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Liberté d’expression des militaires : hypocrisie, obsolescence ou arbitraire politique ?

Liberté d’expression des militaires : hypocrisie, obsolescence ou arbitraire politique ?

Les trois, mon général ! C’est ce que nous pourrions répondre au général d’armée Lecointre, chef d’état-major des armées, qui vient de s’exprimer au sujet de la tribune signée par plus de 15 000 militaires à la retraite, dont une trentaine de généraux (2S).

Nous ne saurons jamais si le général Lecointre a reçu l’ordre de s’exprimer ainsi dans les médias ou s’il s’agit de sa propre initiative. La deuxième hypothèse risque de ne pas être très appréciée par les militaires d’active quand on sait que, selon ce sondage, 58% des Français approuvent cette tribune et que plus de 70% estiment qu’il existe bel et bien un délitement de la société française. Chacun se souvient de la magnifique haie d’honneur dont avait bénéficié son prédécesseur, le général Pierre de Villiers, lors de son départ de Balard.

En général, les militaires d’active n’aiment que l’on agresse injustement les leurs, qu’ils soient d’active ou en retraite. Et encore moins, lorsque cela se fait sur ordre des politiques pour de basses raisons politiciennes… Chacun aura compris que les sorties médiatiques coordonnées des différents ministres (“quarteron de généraux en charentaises”, “bruit de bottes”, “putsch” etc…) ne sert qu’à donner des signaux à l’électorat de gauche pour 2022 en vue d’un front républicain qui fait de moins en moins recette.

Qu’un chef d’état major des armées tombe dans ce piège médiatique est plutôt désolant, surtout qu’il en rajoute inutilement et dit des choses manifestement fausses :

” (…) Pour l’essentiel, ce sont des gens qui ont quitté l’armée il y a 20 ou 30 ans, que ma génération d’officiers n’a pas connus. [Et pourtant, il y a 18 militaires d’active qui ont signé. Et il suffit de regarder les états de service de certains généraux pour comprendre que certains de leurs subordonnés peuvent encore servir dans les armées aujourd’hui. Quand au général Lecointre, il a atteint l’âge de la retraite et va même être prolongé jusqu’en 2022 et fait donc parti des plus ancien militaires d’active en service. Il en a donc forcément connu, NDPC]

Il ne reflète en rien l’état d’esprit des armées aujourd’hui. L’armée est républicaine [sic], elle n’est pas politisée, combat tous les jours pour son pays. Elle est à l’image de la société française. Contrairement aux fantasmes que certains entretiennent, elle est très diverse socialement. C’est le billet de gens à la retraite, qui ont une vision décalée de la réalité de nos engagements : je leur dénie le droit de porter un jugement sur ce que nous sommes ! [La tribune traite de l’état de la société et ne porte aucun jugement sur l’armée française, NDPC](…)

C’est une tentative de manipulation de l’armée inacceptable. Si ces gens veulent s’exprimer, qu’ils le fassent en leur nom, sans mettre en avant leur qualité d’ancien militaire ou leur grade. Quand on est général en 2e section, on s’engage statutairement à respecter le devoir de réserve. [On ne se souvient pas de la même réaction de sa part lorsque le général (2S) Pierre de Villiers a évoqué sa crainte de guerre civile en France (voir ci-dessous), NDPC]

Je souhaite que leur mise à la retraite d’office soit décidée. C’est une procédure exceptionnelle, que nous lançons immédiatement à la demande de la ministre des Armées. Ces officiers généraux vont passer chacun devant un conseil supérieur militaire. Au terme de cette procédure, c’est le président de la République qui signe un décret de radiation”

Tout d’abord, il y a probablement une obsolescence des lois qui encadrent le statut des généraux en deuxième section. En effet, la notion de deuxième section remonte à 1839, sous le règne de Louis-Philippe, afin de permettre le rappel en temps de guerre des généraux à la retraite. Ce statut constitue une exception en Europe. En 2004, la commission Denoix de Saint-Marc avait en vain proposé de limiter à 68 ans ce statut. Qui peut croire aujourd’hui que l’on va rappeler en première section un général à la retraite âgé de 75 ou 85 ans ?

Ce statut n’est plus justifié militairement et n’offre pas de droits supplémentaires exorbitants à ces grands serviteurs de l’Etat. Le seul intérêt est politique car il permet de leur imposer cette fameuse obligation de devoir de réserve jusqu’à la fin de leur vie, les transformant ainsi en sous-citoyen. Voici la conclusion d’une association d’anciens militaires qui voulait réformer ce statut :

Les officiers généraux en 2ème section doivent pouvoir retrouver à terme l’intégralité de leurs droits civils et politique comme tout citoyen. Rien ne justifie aujourd’hui le maintien d’un officier général sous tutelle du gouvernement jusqu’à sa mort. Cette situation anachronique en Europe a pour conséquence l’appauvrissement de la pensée militaire et la médiocrité du débat touchant la défense. C’est pourquoi l’ADEFDROMIL préconise le maintien des généraux en 2ème section jusqu’à l’âge de 68 ans, âge auquel précisément les très hauts fonctionnaires sont mis à la retraite.

Et il y a en réalité un énorme flou artistique autour du devoir de réserve. La jurisprudence est difficile à comprendre. Voici un extrait du constat établi par le général (2S) Bouquin :

Lorsque qu’un officier général quitte le service actif et rejoint le G2S, une des premières questions qu’il peut chercher à résoudre est celle de la nouvelle liberté qui sera la sienne en matière d’expression… Force est de reconnaître que les investigations peuvent s’avérer décevantes :

Il n’y a pas de règles spécialement applicables aux officiers généraux, ni a fortiori à ceux en deuxième section ; Les textes, qui sont communs à toutes les catégories de personnels militaires, sont finalement peu explicites (ce dont on peut d’une certaine manière se réjouir) ; Ces textes de référence ne sont d’ailleurs pas spécifiques à la fonction militaire, mais sont en général ceux en vigueur pour l’ensemble des fonctionnaires…(…)

Alors, bien sûr, on peut le regretter, ces règles ne permettent pas de déterminer une ligne rouge précise. Elles ont en revanche le mérite de fixer un « cadre prudentiel » pour éclairer les rédacteurs que nous sommes : il est possible de dire certaines choses avec fermeté et conviction, sans craindre de s’exposer, sous réserve de respecter ces règles.

Avec finesse et discernement aussi, car tout est en fait affaire d’appréciation : l’obligation de réserve applicable aux militaires en général et aux officiers généraux en particulier doit être appréhendée sans esprit de système. Et en sachant que les lignes juridiques tracées auront vocation à fluctuer au fil des contentieux.

Lorsque l’on lit la notice des généraux en deuxième section (2S) éditée par le ministère des armées, on constate que le chapitre sur le devoir de réserve est très superficiel et permet effectivement toutes les interprétations les plus contradictoires :

Les opinions ou croyances philosophiques, religieuses ou politiques sont libres. Elles ne peuvent cependant être exprimées qu’en dehors du service avec la réserve exigée par l’état militaire (…) Les interdictions d’adhérer à des associations à caractère politique, syndical ou à des groupements professionnels ne leur sont pas applicables.

Les officiers généraux de la 2e section peuvent librement se porter candidat à toute fonction publique élective. Toutefois, eu égard à leur situation particulière qui les maintient à la disposition du ministre, l’usage veut qu’ils informent le ministre de leur candidature et, le cas échéant, de leur élection.

L’officier général candidat à une élection peut faire état de son grade, en précisant son appartenance à la 2e section, mais il doit respecter un devoir de réserve et demeure lié par l’obligation de discrétion professionnelle pour tout ce qui concerne les faits et les informations dont il a eu connaissance dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions militaires (…)

S’il peut, en tenue civile, assister à des réunions publiques ou privées et y exprimer, en toute liberté quant au fond, ses opinions ou croyances philosophiques, religieuses et politiques, l’officier général est tenu quant à la forme de s’exprimer avec la réserve exigée par l’état militaire. Il lui est notamment interdit de faire des déclarations ou de commettre des actions susceptibles d’engendrer un doute quant au loyalisme envers les institutions dont doit faire preuve celui qui a accepté de servir l’Etat.

Le devoir de réserve concerne la façon dont sont exprimées les opinions personnelles ; il interdit en particulier :
– la violence des propos en public, dans les médias,
– le manque de respect envers les pouvoirs publics et les institutions (propos injurieux),
– les manquements publics à la solidarité qui doit lier le militaire à l’armée,
– l’utilisation abusive du grade dans les documents à des fins publicitaires ou commerciales ; dans les autres écrits, les officiers généraux doivent faire état de leur appartenance à la 2e section.

Indépendamment de ce devoir de réserve, l’officier général demeure naturellement lié par l’obligation de discrétion professionnelle qui lui interdit :
– la divulgation des faits et informations dont il a eu connaissance à l’occasion de l’exercice de ses fonctions,
– tout détournement ou toute communication contraire aux règlements de pièces ou de documents de service à des tiers.

Une lecture attentive met en évidence que les généraux (2S) signataires de la tribune n’ont pas enfreint les directives. Il y a donc une grande hypocrisie qui permet un arbitraire politique scandaleux.

Les exemples d’hypocrisie sont nombreux. Nous en avions relevé plusieurs dans ce post et le Salon beige vient de ressortir une interview du général Lecointre de 2018 où il regrettait le manque de liberté d’expression et invitait même les militaires d’active à s’exprimer “sans se cantonner aux aspects « techniques » de leur métier”.

Aujourd’hui, le général (2S) Pierre de Villiers peut aborder des sujets politiques et même évoquer sa crainte d’une guerre civile dans une interview de décembre 2020 sans être rappelé à l’ordre. Y-a-t-il deux catégories de généraux 2S ?

Récupérer des jeunes de 20 ans qui haïssent la France, qui sont proches des caïds, ou des salafistes, ça ne peut être ni simple, ni rapide. La tâche est gigantesque. Mais avons-nous d’autres choix ? La politique, cela devrait être l’art d’inscrire son action dans le long terme (…) Ce que les Français attendent, ce sont des actions concrètes (…) J’ajoute que les Français ne comprennent pas qu’on leur interdise de sortir sans attestation dûment signée… mais qu’on ne puisse pas expulser un imam qui crache sur la France ! C’est du simple bon sens, pas de la démagogie, de constater qu’il y a des incohérences. C’est tout juste si on ne nous demande pas la taille de nos chaussures mais on ne peut pas expulser un fiché S !

Le climat social était déjà très dégradé avant la pandémie. Ne nous berçons pas d’illusions sur le confinement, qui est comme un couvercle sur la marmite : le climat actuel est au mieux morose, au pire éruptif, en tout cas très instable. Partout, la pauvreté et la colère augmentent. Et six crises se superposent : sanitaire, sécuritaire, économique, financière, géostratégique et évidemment politique, celle que j’appelle la crise d’autorité (…)

Cela peut basculer lentement, ou très rapidement s’il y a une étincelle comme en 1789 ou en 1914. La France est une vieille démocratie, un pays mûr, mais elle a historiquement du mal à se réformer. C’est souvent par explosions, par ruptures. On est dans une drôle de période, qui n’est en fait pas drôle du tout, comme l’était la « drôle de guerre ». La France est en paix depuis 75 ans. Nous les militaires, n’avons pas envie de la guerre. On sait ce que c’est. Ma crainte, c’est la guerre civile. Quand on décapite un prof devant un collège ou qu’on assassine trois personnes venues prier dans une église…

Le ton est différent de la tribune incriminée mais le constat est globalement le même.

Aujourd’hui, un militaire d’active peut cumuler un mandat de conseiller municipal dans les petites villes avec son emploi de militaire. Un militaire d’active peut également se présenter à des élections plus importantes et se retrouver en détachement le temps du mandat puis reprendre sa place dans les armées à l’issue (voir les premiers exemples en 2014).

En 2017, l’année où n’importe quel candidat étiqueté LREM avait une forte probabilité de l’emporter sans trop d’efforts, LREM a réussi à débaucher une femme, capitaine de l’armée de terre, Laëtitia Saint-Paul, qui est ainsi devenue le premier militaire d’active élue au parlement depuis 2018 :

Membre de La République en marche, elle est élue députée en 2017 dans la quatrième circonscription de Maine-et-Loire et devient ainsi le premier militaire en activité élu député depuis 1918. Membre de la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale, elle y officie comme coordinatrice (whip) pour le groupe LREM, jusqu’en septembre 2019. Depuis , elle est vice-présidente de l’Assemblée nationale.

Laëtitia Saint-Paul se permet même de publier un livre où elle apparait en treillis sur la couverture, entretenant ainsi la confusion entre son état de militaire et celui de député. Elle dénonce dans les médias un harcèlement sexuel et une misogynie supposés dans l’institution militaire. Et cela ne choque personne au plus haut sommet des armées ? On ne touche pas à une protégée de la macronie qui se voit même confier des responsabilités importantes (vice-présidente de l’assemblée nationale) alors qu’elle n’a que 36 ans et aucune expérience politique. Le magazine Elle explique qu’elle “pense souvent à Simone Veil, debout à cette place en 1974, lors de son discours sur l’IVG. Se savoir son héritière, même petite, même lointaine, la fait rougir de fier“. Tout est donc pardonné…

Elle est bien utile au pouvoir macronien pour tirer dans le dos de ses camarades dans des interview (voir ici) en jouant justement sur cette hypocrisie puisque les journalistes la présente comme militaire et non comme citoyenne. Paradoxalement, elle déclarait, ce qui devrait a posteriori être considéré comme une défense des militaires retraités signataires de la tribune, les propos suivants :

Ça fait très longtemps que je milite pour les droits politiques des militaires alors que l’armée à cette tradition de la Grande Muette. Concrètement, nous n’avons pas le droit d’adhérer à un parti, nous avons le droit d’avoir une couleur politique seulement au moment des élections. Les militaires ont obtenu le droit de vote encore après celui des femmes

Alors hypocrisie ou arbitraire ?

Autre exemple avec le colonel à la retraite Michel Goya qui peut s’exprimer librement aux côtés de Jean-Luc Mélenchon en 2015 à la tribune de la “commission” défense du Parti de Gauche (ancêtre de LFI) en 2015, et presque en même temps, fustiger avec une rare violence ses camarades qui signent une tribune en tant que lanceurs d’alerte en 2021. Et il les fustige avec un vocabulaire que ne renierait ni Jean-Luc Mélenchon, ni Eric Dupond-Moretti.

C’est totalement son droit d’être engagé à gauche, de nier le délitement de la société, de ne pas comprendre le mouvement des gilets jaunes (qu’il réduit au saccage de l’Arc de Triomphe), de sous-estimer le danger des black-blocs ou des indigénistes, de ne pas voir le problème de l’immigration-massive et de l’islamisation mais faire semblant de ne pas comprendre le sens de cette tribune et crier au putsch est d’une hypocrisie infinie. Michel Goya est pourtant un remarquable historien que le Salon beige préfère lorsqu’il s’oppose brillamment à l’engagement de l’armée de terre sur des missions comme Vigipirate et Sentinelle qui démoralisent et désorganisent nos armées. Sur ce sujet précis, les signataires de la tribune sont très probablement sur la même longueur d’onde mais ils voient juste plus loin que lui…

Le général (2S) Bouquin disait donc que “tout est en fait affaire d’appréciation”. Nous en arrivons donc bien à l’arbitraire. S’engager au profit de LREM ou proposer d’organiser des match de foot dans les banlieues pour éviter la guerre civile, c’est autorisé. S’engager au profit du RN ou s’opposer au pacte de Marrakech, c’est interdit !

Tout est politique et il serait bien naïf de croire le contraire. La ministre, Forence Parly, est dans son rôle de politique. En revanche, il est regrettable que le général Lecointre lui prête main forte dans cette opération politicienne en s’exprimant ainsi dans les médias. Appliquer des sanctions la mort dans l’âme aurait été suffisant…

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2 commentaires

  1. Ces réactions du CEMA n’ont rien de surprenantes!
    On peut rappeler les paroles grotesques qu’il a osé prononcer en 2019 quand à l’action de nos valeureux militaires au Mali:
    “Nos militaires luttent contre le terrorisme et par la même occasion ont une action contre la montée des forces populistes dans l’hexagone”
    Pauvre général!…on comprend mieux sa place aux ordres de Micron…

  2. faux, il a bien entendu eu la cinquième mais attend la sixième…
    Généralement les testicules redescendent avec la quatrième mais pas toujours.

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