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Bioéthique

Recherche sur l’embryon : “le couple interdiction-dérogations est une anesthésie pour cathos”

Le coeur du débat bioéthique a été abordé dans la nuit de jeudi à vendredi. En voici des extraits :

F "M. Marc Le Fur. L’article 23, concernant les recherches sur les embryons et les cellules souches, est au cœur de ce texte. Je vous informe que je voterai contre, sauf si des modifications substantielles y sont apportées par voie d’amendement. Vous avez raison, monsieur le président Claeys : la transgression ne commence pas au moment de la recherche sur l’embryon. Elle commence en amont, à partir de l’instant où nous produisons des embryons qui, pour bon nombre d’entre eux, n’aboutiront pas à un projet parental et que nous conservons malgré tout. C’est pour cette raison que, lors du débat sur la procréation médicale assistée, nous avons souhaité restreindre le nombre d’embryons créés et utilisés à trois. […]

Le débat, entendons-nous, porterait sur le choix entre l’interdiction avec dérogations et l’autorisation encadrée. J’avoue qu’au début, bien naïf, j’étais plutôt rassuré, monsieur le rapporteur, par le mot « interdiction », mais, hélas, je suis de plus en plus convaincu que ce prétendu débat de fond est en quelque sorte orchestré et que ce n’est pas le vrai débat. C’est une habileté, le moyen d’affirmer un principe pour mieux y déroger. L’affirmation d’un principe n’est que le masque dont on s’affuble pour organiser la dérogation. Les situations sont donc analogues dans les deux cas.

Le but qui doit être poursuivi, monsieur le rapporteur, n’est pas de rassurer les uns et les autres. Nous avons parfois le sentiment que vous souhaitez rassurer les chercheurs, mais cela ne changera rien. De même, vous voulez rassurer l’aile que certains qualifieront je ne sais trop comment… […]

Mme Laurence Dumont. Les tradis !

M. Marc Le Fur. Voilà : traditionnels, cathos… Vous les rassurez avec l’interdiction. J’ai le sentiment que le couple interdiction-dérogations est une anesthésie pour cathos ! (Sourires.) Nous n’acceptons pas cette logique. Nous considérons que le vrai débat n’est pas là. Le vrai débat, c’est : soit l’embryon est un être humain en devenir et, dans ce cas, la recherche avec destruction n’est pas licite, sauf peut-être dans quelques cas exceptionnels très précis, soit il ne s’agit pas d’un être humain et, à ce moment, la logique peut être celle de l’autorisation. C’est ça, l’alternative, et non pas ce qui nous est présenté. L’alternative que vous posez, celle de l’interdiction avec dérogations, je la compare au gruyère, où il y a plus de trous que de fromage ! […] Certains affirment que nous n’avons pas le choix et qu’il faut mener des recherches sur l’embryon. Ce raisonnement était pertinent en 2004 : nous n’avions pas le choix effectivement car, à l’époque, Tanaka et d’autres n’avaient pas encore obtenu les résultats qui ont été connus en 2006. Désormais, d’autres types de recherches, sur des cellules adultes reprogrammées, sont de l’ordre du possible. […]

Pourquoi poursuivre la recherche sur les cellules embryonnaires ? Je ne sais pas mais je crains que derrière ne soient certains gros intérêts. « Seule la bannière du marché », a récemment écrit Jean-Marie Le Méné, président de la Fondation Lejeune – on peut aimer ou non, c’est le raisonnement qui compte – « celle de la fécondation in vitro et l’industrie du médicament rallient les promoteurs de la recherche sur l’embryon. » Voilà des réalités dont il faudrait nous démontrer qu’elles sont fausses ! « Pour améliorer les performances de la procréation assistée comme pour tester la toxicité de nouveaux produits », il faut disposer d’embryons. Démontrez-nous le contraire ! À ce jour, je n’ai pas entendu une telle démonstration.

Je suis plus surpris encore par un élément qui n’a jamais été cité dans le débat. J’ai en effet relevé un paradoxe tout à fait étonnant qui me laisse plus que perplexe. Au moment où nous posons la question des dérogations accordées pour la recherche sur l’embryon, l’Europe a adopté, le 20 septembre 2010, une directive 2010-63 UE relative à la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques, qui interdit la recherche sur les embryons des grands primates. […]

Nous savons que des alternatives existent aujourd’hui à la recherche sur l’embryon : celles sur le cordon embryonnaire et sur les cellules souches adultes reprogrammées. Ces alternatives ne posent pas les mêmes problèmes éthiques que la recherche sur l’embryon. Ne manquons pas l’occasion de réorienter nos recherches dans un sens plus humain."

L'article 23, concernant la recherche sur l'embryon, a été adopté par 16 voix contre… 16 , après une suspension de séance réclamée par le ministre Xavier Bertrand ! Le président de séance, Marc Laffineur, a fait pencher la balance. Il est probable que sans la suspension de séance, qui a vu le retournement du député Philippe Gosselin, d'abord opposé à la recherche sur l'embryon et qui a finalement voté pour, cet article eut été rejeté.

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10 commentaires

  1. Bravo pour l’argument sur le paradoxe de l’interdiction européenne d’expérimentation sur les embryons … de primates (et non de pingouins comme pouvait le laisser supposer un récent dessin humoristique).

  2. Je me suis “offert” cette nuit la lecture complète des derniers débats avant celui-ci et j’ en ai acquis la même conviction que Monsieur Le Fur.
    Ce débat est truqué de bout en bout , comme le fut celui non moins mortifère sur l’avortement .
    Il est truffé de contradictions telles que :
    selon le “bon vouloir” Monsieur Léonetti on ne limitera pas la congélation des ovocytes “parce que ce n’est pas la même chose que pour l’embryon”.
    Circulez, il n’y plus rien à voir ici comme aileurs.
    Et le ministre d’entériner aussitôt l’avis du très petit rapporteur néanmoins tout- puissant recréateur de la race pure “destinée à vivre”.
    C’est du pur cynisme car quelle est la différence de traitement d’avec les embryons qu’ils soient voués à la pharmacopée ou à la poubelle ?
    Est-ce que le rôle, la mission première du politique, est de réinventer prétentieusement le sens de l’humanité ou de respecter et de préserver celle-ci quelque soit l’ évolution des connaissances ?
    Qui sont ces margoulins de bas étage qui se croient autorisés à tout et à n’importe quoi ?
    Ils n’ en avaient déjà pas beaucoup,mais ils sont entrain de perdre toute légitimité.
    Honte à ces apprentis-sorciers qui usurpent leurs pouvoirs!
    Le seul traitement qui puisse leur convenir est l’objetcion totale de conscience de tous les hommes et femmes de bonne volonté à toute participation à toute mascarade électorale.

  3. Quelqu’un peut-il vérifier? Apparemment, la directive parle beaucoup de primates mais pas au stade embryonnaire.
    http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2010:276:0033:0079:FR:PDF

  4. Donc si j’ai bien compris, c’est parce que M. Bertrand, Franc-maçon de son état, a suspendu la séance, que l’amendement pour autoriser les recherces sur l’embryon a été adopté?

  5. La directive dit :
    “Les soins et l’utilisation d’animaux vivants à des fins scientifiques sont régis par des principes de remplacement, de réduction et de raffinement [sic] établis sur le plan international… Lorsque aucune méthode alternative n’est reconnue… le nombre d’animaux peut être réduit en employant d’autres méthodes et en mettant en œuvre des stratégies d’expérimentation, comme les essais in vitro et d’autres méthodes susceptibles de réduire et de raffiner [resic] l’utilisation des animaux.”
    Et encore mieux : “Les animaux ont une valeur intrinsèque qui doit être respectée.”
    Mais en fait la véritable raison pour ne pas utiliser les primates n’est pas dans ces grands principes, qu’on aimerait d’ailleurs voir appliqués aux embryons humains !, elle est ÉCONOMIQUE.
    Il y presque 30 ans, mon professeur d’embryologie le visionnaire Maurice MAROIS ( http://www.mauricemarois.org/ ) nous expliquait déjà qu’on n’étudiait plus les embryons de primates car l’élevage de ceux-ci coûtait beaucoup trop cher, et que des laboratoires ne disposaient même plus de souris.
    Comparez le prix d’une animalerie (vétérinaires compris) de gorilles dans une faculté de médecine, avec celui d’une Fécondation In Vitro humaine dans un hôpital qui nécessite très peu de matériel et dont la “donneuse” est “bénévole” et n’a pas à être “élevée”, et vous aurez tout compris…
    Seul le “matériel” humain est gratuit !

  6. La lecture du débat montre que c’est M. Bertrand qui a interrompu le vote et dans la foulée c’est Leonneti qui a demandé la suspension de séance.
    Quand je vous disait que M. Leonneti n’était pas “fiable” ! Il cèdera un jour sur l’euthanasie.
    La suite est pas mal non plus :
    M. Philippe Gosselin : “Toutefois, entre le risque d’une interdiction totale de la recherche et celui d’une autorisation définitive, c’est par pragmatisme, même si certains estiment que ce n’est pas très courageux, que je choisirai le moindre mal.”
    M. Hervé Mariton, qu’on croyait vouloir protéger l’embryon a dit “je n’ai jamais été favorable à l’interdiction absolue de la recherche” puis a dit faire confiance au gouvernement pour instituer des “limitation nettement plus stricte des dérogations.”
    Voila à quoi tient le sort de l’humanité à son début : le vote de 16 personnes, véritables girouettes dans leurs convictions, à 4h du matin !

  7. Non, pas une anesthésie, un attrape-nigauds.

  8. si la directive parles du foetus de mammifaire à un “stade même plus précoce”
    Il convient que la présente directive s’applique aussi aux formes foetales des mammifères, car certaines données scientifiques montrent que ces formes, dans le dernier tiers de leur période de développement, présentent un risque accru d’éprouver de la douleur, de la souffrance et de l’angoisse, qui peuvent aussi affecter négativement leur développement ultérieur. Il est aussi démontré scientifiquement
    que des procédures appliquées à des formes embryonnaires et foetales à un stade de développement plus précoce peuvent occasionner de la douleur, de la souffrance, de l’angoisse ou un dommage durable si on laisse vivre ces formes au-delà des deux premiers tiers de leur développement.

  9. ça ne sert à rien de descendre en flèche M. Gosselin qui a été particulièrement courageux au cours du débat (je peux vous en assurer car j’étais présent en tribune pour assister aux débats)
    En revanche, il faut saluer le plus grand courage de Dominique SOUCHET (MPF) et Marc LE FUR (UMP), les deux seuls députés de droite à ne pas avoir voté l’article 23 malgré les pressions
    Il reste à voir ce que donnera le vote sur l’ensemble du texte demain

  10. @ Loulou :
    le “boulot” d’un député, ce sur quoi on le juge, ce n’est pas des discours courageux mais de bien voter. A la fin il ne reste que cela, et c’est sur ce seul critère que le Salon Beige les note.

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