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France : Politique en France / Pays : International

Opération Barkhane : Bernard Lugan répond à Jean-Dominique Merchet

MerchetLe Salon beige avait rapporté les deux points de vue divergents concernant l'efficacité  de l'engagement des armées françaises dans l'opération Barkhane. Celui de Jean-Dominique Merchet : l’opération française Barkhane à nouveau contournée. Et celui de Bernard Lugan : Le dispositif Barkhane rend les espaces nordistes du Mali et du Niger de plus en plus hostiles aux terroristes.

Fait assez rare dans le monde des médias et le milieu journalistique, Jean-Dominique Merchet offre à Bernard Lugan un espace d'expression sur son blog Secret défense afin qu'il puisse exposer à nouveau son point de vue. C'est une prouesse qui mérite d'être soulignée. Jean-Dominique Merchet fait honneur à son métier de journaliste en donnant la parole à un spécialiste de l'Afrique pourtant banni des médias. Vous pouvez lire son texte sur Secret défense ou ci-dessous :

"L’africaniste Bernard Lugan, qui connaît bien les problématiques du Sahel et les milieux militaires, nous a répondu. Nous publions son texte, convaincus que nous sommes que sans débats contradictoires, il ne saurait y avoir de réflexions pertinentes. Le voici :

Sans-titref« Les sanglantes attaques terroristes menées à Bamako le 20 novembre 2015 et à Ouagadougou le 15 janvier 2016, font dire à certains journalistes spécialisés dans les questions militaires que « l’opération Barkhane a été contournée » et que la question à la fois de son coût – 700 millions par an -, et de son terme, doit donc être posée. Jean-Dominique Dominique Merchet écrit même que « Barkhane est victime du syndrome de la ligne Maginot. Ces opérations empêchent l’ennemi de passer là où l’on a décidé qu’il ne passerait pas, mais il n’en a cure et prend un autre chemin ».

Cet avis rappelle la controverse Lyautey-Pétain quand, durant la guerre du Rif, le second, qui ne connaissait le Maroc que par les cartes, reprochait au premier sa manœuvre d’étouffement d’Abd el-Krim parce qu’elle ne donnait évidemment pas les résultats immédiatement visibles qu’aurait pu produire un frontal assaut de tranchée… Oublions donc les visions métropolitaines et même à certains égards « betteravières », pour ne prendre en compte que les réalités des grands espaces de l’ouest africain. Or, ces derniers ne peuvent s’analyser en chambre: 

1) Les connaisseurs de la région savent que sans quadrillage de l’immense zone saharo-sahélo-guinéenne, il est impossible d’éradiquer le jihadisme. Or :

– Nos moyens drastiquement réduits par le couple Sarkozy-Morin nous l’interdisent.

– De plus, et même à supposer que nous puissions couvrir toute cette région, nous ne contrôlerions pas pour autant l’Algérie, la Libye et le Nigeria d’où pourraient être lancées des actions terroristes.

– Plus encore, nous n’aborderions toujours que le volet militaire alors que le fond du problème devient de plus en plus celui de la wahhabisation des populations de la bande sahélo-guinéenne qui fournit un terreau fertile aux jihadistes.

2) Dans ces conditions, à moins d’abandonner l’ouest africain pour consacrer tous nos moyens à une illusoire « ligne Maginot » métropolitaine de type « Sentinelle », que pouvons-nous faire d’autre que de perturber les mouvements terroristes, limiter leur liberté d’action, empêcher leur coagulation et couper leurs liaisons avec leurs bases de Libye ? Ce que fait excellemment Barkhane

Nous avons en effet deux priorités :

La première est de rendre la plus hermétique possible la frontière entre la Libye et le Niger, afin d’éviter le ré-ensemencement du jihadisme sahélien à partir de la Libye.

La seconde est de protéger la région du lac Tchad, pivot régional, afin d’éviter l’embrasement du Cameroun et de toute la sous-région à partir du foyer allumé par Boko Haram.

Or, jusqu’à présent, Barkhane a parfaitement rempli cette double et difficile mission, notamment, mais pas exclusivement, grâce aux implantations dans la zone de la passe Salvador-Toumno-Madama.

Cependant, et sur ce point Jean-Dominique Merchet a raison, et je ne cesse d’ailleurs de mettre en garde mes auditoires militaires, car il ne faudrait pas que cette barrière défensive installée dans le nord du Niger, devienne effectivement une « ligne Maginot ». En plus d’être vulnérable, elle est en effet facilement contournable à l’ouest, à partir des passes orientées est-ouest qui tombent du plateau de l’Acacus pour confluer sur la frontière algérienne. Les actuels bons rapports que Paris et Alger entretiennent devraient (en principe…) mettre nos forces à l’abri de mauvaises surprises venues de la région de la passe d’Anaï. Quant à un contournement depuis l’est, c’est-à-dire par le Tchad, comme il devrait se faire par l’espace de peuplement toubou, il se heurterait aux forces armées tchadiennes et à nos éléments sur zone.

3) La critique de Barkhane ignore un autre résultat essentiel de l’opération qui est que les trafiquants commencent à se séparer des jihadistes. Nous sommes là au cœur du problème :

– C’est en effet sur les réseaux de la contrebande transsaharienne que se sont originellement greffés les jihadistes repliés d’Algérie ;

– Or, les incessantes patrouilles de Barkhane, même si elles ne sont pas prioritairement dirigées contre eux, perturbent les trafics. Comme, de plus, les katibas jihadistes ont été défaites et dispersées, comme elles ne disposent plus de leur sanctuaire des Iforas et comme elles ne se meuvent plus en terrain conquis, elles n’inspirent donc plus la même peur aux trafiquants qui voient leurs « affaires » péricliter en raison de la guerre.

– Nous savons que pour ces derniers, la question qui se pose est désormais simple : faut-il continuer à collaborer avec des jihadistes dont la présence conduit les Français à « mettre le nez » dans des activités de contrebande ancestrales et vitales pour les populations de la zone ?

4) Bousculés dans la partie nord peu peuplée de la zone saharo-sahélienne, et s’y sentant moins en sécurité qu’auparavant, les jihadistes ont replié leurs « états-majors » en Libye, à l’abri de Barkhane. Parallèlement, ils ont ouvert les hostilités plus au sud, dans la bande sahélo-guinéenne, d’où de nombreuses attaques dans la région de Mopti au Mali et sur la frontière du Burkina Faso, là où les populations sont en cours de wahhabisation. Le site Mondafrique nous apprend à cet égard  que pour la seule année 2013, près de 722 missions  « humanitaires sont parties du Qatar vers le Burkina Faso (…) ». Or,  ces « actions humanitaires qataries servant de cheval de Troie à l’islam radical sont concentrées sur les zones frontalières entre le Mali et le Burkina ».

Là est désormais le vrai problème. Or, il échappe aux militaires de Barkhane puisqu’il est politique : la France peut-elle lutter contre le jihadisme ouest africain tout en continuant à privilégier des rapports politiques et commerciaux avec un Qatar clairement à l’origine de la radicalisation des populations de la zone que nous protégeons ?

 En définitive,

1) Si nous allégions Barkhane, nous provoquerions un appel d’air pour les jihadistes de la zone saharo-sahélienne qui auraient tôt fait de reprendre le contrôle des régions  d’où ils furent chassés par Serval, ainsi que des réseaux de contrebande sur lesquels ils avaient ancré leur précédente implantation.

2) C’est tout au contraire à un élargissement et à un renforcement de Barkhane que nous devrions procéder, mais en y associant des unités mixtes franco-africaines à recrutement local, c’est-à-dire ethno-régional et non national, dont l’élément français serait composé d’éléments permanents, et dont les cadres, qui devraient parler la langue de ceux qu’ils auraient à commander, auraient reçu une formation du type des anciennes « Affaires indigènes ».

3) Enfin, dans l’optique de l’intervention internationale qui devrait se faire en Libye, le rôle de Barkhane serait d’une telle évidence qu’il est inutile de développer ce point. »

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7 commentaires

  1. c’est tellement rare qu’il soit permis de saluer les deux journalistes merci merci messieurs.

  2. enfin une “dispute” (sens grand siècle) qui donne des points de vue intelligents et cohérents!
    les gaulois ont quitté la plaine!

  3. Oui, bravo!

  4. Le QUATAR et l’ARABIE SEOUDITE! Quand on a vendu son âme au diable…

  5. Il s’agit au fond d’un conflit mettant en jeu la soumission de l’Afrique à l’islamisme “des origines” contre le réveil de l’esprit africain (que semble bien connaitre ou pressentir Bernard Lugan).
    Barkhane est une composante essentielle de la lutte contre l’islamisme. C’est une action défensive formée du renseignement exploité sur le terrain, action adaptée à la géographie de l’Afrique pour protéger ce continent.
    Que manque-t-il pour exploiter correctement ce bouclier sans tomber dans le syndrome dénoncé par J.D. Merchet ?
    Il faut constituer une puissante réserve “intellectuelle” offensive capable de détruire (ou neutraliser)toute influence africaine de l’Arabie Saoudite et du Quatar.
    Il est donc urgent de provoquer au sein de l’islam africain une réflexion en profondeur en suscitant les réformes internes : “interpréter” le coran du moyen-âge ou le moderniser.
    N’est-ce pas ce qu’a déjà commencé le président égyptien ?

  6. Très intéressantes analyses.
    Mais nous sommes au bout de nos possibilités, ce qui signifie que nous ne pouvons pas mettre un soldat de plus dans cette opération, donc nous sommes en situation tactiquement de subir et non d’imposer car nos moyens sont ridicules face à l’espace à contrôler.
    L’initiative revient à Daesch, cela s’est encore vérifié avec la dernière attaque d’hôtel à Ouagadougou.
    Or en matière tactique, c’est celui qui a l’initiative qui finit par l’emporter. Par ailleurs, si la population ne nous soutient plus, cette opération est vouée à l’échec, sommes nous capables de conquérir les coeurs devant le wahhabisme ? Je crains fort que non.
    Seul un engagement massif de nos partenaires occidentaux pourrait permettre de renverser cette situation déséquilibrée, c’est un voeu pieux qui n’a pas d’avenir, autant p.s..r dans un violon.

  7. Oui nous sommes tournés comme le fut la ligne Maginot et tout le monde le sait très bien. Au risque de choquer je dirais qu’il faudrait d’ailleurs enfin se décider à ABANDONNER L’AFRIQUE et, en revanche, nous protéger d’elle par tous les moyens.
    Cette folie africaine héritée de la IIIème Républque nous pollue depuis plus d’un siècle : rompons ces liens dangereux et, s’il faut regarder ailleurs, il reste l’Amérique et l’Asie où il y a de quoi commercer et grandir économiquement et surtout humainement.
    Arrêtons d’ailleurs par la même occasion nous aussi de polluer l’Afrique car c’est à double sens : je peux vous dire que l’Afrique d’il y à 40 ans était autrement paisible et heureuse que celle d’aujourd’hui. Pourquoi à votre avis ?

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