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L'Eglise : Vie de l'Eglise

« N’aie crainte petit troupeau, j’ai vaincu le monde ! »

« N’aie crainte petit troupeau, j’ai vaincu le monde ! »

Alors que Houellebecq, en maître de la description de la misère occidentale, vient de publier une tribune sur l’effondrement de la France, l’abbé Danziec s’attache dans Valeurs Actuelles à rappeler que “même le plus noir nuage a toujours sa frange d’or” :

« Les promesses n’engagent que ceux qui y croient » : à une semaine du 1er tour des régionales, le naïf pensera que la sentence se prête spécialement aux électeurs des Hauts de France ou de PACA. C’est pourtant davantage du côté des lecteurs fidèles de Michel Houellebecq que cette citation trouvera un écho. L’auteur de Soumission avait promis une cure de silence. « Je ne promets pas absolument de cesser de penser mais au moins de cesser de communiquer mes pensées et mes opinions au public, hors cas d’urgence morale grave » confiait-il dans son dernier recueil d’interventions publié en octobre dernier (Interventions 2020, Flammarion). Faut-il croire que l’heure soit, de nouveau, particulièrement grave ? Michel Houellebecq vient de signer en tout cas un papier inédit, publié en anglais sur le site d’information britannique UnHerd. Invité par la plateforme numérique à réagir à la fameuse “Tribune des Généraux” publiée par Valeurs Actuelles, le romancier offre aux lecteurs une méditation conséquente sur le délitement français.

Dans ce texte très sombre, qui n’étonnera personne lorsque l’on connaît l’auteur, Houellebecq ouvre sa réflexion par une citation de Pascal : « Je regarde de toutes parts, et je ne vois partout qu’obscurité ». Son analyse est claire : le monde dans lequel nous vivons nous empêche de regarder par la fenêtre et d’enfouir notre regard dans le ciel. Tel un petit Nicolas qui voudrait s’évader, libre, avec Alceste, Rufus et Clotaire dans la cour de récréation, nous voici réduits à entendre la voix sévère du “bouillon” qui nous maintient en classe et nous contraint à l’austérité de son tableau noir. Oui, le monde dans lequel nous vivons semble vouloir mettre en retenue notre âme et lui ordonner de rester au coin.

« Penser que “c’était mieux avant” nous empêche-t-il de retrousser nos manches pour édifier un monde meilleur ? »

Au-delà des disciples de Houellebecq, les amoureux de la France éternelle savent qu’ils sont les enfants de celle qui est à la fois la fille aînée de l’Eglise et la mère des arts, des armes et des lois chantée par Du Bellay. Héritiers et débiteurs, nous nous sentons écartelés, sinon incompris. La vérité, aiguisée comme une lame, nous tranche de ses deux côtés. D’une part, nous avons le sentiment d’être livrés à nous-même, exilés, tels des métèques spirituels ou des collés du mercredi, perdus dans un univers de plus en plus hermétique à l’enseignement du Christ qui a pourtant façonné notre civilisation. D’autre part – j’ai honte de le dire en tant qu’homme de Foi – il peut arriver que ce monde nous désespère. Nous désespère parce qu’il nous fatigue, parce que sa laideur nous effraie, que ses moeurs nous lèvent le coeur, que ses figures médiatiques nous débectent, que les modèles qu’il nous impose nous apparaissent profondément méprisables. Nous découvrons, gênés et confus, que trop souvent nous n’avons pas le goût du partage ou de la diffusion. Que nous sommes bien entre nous, certes. Mais surtout, que nous voulons rester sans eux, au point de garder l’évangile pour nous. Ah, cet évangile ! La mélancolie nous fait regretter cet heureux temps où il était partagé par tous. Oui, nous sommes convaincus, comme l’annonce le bandeau du dernier livre de Patrick Buisson, que « c’était mieux avant ». Mais le penser, nous empêche-t-il de retrousser nos manches pour édifier un monde meilleur ? Voici tout le dilemme de la vertu d’espérance. Péguy en parlait comme d’une petite fille, Benoît XVI lui a consacré une encyclique magistrale. En vérité, l’espérance ne relève ni d’une option préférentielle ni d’un positionnement de circonstance. Elle est la condition essentielle du relèvement de la nature humaine en période de décadence. Que Michel Houellebecq me pardonne mais Saint Augustin le disait mieux il y a 16 siècles qu’il ne saurait le dire aujourd’hui :

« On rencontre des gens qui récriminent sur leur époque et pour qui celle de nos parents était le bon temps ! (…) Le passé dont tu crois que c’était le bon temps, n’est bon que parce que ce n’est pas le tien ».

Le suicide de la modernité, quelle réjouissance !

La ligne de crête entre lucidité et espérance se présente mince, fragile. Elle est surtout exigeante à vivre en société. Lorsque nous cherchons à être lucides, certains pourraient nous reprocher d’être désespérants. Lorsque nous prêchons l’espérance, certains pourraient nous reprocher de nous abriter derrière un optimisme béat et tranquillisant. Alors que faire ? Comme souvent en matière d’impasse, la grâce offre cette poignée de main nécessaire pour s’élever et s’en sortir. Cette réponse intime, le chrétien authentique la connaît et la porte en bandoulière, sans peur et sans reproche, autour de son âme. Depuis l’avènement du Christ, la solution n’a pas changé d’un pouce. Elle demeure toujours la même : être soi-même, à l’école de l’évangile. Travailler dans le temps long en s’appuyant sur la grande Tradition de l’Eglise. Puiser dans son patrimoine de sagesse, de prudence et d’héroïsme qui invite à la persévérance, à l’habileté et au martyr. Semer sans peut-être moissonner. Apporter sa pierre sans forcément voir de son vivant l’édifice achevé. Mais savoir avec certitude que l’on participe, à sa manière, à l’établissement de ce qui dure et qui protège.

Aux couards ou aux craintifs, Jésus-Christ se voulait déjà rassurant : « N’aie crainte petit troupeau, j’ai vaincu le monde ! ». Que ceux qui s’étonnent d’être le rebus du monde quand ils voudraient le convaincre, se consolent donc en se rappelant que la vérité qui rend libre finit toujours par éclater. Et déjà, elle triomphe ! Zemmour parlait du “suicide français” mais Houellebecq a davantage raison d’écrire que nous assistons au suicide de la pensée moderne. Tel un mauvais arbre qui ne peut donner que de mauvais fruits, et achève de se pourrir lui-même, la pensée moderne finit par se dévorer elle-même. De l’antiracisme à l’indigénisme, de la permissivité à l’intersectionnalité, de la liberté d’expression aux censures du politiquement correct : le serpent se mord la queue.

A bien des titres, notre époque est épatante. Epatante parce que les faits annoncés par ceux que l’on traitait de réacs dans les années 70, montrent qu’ils avaient raison. Epatante parce que la doxa soixante-huitarde apparaît à bout de souffle, et leurs thuriféraires hors du coup. Epatante parce que, dans les ténèbres, la plus petite des lueurs trouve un éclat particulier. Epatante parce que l’heure est à rebâtir après cinquante années de déconstruction qui laissent derrière elles un immense champ de ruines. Tout est à refaire et la tâche apparaît considérable ? Si l’adage affirme qu’« impossible n’est pas français », la Foi enseigne surtout que « rien n’est impossible à Dieu » et qu’« elle déplace les montagnes ». Bernanos garantissait que ce n’était pas son désespoir qui lui faisait refuser le monde moderne, mais qu’au contraire il le refusait « de toute son espérance ». Fustiger les erreurs modernes de toute notre espérance réclame donc de rétablir la vérité avec le même élan. A cet égard, l’espérance n’est plus seulement un trésor. Elle devient un courage. Un courage à souhaiter au plus grand nombre.

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