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France : Laïcité à la française / L'Eglise : L'Eglise en France

Qu’est-ce que le christianisme patrimonial ?

Jean-Pierre Denis, directeur de la rédaction de La Vie, vient de publier une tribune intéressante sur la question de la statue de saint Jean-Paul II à Ploërmel. Charles de Meyer y répond :

22852021_10215042346271583_8626832138865465415_n"Quelques arguments m’y semblent légers.

D’abord, l’introduction ose un parallèle délicat entre le jugement du Conseil d’Etat et le célèbre verdict de Salomon. J’ai mal saisi s’il était ironique ou non. L’article 28 de la loi de 1905 dispose : « Il est interdit, à l'avenir, d'élever ou d'apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l'exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires, ainsi que des musées ou expositions »

Il revient à des juristes de raconter la pratique sur ce sujet. Toutefois, la lettre de la loi nous rappelle que le texte visait bien à un basculement historique (« à l’avenir ») et à une défense fanatique de la neutralité de l’espace public (soyons honnête, Jean-Pierre Denis fait une blague sur le sujet dans son article). Il est loin d’être interdit de penser que cet article, comme tant d’autres dans la loi de 1905, est un signe du rapport de force de l’époque, rapport dont le moins qu’on puisse dire est qu’il avait d’autres ambitions que le bien commun.

Une partie de la politique est fondée sur les rapports de force. On peut s’en plaindre. On peut aussi se battre pour un tirer le plus grand bénéfice.

Il est aussi loin d’être interdit de penser que la loi de 1905 ayant produit son détestable effet, apposer une croix n’est plus faire une profession de foi mais refléter une culture ou une civilisation. En l’espèce, on a du mal à comprendre comment il n’y aurait pas de vérité culturelle dans le fait de placer une croix à côté d’un Polonais, d’un Pape, et d’un Saint. Il s’agit d’ailleurs d’une commande municipale. Et le contrôle de légalité qui s’exerce sur cette commande ne concerne pas le témoignage de la foi, mais bien les caractéristiques de l’œuvre.

Oui mais alors danger ! Nous oublierions que la Croix doit être la seule propriété de la spiritualité. Le texte de la tribune nous dit alors : « Et tout chrétien se rappelle que le bois de la Passion n’est pas une bannière politique ou un marqueur idéologique, mais l’arbre vif d’un Dieu vivant. Il se le rappelle d’autant plus qu’un christianisme pleurnichard et patrimonial, ce serait tout ce que l’antichristianisme réclame. » Comme j’ai eu l’honneur de quelques citations dans le brillant dossier de La Vie sur les horribles déviationnistes du catholicisme, je me sens une certaine solidarité avec les pleurnichards.

Cela offre la possibilité d’un étonnement larmoyant : pourquoi l’Eglise n’interdit elle pas toute utilisation de la Croix dans d’autres espaces que ceux consacrés à Dieu ? Pourquoi le catéchisme ne nous explique-t-il pas quels sont les lieux de Dieu et les lieux qui lui seraient refusés ? Après tout, on sait avec combien d’horreurs certains bafouèrent le symbole du Christ, il convient donc de protéger ce symbole, cette source de vie, de toutes les afflictions mondaines et idéologiques. Les méchants catholiques s’en émouvaient déjà, ainsi Léon Daudet dans Les Idées en armes « la croix gammée est bien mieux qu’une hérésie. Elle est une croisade contre la Croix de NSJ, contre la morale chrétienne, appelée par Nietzsche « morale des esclaves » et une brutale négation du dogme et des Evangiles. » Certes.

Mais combien de conversions devant les piliers ? Combien d’éblouissements devant les crucifix de campagne ? Combien de signes de croix de provinciaux éloignés de la pratique aux carrefours ou dans les champs ? Dieu peut très bien choisir de parler au pauvre païen pseudo-panthéiste qui se signe par réflexe quand le Christ se recouvre de son signe. Il le fait d’ailleurs. Le Christ se joue si souvent de notre petite symbolique humaine pour parler aux âmes. L’époque est à la louange chrétienne devant la beauté de la création et il n’est pas interdit d’ouvrir cette louange à un calvaire, si profanement installé soit-il. 

Jean-Pierre Denis note que la Croix est « l’arbre vif du Dieu vivant ».

L’image est belle. Belle et intéressante : j’épargne le truisme des racines, mais chacun aura compris qu’il serait bien étonnant que tant de saints, de pêcheurs en prière, de repentis ou de médiocres qui foulèrent la terre de France en conservant une petite place pour Dieu ne lui offrent pas quelques grâces ou quelques providentiels secours. J’ai vraiment du mal à imaginer qu’environ 2000 ans d’arbres doués de vivacité n’offrent pas un patrimoine conséquent à leurs héritiers. Un héritage qui s’étend d’âge en âge, fortifiant les âmes, sécurisant les foyers, labourant les vocations. A moins de considérer que tout cela n’est qu’une punition divine, la disparition de ce legs explique peut-être le côté rabougri du christianisme certainement très vivant mais surtout particulièrement absent ou relégué que ma génération a le plaisir de recevoir.

La parabole des talents possède à ce titre, un côté très patrimonial. « Car on donnera à celui qui a, et il sera dans l’abondance, mais à celui qui n’a pas on ôtera même ce qu’il a. 30 Et le serviteur inutile, jetez-le dans les ténèbres du dehors, où il y aura des pleurs et des grincements de dents. » Bien entendu, on sait bien que c’est la ligne qui traverse le cœur de l’homme dont il est notamment question. Et si nous savons parfaitement que nos œuvres ne nous sauveront pas, il n’est pas interdit de croire qu’en s’efforçant de faire le bien, jusque sur les murs de la Cité, nous ne tirerons pas quelques divins sourires.

Encore un mot : pourquoi faudrait-il retirer leurs crucifix à tous ces pauvres gens qui n’entendent pas que la Croix est l’occasion d’un témoignage ? Notre foi est incomplète, imparfaite, moyennement apostolique ? Est-ce une raison suffisante pour nous châtier en affirmant que nos émotions, nos prières maladroites ou notre attachement instinctif à des Croix ne seraient pas assez parfaits, insuffisamment purs, pour plaire à Dieu ?

C’est peut-être ce que Jean-Pierre Denis veut dire en écrivant : « Certains ont le sentiment que l’on étouffe ce qui reste de leur catholicisme avant de le renvoyer définitivement au musée. Ils n’ont pas complètement tort. Dans une France de plus en plus déracinée et une république toujours plus déculturée, le christianisme devient l’impensé national. » Mais alors franchement quel besoin de faire la leçon sur le fait que face à un mal, la meilleure réponse demeure la charité ? Ne le savons-nous pas ? Est-ce pour essayer une fois encore de nous jouer la chanson de l’extrême droite fondant sur le catholicisme ? Est-ce pour nous infliger une péroraison sur la supériorité d’un catholicisme sur l’autre ?

Nous écoutons le même évangile, nous prions le même Dieu, demandons les mêmes intercessions, souffrons des mêmes doutes, désirons ardemment le même Salut. Que nous tenions pour d’autres idées sur la place d’un privilège catholique en France, de la constitution réelle de l’antichristianisme dans notre pays, ou encore sur la force incroyable du patrimoine, c’est évident. Que ce soit toujours les mêmes arguments qui aiguisent la vindicte, inventent des extrémismes, fantasment des dérives identitaires, l’est aussi.

Nous ne sommes pas d’accord. C’est ainsi. Nous pourrions aussi éviter de disputer sans cesse de nos brevets de catholicisme ou de la vérité de notre charité."

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2 commentaires

  1. Est-ce que le catholicisme ne récolte pas dans la rue une certaine punition de son excessive timidité à l’intérieur même des églises ? Peut-être faudrait-il employer le mot de “complaisance” ? Mais “complaisance avec quoi ? Complaisance avec le “monde”. Je vais tenter d’exprimer mon sentiment :
    On observe que les églises et plus encore les cathédrales, abbayes fameuses, calvaires fameux sont de plus en plus visités par les touristes et même par les fidèles comme des monuments historiques, châteaux et musées. On ne fait plus la génuflexion devant le Saint-sacrement. On s’intéresse à l’architecture, aux coloris des vitraux, aux proportions de l’édifice, aux périodes de construction. Des panneaux nous expliquent souvent tout ça en détail dans les fonds des églises ou dans des chapelles absidiales. Les groupes guidés passent rapidement. Les flash jaillissent des caméras anciennes. Les tablettes enregistrent. Les plus sages lisent ces explications avec attention.
    Mais voit-on sérieusement un prêtre ou un pieux laïc expliquer à ces visiteurs ou aux enfants du catéchisme qui sont ces saints dont on aperçoit les statues, quelles sont ces croix de consécration, ces dalles obscures, ces ex-voto ? Quel catholique peut dire que son prêtre lui a fait visiter l’église paroissiale en commentant les œuvres d’art éclatantes de beauté ou d’une rusticité exemplaire en insistant sur la signification religieuse catholique du “décor” ou du mobilier, en manifestant du respect pour le lectionnaire posé sur l’ambon et tout simplement en priant à genoux, en appelant au secours les saints par des litanies ?
    Oui il nous reste à rédiger des guides des églises qui soient non seulement des guides culturels mais aussi des guides cultuels. Et il nous faut nous-mêmes devenir des guides cultuels pour transmettre par la parole et l’exemple ce que les saints nous ont transmis souvent par le sang.
    “Je m’approcherai de l’autel de Dieu, du Dieu qui remplit de joie ma jeunesse”.
    FT

  2. Si la croix avait été mise à l’envers, elle aurait été permise…. Cela en dit long sur ce qu’est devenue notre civilisation occidentale !
    L’intervention d’Emmanuel Macron, le 15 octobre 17 au soir, de son bureau à l’Elysée, ne fait que le confirmer :
    http://www.panamza.com/wp-content/uploads/2017/10/macronsatan.png
    http://www.churchofsatan.com/images/lavey-altar-portrait-lg.jpg

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