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Pays : Etats-Unis

Les problèmes politiques sont fondamentalement des « problèmes religieux et moraux »

Le Bulletin d'Amérique dresse un portrait de Russell Kirk (1918-1994), l'un des intellectuels les plus influents outre-Atlantique. Extraits :

K "Professeur de littérature à l’Université du Michigan, Kirk fut peut être l’un des plus importants penseurs conservateurs américains du XXe siècle. Il était un historien, biographe littéraire, biographe politique, romancier à succès, critique social et essayiste, défenseur de la liberté académique, conseiller des présidents et des candidats à la présidentielle, catholique, stoïcien, débatteur de renommée nationale.

[…] [Il est] l’auteur en 1953 d’un livre-phare pour tous les conservateurs américains : The Conservative Mind, from Burke to Eliot. […] Une polémique célèbre l’opposa d’ailleurs au rédacteur en chef Frank Meyer, puis aux libertariens, sur la question de l’individualisme. Kirk défendait un point de vue communautaire, rejetant ce qu’il nommait «atomisme social», tandis que Meyer plaidait pour une alliance de la liberté individuelle et de la vertu, l’une étant indissociable de l’autre. […] Il a été très critique de la guerre du Vietnam dans les années 1960 et de la guerre du Golfe en 1991 et il jugeait très sévèrement les libertariens pour leur agnosticisme religieux ainsi que les néo-conservateurs pour leur impérialisme démocratique.

[…] Le conservatisme de Russell Kirk (comme le traditionalisme en général) est marqué par un certain pessimisme anthropologique et culturel. Il s’oppose à l’utopie de la perfectibilité indéfinie de l’homme et au culte de la raison. Enfin, il est sensible au déclin de la civilisation et aux conséquences sociales du rejet de l’ordre naturel. […] C’est la primauté du spirituel qui caractérise l’esprit conservateur selon Kirk. Dans son livre The Conservative Mind, from Burke to Eliot, Kirk rappelle à ses lecteurs que les problèmes politiques sont fondamentalement des « problèmes religieux et moraux » et que pour se ressourcer, une société a besoin de puiser au-delà du politique et de l’économique. Pour autant, cette primauté du spirituel n’est pas du moralisme, elle peut s’incarner dans le politique et l’économique. Mais il n’y a pas de politique sans un principe spirituel qui la fonde.

Il faut insister aussi sur le fait que le mouvement intellectuel conservateur en Amérique n’est pas un mouvement monolithique. Et Kirk lui-même a évolué dans sa pensée au fur et à mesure de ses recherches. Il n’était pas un idéologue politique et il a toujours déploré les tentatives visant à remplacer la recherche ouverte de la vérité par des dogmes idéologiques. Pour cette raison, ses livres et essais ne contiennent pas de plates-formes politiques ou de plans sur la façon dont le pouvoir politique peut résoudre les problèmes sociaux. C’est pourquoi le conservatisme de Kirk n’est pas une idéologie mais un ensemble de principes prudentiels, c’est-à-dire acquis par l’expérience et la sagesse des générations. « Le conservateur, disait-il, est une personne qui essaye de conserver le meilleur de nos traditions et de nos institutions, et de concilier cela avec une réforme nécessaire de temps en temps. »


Les principes conservateurs, selon Kirk, sont des principes de la civilisation, ancrés dans l’histoire. Dans son Program for Conservatives, il identifie deux piliers du conservatisme : l’État de droit et un ordre moral transcendantal. L’État doit être fort dans ses tâches régaliennes mais accomplissant pour le reste une « cure d’humilité ». Les conservateurs luttent contre toute forme de collectivisme. Ils défendent les corps intermédiaires et la subsidiarité. Par ailleurs, devant la « crise morale issue de l’orientation scientiste et matérialiste de la fin du Moyen Age », il s’agit de réhabiliter la loi naturelle, socle de la civilisation chrétienne.

Dans The American Cause (1957), il explique comment les Pères Fondateurs ont essayé de créer un gouvernement fondé sur trois corps de principes : éthiques, politiques et économiques. La croyance en Dieu et le respect de la loi naturelle sont les principes éthiques. La justice, l’ordre et la liberté sont les principes politiques. Enfin le libre marché et la libre entreprise sont les principes économiques. Le libre marché est le système économique le mieux adapté à la nature humaine c’est-à-dire aux exigences de la justice, de l’ordre et de la liberté. Un système de libre marché concurrentiel favorise la justice – « à chacun le sien » — en permettant aux individus de promouvoir leurs talents et leur travail. Il favorise l’ordre parce qu’il permet à chacun de servir ses intérêts et ses ambitions. Enfin, le libre marché favorise la liberté parce qu’il est fondé sur des choix librement consentis. Là où la liberté économique est érodée, la liberté morale et politique commencent à disparaître."

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6 commentaires

  1. L’importance de Kirk est peut-etre plus historique qu’intellectuelle (le lire aujourd’hui peut decevoir). Il a surtout ete le premier d’une serie de dominos (Kirk -> Buckley -> Goldwater -> Reagan, a tres grands traits) qui a mene a la structuration d’un conservatisme moderne aux US.

  2. Comme beaucoup d’hommes politiques ou de stakeholders de toute l’épopée américaine, surtout ceux mis en avant, Kirk aura été un ardent défenseur de l’élitisme dans la tradition de Cromwel et du Millenium.
    Il l’exprime dans “The Roots of Americain Order” dans les années 70 dans lequel il décrit son pays confondu avec le Millenium ou comme son représentant essentiel comme maître du monde.
    Inutile de dire que je ne partage pas ces positions.
    Il tend cependant doucement vers “l’amillénarisme” par déception face aux trafics financiers et certainement à son vieillissement et donc sa mise en marge de la nouvelle pensée conductrice des affaires, il reste lui un classique alors que les autres évoluent vers l’hyper libéralisme des néo conservateurs.
    Au fait, il s’aperçoit peut être avoir été trompé dans sa relation à Dieu et à l’Eglise sans avoir le courage ou le temps de se remettre en question.
    Il a cru, a été le porteur orgueilleux d’un espoir fou et irréel et à sa façon sa rigidité était sa part cachée de catholicisme.
    Sa pensée correspond à celle de nombreux américains mais le tourbillon financier n’a laissé place à cette époque à aucune évolution intellectuelle, si je puis dire “l’effet Veblen”, l’escroquerie monétaire, donnait toute sa puissance et il fallait être très fort et économiste aussi pour le décrypter puis tenter de l’infléchir plus que de s’y opposer.
    Gageons que le fil reprenne désormais pour rejoindre ou approcher la pensée catholique -aussi économique- encore affaiblie actuelle, sorte de pont, de passage, entre deux rives qui semblent se rejoindre. Etudier à ce sujet l’esprit stratégique et profond du livre du Pape.
    Laquelle fera verser (prendra le pas sur) l’autre ?
    Je suis parfaitement d’accord avec Kirk sur sa formule titre si ce n’est que je remplace le mot “politiques” par “économiques” car je considère que le premier est un sous ensemble agissant du second mais qui n’a strictement aucun sens sans lui : il n’y a pas de politique par elle même si elle n’applique pas une pensée économique … et donc religieuse dans le sens entier.

  3. En France, les idées de Kirk sur le libre marché passeraient dans notre famille d’idées pour de ”l’ultralibéralisme”, cette tarte à la crème reprise de la gauche altermondialiste et mondialiste socialisante.
    Car l’interprétation de la DSE en Europe passe en général par le distributisme ou la redistribution, ce qui conduit à la négation des principes même de subsidiarité, recouverts du mythe de la ”troisième voie” qui serait un compromis ”chrétien” entre la liberté et l’étatisme.

  4. @ Corso
    Lisant votre dernière phrase, je le pense très pertinente : pas de politique sans économie, laquelle suppose en effet une morale fondatrice.
    Une DSE invoquée sans entrer dans le concret demeure lettre morte : nous le constatons au sein de la droite catholique, plus étatiste qu’attachée aux libertés.

  5. Cela fait plus de trente ans que je prêche cette doctrine de la primauté de la religion, de la morale, de la rectitude de la vie privée autour de moi et surtout dans ma belle-famille dont certains membres ont eu des responsabilité ministérielles mais cela est peine perdu ! On n’est jamais prophète dans son pays !

  6. Cath.O Leek
    Ne baissez jamais les bras.
    Le Colonel Chateau-Jobert ,dans ses remarquables ouvrages, disait : “N’essayez pas de convaincre beaucoup de monde à la fois, car au final il y aura toujours une personne pour annuler ce que vous avez dit ou fait, par un discours inverse, mais par contre , formez une ou deux personnes à la Contre-révolution, assurez-vous qu’elles vous ont bien compris, alors allez vers d’autres, pendant qu’elles aussi seront capables d’instruire une ou deux personnes, il ajoutait, travaillez par capillarité”.
    Formez à temps et à contre-temps, sans défaillance. “Autre celui qui sème, autre celui qui récolte” nous enseigne la Bible.

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