed :

Yvan Gobry fut professeur à l’Université de Reims et à l’Institut catholique de Paris. Nous lui devons de nombreux ouvrages consacrés à l’histoire, la philosophie et à la spiritualité. A l’heure d’un renouveau d’intérêt pour la pensée de Thomas d’Aquin, cette biographie du grand dominicain nous narre sa vie, ses titres, son œuvre. Au fil des pages, nous comprenons aisément pour quelles raisons l’Eglise catholique romaine a proclamé Saint et Docteur l’auteur de La Somme contre les Gentils et de la Somme de Théologie, dont la richesse non seulement doctrinale mais encore spirituelle semble inépuisable.

De fait, dès les premières lignes une interrogation fondamentale nous interpelle :

« Qui est saint Thomas d’Aquin ? A cette question posée, le catholique moyen répond : l’auteur de la Somme théologique. Un autre, plus tourné vers la liturgie, dira : l’auteur de l’office du Saint-Sacrement. »

Toutefois cette réponse se révèle lacunaire parce qu’elle ne reflète que très partiellement l’homme qu’il fut. Ainsi, Gobry ajoute :

« un auteur est quelqu’un, une personne en chair et en os, qui, comme tous les autres hommes, a passé par la naissance, la vie et la mort. Et une personne qu’on ne peut détacher de son œuvre, car celle-ci jalonne sa vie, et s’explique en partie par elle. »

Pourquoi est-il donc si important de s’attarder sur la vie d’un penseur ? L’historien répond bien évidemment à cette question :

« La vie explique l’œuvre plus encore. Thomas d’Aquin est Docteur de l’Eglise. Or, pour être proclamé Docteur, il faut déjà être saint. Pour être étiqueté Docteur, il faut d’une part l’orthodoxie de la pensée, d’autre part la sainteté de la vie. Ceux qui, cherchant à définir saint Thomas d’Aquin, se réfèrent à l’orthodoxie de la pensée voient juste ; mais c’est insuffisant : il convient encore d’y ajouter la sainteté de la vie. »

Le propos se montre clair et surtout complet.

Il nous semble nécessaire de donner quelques repères biographiques pour comprendre l’homme et son époque :

« Saint Thomas d’Aquin, mort en 1274, canonisé en 1323, décrété Docteur de l’Eglise en 1567. Bien que réputé docteur de son vivant, à cause de l’importance de ses écrits et de son enseignement, il ne fut considéré comme tel par l’autorité papale que lorsque, à la sûreté de sa doctrine, on constata qu’il avait joint la sainteté de la vie. »

Gobry énonce que « la double ascendance de Thomas était germanique et normande : les deux occupants de l’Italie méridionale. Quand on dit que Thomas d’Aquin était italien, il faut l’entendre par le territoire sur lequel il est né, non par le sang. » Notons malgré tout que la comtesse Théodora Caracciolo Rossi,sa mère, descendait d’une famille napolitaine. L’auteur du De Regno est né au sein « d’une fratrie de six enfants ». Comme souvent à l’époque, « après la canonisation du théologien, ses Frères en religion recherchèrent auprès d’éventuels témoins les signes divins qui avaient pu annoncer cette naissance. » En lisant le livre, vous découvrirez si des prodiges ou des miracles s’accomplirent au moment de celle-ci… Cependant, et c’est sûrement le plus important, il montrait enfant « une piété précoce. Il était tout indiqué pour entamer une carrière ecclésiastique. »

Gobry éclaire son approche d’une remarque dont nous relevons l’importance majeure :

« Avant de s’engager dans la lecture du grand Docteur, ou plutôt, plus habituellement, après avoir pris connaissance, ne serait-ce que superficiellement (on n’ose dire sommairement), de l’œuvre, il convient de contempler la beauté de sa vie, vécue en union avec ce Christ qu’il a magnifié par ses écrits, mais que d’abord il a glorifié par ses vertus. »

Cette lecture permet de bien saisir cet aspect éclatant mais souvent plus caché aux yeux de la sainteté de Thomas.

L’auteur mentionne très justement que celui-ci vécut

« dans le temps de l’apogée religieuse et culturelle de l’Occident chrétien : celui où Innocent III, en un pontificat de dix-huit ans, vient d’assurer la suprématie politique de la Rome pontificale ; où sont édifiées les universités d’Oxford et de Paris ; où saint François et saint Dominique ont établi les plus grands ordres mendiants ; où ont été édifiées la Sainte-Chapelle et la cathédrale de Cologne ; où Dante publiait la Divine comédie. »

En contemplant notre époque nous pouvons avoir le sentiment que ce XIIIèmesiècle béni n’a jamais existé, ou semble n’avoir guère laissé de traces visibles…

Toutefois, la difficulté n’épargne pas Thomas dans sa volonté de porter l’habit des Dominicains. En effet, sa mère espère le voir rentrer à l’abbaye bénédictine du Mont-Cassin, où saint Benoît avait terminé sa vie au Vèmesiècle. Il s’agit alors d’un lieu très prestigieux dont la famille d’Aquin compte un jour hériter de la charge en plaçant à sa tête l’un des siens. Thomas ne change nullement d’avis bien au contraire. Il veut à tout prix rejoindre les Dominicains quoiqu’il doive lui en coûter. Sa mère ordonne à deux de ses frères de l’enlever et l’assigne à résidenceau sein du château familial deRoccasecca, où il demeure un an. Elle agit ainsi quand elle comprend que son fils refuse de suivre ce chemin imposé. Différents moyens bien peu glorieux sont échafaudés… et mis en œuvre ! pour parvenir à le faire craquer dans sa vocation. Les siensfinissent cependantpar accepter son choix. Le Pape Innocent IV prend même connaissance de l’affaire, et sachant où se trouve le bon droit donne raison à Thomas.

L’auteur nous permet ensuite de le suivre pas à pas : d’Italie en Allemagne, en passant par la France, etc. au gré ou au hasard providentiel de ses nombreux voyages. Sa rencontre avec le frère dominicain Albert le Grand marquera pour toujours l’Aquinate, comme le rappelle Ivan Gobry :

« Albert est évidemment le plus beau génie de l’époque médiévale… Aucun homme n’a peut-être joui d’une plus vaste intelligence, être privilégié, créature d’élite, pouvant à la fois embrasser les incommensurables conceptions de la métaphysiques et les moindres observations des sens. »

Pouvons-nous écrire que le disciple dépassa son maître en théologie ? Il nous semble aussi difficile de coucher cette idée sur le papier, que de ne pas le penser.

Ne nous méprenons pas sur l’enseignement et la vie de Thomas. Gobry indique pertinemment que

« si saint Thomas étudiait avec une telle ferveur, s’il prenait tant de fatigues et de peines à enseigner et à prêcher, ce n’était certes pas par pur plaisir intellectuel, comme de nombreux maîtres de notre temps, mais c’était pour convertir les esprits à la vérité. »

Le talentueux conteur nous permet également de suivre à grands traits l’enquête canonique qui suivit de peu sa mort, les différents voyages de la dépouille de Thomas, la lamentable bataille pour la possession de ses restes entre les différentes congrégations religieuses et sa famille. Le pire : les effroyables mutilations que subit le cadavre, car chacun souhaitait en posséder un morceau en guise de reliques. Ainsi la comtesse Théodora de San Severino (sa sœur) désirait recevoir les os de la main droite… De cette dernière sont sortis les chefs-d’œuvre thomistes. Aujourd’hui, son corps est conservé sous le maître-autel de la chapelle de l’ancien couvent des dominicains de Toulouse, le couvent des Jacobins, aujourd’hui situé en plein centre-ville.

Gobry nous présente une vie de saint Thomas, sobre, passionnante et réellement enthousiasmante. Dans une dernière partie, l’historien revient sur la puissante doctrine de Thomas pour notre plus grand plaisir intellectuel, théologique et spirituel. Parcourir cette biographie particulièrement didactique et abordable nous permet de découvrir un être exceptionnel qui sut allier – et allie encore du haut des Cieux – de manière quasi-parfaite la foi et la raison, l’intervention incisive et déterminée dans les controverses intellectuelles de son époque et l’amour du prochain, l’humilité la plus effacée et l’amitié des grands (des papes au Roi Saint Louis, notamment), des labeurs éreintants et d’incessants voyages avec le silence d’une vie intérieure fidèle et régulière de prêtre, contemplatif et prêcheur à tout instant plongé en Dieu.

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1 commentaire

  1. Le Génie de l’humanité, inspiré par Dieu. Nos “pseudo-intellectuels” semblent avoir le cerveau plat en comparaison.

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