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Bioéthique

Révision de la loi de bioéthique. Reparlons d’éthique et de bioéthique

Révision de la loi de bioéthique. Reparlons d’éthique et de bioéthique

Le projet de révision de la loi de bioéthique a donné lieu à la création d’une commission. Cette commission a procédé à de nombreuses auditions. Son rapporteur, Jean-Louis Touraine, député LaREM et mono-maniaque de la transgression éthique (il est aussi l’auteur d’une proposition de loi pour légaliser l’euthanasie) a récemment publié son rapport.

Certaines de ces auditions ont déjà été plusieurs fois commentées sur le Salon beige :

La transcription de l’ensemble des auditions étant maintenant disponible sur le site de l’Assemblée Nationale, il a paru intéressant de parcourir d’autres auditions non encore écoutées pour analyser un certain nombre de thèmes transverses. Cette première présentation va donc apporter certaines idées complémentaires associées à la notion de bioéthique, et précéder quatre autres études à venir sur  le problème de l’accès aux origines, la question de l’implantation post-mortem, des nouveaux développements concernant l’extension de la PMA et la GPA, et enfin sur les préjugés du rapporteur tels qu’ils sont apparus tout au long des auditions.

Ethique et bioéthique :

Rappelons au préalable cette introduction faite par le Pr Jérôme Lejeune lors d’une conférence en 1986 :

« On va discuter d’éthique pendant plusieurs jours. Dans ma jeunesse, on ne connaissait pas ce mot-là. On connaissait l’Ethique à Nicomaque quand on faisait sa philosophie, mais quand on parlait de choses qui pouvaient se faire ou ne point se faire, on parlait de morale. Comme le latin est la seule chose qui soit restée dans la langue française, on comprenait ce dont on parlait. Mais à notre époque, si on a été rechercher le mot éthique pour le remettre à la mode, c’est simplement parce que nos concitoyens connaissent moins bien le jardin des racines grecques que la langue vulgaire et qu’on se dit qu’on va faire passer quelque chose qui n’est pas exactement le contenu du vocable qu’on emploie. »

Pierre Le Coz, président du Comité de déontologie de l’Agence nationale de sécurité sanitaire, définit ainsi ce mot :

« Je saisis l’occasion de rappeler que, dans le domaine de l’éthique, on ne peut jamais prouver qu’on a raison. Nous sommes tous confrontés à une inquiétude, à un malaise ; c’est pourquoi j’ai coutume de dire que l’éthique, c’est la science du malaise ».

Pour ce qui est de la bioéthique, elle est née en 1947 avec le Code de Nuremberg, après l’extermination des juifs pendant la deuxième guerre mondiale et avant la Déclaration universelle des droits de l’homme.

Le « malaise », ou la tension éthique, est facilement mise en évidence à l’occasion du dialogue ci-après entre le rapporteur et le Pr. Jacques Testart, biologiste et considéré comme le « père scientifique » du premier « bébé-éprouvette » né en France :

Question du rapporteur :

« Chacun le sait, vous êtes le père scientifique d’Amandine, le premier enfant issu d’une fécondation in vitro en France. À ce titre, votre parcours est très proche de celui de Bob Edwards, lauréat du prix Nobel, dont les recherches ont permis la naissance de Louise Brown en Grande-Bretagne. J’aimerais que vous expliquiez comment vos positions sur la bioéthique ont pu être à ce point opposées !

Tandis que Bob Edwards, décédé récemment, s’enthousiasmait pour toutes les avancées scientifiques qui ne posaient pas de problèmes éthiques nouveaux, vous avez manifesté davantage de prudence à l’égard du progrès médical, suggérant que la réflexion bioéthique devrait conduire à des décisions a priori, avant même que les progrès ne soient développés. Pensez-vous qu’il aurait été possible de réaliser des FIV dans l’espèce humaine si une réflexion bioéthique avait été menée sur cette hypothèse au préalable ? Aurait-on même inventé la vaccination – une forme de transhumanisme – dans l’état d’ignorance où l’on se trouvait ? N’est-il pas un peu dangereux de vouloir définir la règle éthique opportune a priori, avant que les progrès ne soient développés ? »

Réponse du Pr. Testart. 

« Effectivement, j’ai bien connu Bob Edwards. Ce qui nous séparait déjà à l’époque, c’est que Bob Edwards était un scientiste, c’est-à-dire un homme fasciné par la science, pensant que le sort de l’humanité ne pourrait changer que grâce à la science – comme énormément de gens en Angleterre, en France et ailleurs, encore aujourd’hui. Cela n’est pas mon cas. Je ne suis pas antiscience, mais j’estime que l’on doit chaque fois s’interroger sur ce que l’on appelle « progrès ». Un progrès, c’est ce qui permet aux humains de vivre mieux, ce n’est pas le fait de réussir à implanter une nouvelle technologie et de la vendre à beaucoup de monde.

À l’époque, Bob Edwards voyait déjà beaucoup plus loin. Il m’avait expliqué en 1978, au moment de la naissance de Louise Brown, que le but de la FIV n’était finalement pas d’apporter une réponse à la stérilité, mais d’obtenir des embryons que l’on pourrait couper en deux pour créer de vrais jumeaux, dont l’un serait transplanté et l’autre congelé – j’attire votre attention sur le fait que la technique n’existait pas encore – pour fournir des « pièces détachées » de rechange, parfaitement compatibles. Il expliquait cela avec un enthousiasme délirant.

L’idée est tout à fait intelligente d’un point de vue technique, bien plus que ce qu’on appelle le clonage aujourd’hui. D’ailleurs, je pense qu’elle l’emportera un jour : les médecins proposeront d’ici quelques années de couper les embryons en deux, sans que cela ne présente de risque, pour constituer une réserve de pièces détachées. C’est une idée qui finira par passer, comme toutes les autres… personnellement, cela me révulse. Voilà les bases de mon différend avec Bob Edwards, comme avec beaucoup de mes collègues ».

L’urgence de l’éthique :

Le Pr Mattei, président du comité d’éthique de l’Académie de médecine, explique « l’interrogation par laquelle a commencé le débat sur la bioéthique : le médecin a-t-il l’obligation morale de satisfaire toutes les demandes qui lui sont faites au motif qu’il possède la technique ? Si l’on répond « oui », on transforme le médecin en prestataire de services. Si l’on répond « non », le médecin a besoin d’être guidé et c’est en partie pourquoi les lois de bioéthique ont été adoptées – par exemple pour qu’il dise « Non, vous n’avez plus l’âge ».

Or, comme le rappelle le Pr Sicard, président d’honneur du Comité consultatif national d’éthique (CCNE)

« depuis vingt ans les comportements sont de plus en plus médicalisés. Cette médicalisation de la vie recouvre deux mouvements : une médicalisation de plus en plus grande de tous les comportements, commençant dès la conception – l’enfant est l’objet d’une attention médicale et échographique – et se poursuivant jusqu’à la fin de la vie, et en même temps une médecine prise au piège de la revendication sociétale du bien-être.  Comme il n’y a plus de religion, la médecine a fini par devenir le salut de l’existence. C’est une véritable question éthique. Nous avons confié à la médecine notre bien-être et notre finitude ».

Ajoutons la croissance exponentielle des progrès techniques et des technologies disponibles : tout est en place pour accroître le malaisesouligné par M.Le Coz et conduire à mettre la bioéthique au cœur de nos réflexions.

La question des limites :

Que peut-on faire ? Jusqu’où peut-on aller ? La question des limites éthiques se posent immédiatement, et toujours plus importante face à la croissance vertigineuse à la fois des possibilités technique et des pressions de toutes sortes (ce que pour un domaine économique classique, on appellerait pression du marchéet pression des utilisateurs). Le Pr Testart précise :

« Je conclurai sur les États généraux de la bioéthique de cette année. Depuis les discussions qui ont précédé les premières lois de bioéthique en 1994, je n’avais jamais constaté ce qui est arrivé lors des derniers États généraux : une telle offensive organisée des défenseurs d’une science mythifiée, placée au-dessus des valeurs culturelles, le principe cardinal d’indisponibilité des éléments du corps humain étant de plus en plus écarté au profit du désir des personnes. En même temps, les promesses transhumanistes contaminent les institutions scientifiques et poussent à réhabiliter l’eugénisme qu’exigeraient la modernité et la compétition économique. Cette déshumanisation de fait se trouve maquillée par la novlangue de ses promoteurs et par leur prétention à maîtriser les effets pourtant imprévisibles des actes qu’ils proposent. »

Le Pr Testart ajoute :

« La question bioéthique n’est pas celle des petits pas, toujours justifiables parce qu’ils ont l’évidence du bon sens : elle est celle de la limite. Ce sont ces bornes qu’il faut rapidement ériger. En effet, il n’y a pas de véritable construction éthique si tout changement consiste en une permissivité progressive et indéfinie, par l’addition de nouvelles exceptions à ce que l’on présentait auparavant comme une règle ».

N’est-il pas trop tard ? Pour le PrMattei :

« Pour avoir vécu quarante-cinq ans dans les hôpitaux, avoir accompagné cette évolution et être encore actif à l’Académie de médecine, je suis terrorisé car je ne vois pas le moment où l’on pourrait justifier de poser une barrière. Je vois arriver la fabrication des spermatozoïdes et des ovules à partir de cellules souches : on n’aura même plus besoin de donneurs. Je vois aussi arriver l’utérus artificiel, déjà au point pour accueillir avec succès des agneaux prématurissimes. Si notre société ne fixe pas des limites, nous allons vers une procréation qui n’aura plus rien à voir avec ce qu’elle était ».

Alors, que penser de la position du Pr Sicard qui rappelle que

« l’éthique n’a jamais été destinée à se substituer au droit. Il existe entre les deux une différence majeure : l’éthique n’a pas pour fonction de dire si l’on autorise ou non. Dans un grand nombre de pays, les comités d’éthique sont là pour donner un tampon et autoriser ou refuser tel essai clinique. Mais l’éthique, en vérité, est là pour réfléchir à ce qu’une société demande à l’humain, en préservant les plus vulnérables et les plus fragiles ; elle n’est pas une instance de légalisation » ?

Bien sûr la limite éthique n’est pas la loi. Mais par des propos comme celui-ci, on a l’impression que l’éthique, parfois, refuse même de définir des limites. Comme le président actuel du CCNE qui refuse de dire ce qu’est le bien et ce qu’est le mal. On voit là tout ce qui a été perdu en passant de la morale à l’éthique.

La bioéthique, la loi et la politique :

Plusieurs intervenants ont récusé l’idée même d’une « révision » de la loi de bioéthique, « qui donne d’emblée l’impression qu’on va changer quelque chose. L’expression « nouvel examen » paraît plus neutre » (Pr Ameisen, ancien président du CCNE). Et le Pr Mattei ajoute : « Le comité d’éthique de l’Académie de médecine conteste le principe de la révision régulière de la loi. On peut programmer une procédure législative mais on ne programme pas les progrès scientifiques ».

De ce fait, comment interpréter la consultation organisée par le CCNE ? L’analyse du Pr Sicard paraît là assez conforme à ce qui s’est récemment passé :

« Le CCNE est sommé d’apporter une réponse avant la loi, mais il est de ce fait paralysé, car il voudra faire plaisir au politique. Malgré sa volonté d’indépendance, il considérera qu’il ne peut quand même pas aller contre la volonté collective représentée par le politique. Or il doit, selon moi, conserver une indépendance totale, et sa temporalité ne doit pas être liée aux décisions politiques. Une véritable réflexion éthique ne doit pas être politisée. Sinon, un rapport de dépendance de l’éthique au politique s’installera, rythmé, tous les cinq ans, par l’élection présidentielle ».

Cet asservissement croissant de la bioéthique à la politique a particulièrement marqué le quinquennat Hollande, comme le décrit M. Le Méné, président de la Fondation Jérôme Lejeune :

« Je rappelle que la réforme de la recherche sur l’embryon adoptée en 2013 est la première loi sociétale qui a été votée sous le gouvernement Hollande, avant même celle sur le mariage. C’était une réforme de fond, puisqu’elle a modifié l’équilibre établi par les lois de 2004 et de 2011. La stratégie du législateur de 2004 et de 2011 visait à autoriser toutes les recherches souhaitables et possibles sur les cellules souches et à n’utiliser l’embryon que si on ne pouvait pas faire autrement. Là, au contraire, on dit : faites ce que voulez sur l’embryon. … Je rappelle que la réforme de 2016 instaurant un deuxième régime de recherche, dépendant de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) et non plus de l’ABM, crée la possibilité de travailler sur des embryons in vitro et de les réimplanter avec les modifications introduites, ce qui n’était pas permis par le passé. Cette réforme a été introduite par un cavalier législatif dans la loi dite de modernisation de notre système de santé, avec des dispositions illisibles pour les parlementaires et le grand public. D’évidence, en 2013 et en 2016, on n’a pas été loyal. Des réformes ont été faites par des scientifiques pour des scientifiques, dans l’obscurité la plus complète pour l’opinion publique et une grande partie des parlementaires » ; est confirmé encore par le Pr Sicard : « La politisation de l’éthique est une évolution que je constate depuis le président Hollande ».

Ainsi, « Depuis plusieurs années, la bioéthique régularise bien plus qu’elle ne régule » (M.Le Méné). Et de ce fait, elle devient de moins en moins universelle et de plus en plus à géométrie variable sur de très nombreux sujets selon les pays (l’Espagne, très permissive, interdit tout de même la GPA. La Belgique, très ouverte sur tous les sujets, n’autorise pas l’accouchement sous X ; on parle beaucoup de « bébés Thalys » à propos des femmes qui veulent être inséminées à Bruxelles, mais on pourrait parler aussi, ce que l’on ne fait jamais, des femmes belges qui viennent accoucher anonymement à Lille).

Bioéthique et argent :

Ces relations sont apparues dans les auditions sous deux formes :

  • Le rôle de la gratuité dénoncé par le Pr Nisand (gynécologue et président du Forum européen de bioéthique de Strasbourg) :

« Pour illustrer le principe de gratuité, je vous parlerai de cette femme qui se rend régulièrement dans mon centre et dont les cinq enfants sont placés à la DDASS. Elle a subi une ligature des trompes lors de la cinquième césarienne. Elle est venue nous demander une FIV après avoir trouvé un nouveau compagnon. Nous lui avons répondu que ce serait un sixième enfant accueilli par la DDASS. Elle nous a rétorqué : « Comment ? Vous m’interdisez de refaire ma vie ? Vous me jugez pour ce qui s’est passé autrefois ! ». Personne ne s’est senti de refuser. Elle a du reste rappelé : « J’y ai droit ; j’ai droit à quatre tentatives. Et c’est gratuit. »Le pire, c’est qu’il se produit, dans tous les centres de France, un phénomène que vous ne connaissez pas : des FIV qui se terminent par des IVG. Récemment, une de mes patientes s’est rendue à Saverne, près de Strasbourg, pour subir une IVG, avant de revenir me voir pour une nouvelle FIV. Mis au courant de la situation, je l’ai sommée de m’expliquer : « Je mets à votre service toute mon équipe, et l’argent de la nation ! »

Réponse :

« Ce n’est pas parce que je suis stérile que je n’ai pas le droit de faire comme les autres femmes. »

Et il s’agissait d’une infirmière…

L’IVG et la FIV, cela ne coûte rien, donc, pour les citoyens, cela ne vaut rien. La gratuité est mère d’une certaine déconsidération des soins. Je m’attaquerai donc à la gratuité, au risque de prendre des boulets de canon – ce que je ne déteste pas. Je ferai réfléchir mes collègues qui bêlent tous au nom de « gratuité ». Je conteste cette gratuité, je la conteste véritablement »

On se rappellera que le rapporteur a proposé que l’extension de la PMA sans père soit aussi remboursée par la sécurité sociale.

  • L’irruption du marché (en relation d’ailleurs aussi avec la notion de gratuité, c’est-à-dire de prise en charge par la collectivité) :

« On est frappé de constater que, dans un certain nombre de domaines, ce n’est plus le bien-être des citoyens et des malades qui constitue la principale préoccupation, mais la rentabilité d’une technique qui devient universelle. La question éthique est donc : « Suis-je dépendant dans ma recherche des financiers, car elle coûte toujours plus, ou de l’humanité pour laquelle je travaille ? » Cette question éthique, trop rarement posée, devrait être beaucoup plus présente » indique le Pr Sicard.

Pour conclure, cette citation du rapporteur Touraine, qui résume de façon assez éclairante la position dite « progressiste ».  Pour lui, la place de l’éthique doit être totalement subalterne :

« N’est-il pas un peu dangereux de vouloir définir la règle éthique opportune a priori, avant que les progrès ne soient développés ? Si nous sommes tous d’accord pour privilégier l’hyperhumanisme sur quelque transhumanisme effrayant que ce soit, il est peut-être responsable de décider que la réflexion bioéthique ne peut survenir que lorsque l’on sait exactement de quoi est constitué le progrès proposé, quand les bénéfices et les inconvénients potentiels en sont connus. Conduire la réflexion a priori, c’est risquer de porter un coup d’arrêt au progrès médical ».

Il y a eu une époque où l’on disait : Science sans conscience n’est que ruine de l’âme. C’est celle aussi où l’on parlait de morale.

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1 commentaire

  1. Tout cela est à vomir
    Le témoignage du Professeur Nisans est éloquent !
    Je me demande comment il peut continuer à travailler dans de telles conditions.

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