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France : Société / Médias : Nouveaux médias

Les Gilets jaunes et la théorie du complot

Dans Libération, Vincent Glad conteste que le mouvement des Gilets jaunes soit une manoeuvre pilotée par la droite de la droite :

[…] S’il ne fait pas de doute que cette grogne fiscale réunit de nombreux sympathisants d’extrême droite (qui constituent 20% de l’électorat français et sont surreprésentés dans les zones périurbaines et rurales), sa genèse n’a rien à voir avec Marine Le Pen ou Nicolas Dupont-Aignan, qui ont annoncé soutenir la cause. C’est un ras-le-bol qui est parti de l’Internet vrai : une pétition change.org, des événements Facebook, des groupes Facebook et des vidéos virales filmées en mode selfie. Bien davantage que la «fachosphère», le carburant de cette mobilisation aura été le nouvel algorithme Facebook. Depuis un changement majeur effectué au début de l’année, le news feed survalorise les contenus issus des groupes au détriment des contenus des médias. Il suffit de deux ou trois likes sur les publications d’un groupe Facebook pour voir immédiatement son fil inondé de publications issues de ce groupe.

Voir la marque de l’extrême droite derrière le mouvement relève d’une forme de théorie du complot très courante dans le discours médiatique et politique. Un mouvement de citoyens ne peut être que manipulé par des gens plus intelligents et aguerris qu’eux, les fameux corps intermédiaires. Ce qui frappe justement chez les «gilets jaunes», c’est l’absence de chef, l’absence de structure formelle qui chapeaute la lutte, ou pour le dire autrement, l’absence des syndicats, des associations et des partis politiques. Le mouvement s’est littéralement constitué au fur et à mesure de la discussion sur Facebook. Comme l’a expliqué CheckNews, ce sont deux chauffeurs routiers trentenaires originaires de Seine-et-Marne qui ont lancé l’idée d’une action le 17 novembre en créant un événement «Blocage national contre la hausse du carburant». Dans ces mouvements grassroots venus d’Internet, le chef, c’est l’admin de la page Facebook. Rien de plus.

Le communiqué de la CGT sur le sujet est un modèle de réaction de l’«ancien monde». Entre mépris, jalousie et incompréhension, le syndicat décrit «une colère légitime mais dont les ressorts sont obscurs». «Plusieurs partis d’extrême droite semblent être à la manœuvre», ajoute la CGT. «Nous sommes clairement dans une instrumentalisation de l’exaspération !» dénonce la centrale, dont le métier est précisément d’instrumentaliser l’exaspération. On retrouve la même morgue du supposé «nouveau monde» : «Je suis toujours méfiant sur ces grands appels à mobilisation pour tout bloquer, a déclaré Emmanuel Macron. On trouve derrière un peu tout et n’importe quoi, des choses qui n’ont rien à voir ensemble.» Tout ce qui n’a pas les traits d’une organisation représentative traditionnelle est forcément suspect aux yeux du créateur d’En marche, le mouvement participatif le moins participatif de tous les temps.

[…] En 2014, un collectif hétéroclite baptisé «Jour de colère» avait appelé à une grande journée de mobilisation contre François Hollande. Ce mouvement réunissait une forme de Tea Party à la française, une myriade de collectifs ou de pages Facebook se battant au choix contre le mariage pour tous, contre l’islam, contre le complot sioniste, contre les impôts excessifs, tous réunis par un seul coagulant : l’anti-hollandisme. Par certains égards, la mobilisation des «gilets jaunes» est une héritière de ce «Jour de colère». Au-delà de la question des prix du carburant, très vite, la question devient celle d’Emmanuel Macron, jugé seul et unique responsable de la situation. Il suffit de voir l’incroyable succès de cette vidéo où Emmanuel Macron se fait bousculer par des manifestants en 2016. Une vidéo ressortie opportunément, comme si elle était récente, et qui cumule 2 millions de vues sur Facebook. L’anti-macronisme qui monte pourrait devenir un puissant vecteur de révoltes sur Internet.

Quatre ans après «Jour de colère», la mode n’est plus à la page Facebook, mais plutôt aux groupes et surtout à la vidéo. Plusieurs vidéos, filmées au portable, de Français expliquant leur ras-le-bol, ont connu un immense succès viral, cumulant des millions de vues: Jacline Mouraud, Fred Tfevent ou Frank Buhler (un membre de Debout la France). En 2018, les manifestes s’écrivent avec un smartphone. La vidéo horizontale est le nouveau blog.

«Je ne suis pas habitué à faire des vidéos, prévient un internaute qui se lance dans un long édito filmé et n’est manifestement un spécialiste de l’agit-prop. Vous pourrez d’ailleurs vous en apercevoir par mon attitude plutôt maladroite.» Les «gilets jaunes», c’est l’avènement d’une nouvelle génération digitale, une génération où tout le monde est passé aux réseaux sociaux, du petit-fils au grand-père.”

Dans Le Figaro, Francis Brochet estime que ce mouvement est une jacquerie numérique

L’apolitisme revendiqué des gilets jaunes oblige à reposer autrement l’éternelle question de la «récupération» politique: le problème ne serait pas qu’ils soient récupérés, mais qu’ils ne puissent pas l’être. Le poujadisme avait ainsi été «récupéré» en entrant en force à la chambre des députés, puis en nouant une alliance avec le général de Gaulle. Une évolution semblable n’apparaît plus possible – sauf à imaginer une déclinaison française du Mouvement 5 Étoiles, porte-voix de toutes les frustrations nationales, né sur Internet, dont les contradictions éclatent avec l’arrivée au pouvoir.

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6 commentaires

  1. «Nous sommes clairement dans une instrumentalisation de l’exaspération !»
    Ça pourrait être le slogan de la cgt

  2. On n’a le droit de se plaindre que si l’on est conforme au pouvoir Jupiterien, donc en fait pour dire que tout irait mieux si LREM était le parti unique au Palais Bourbon, au Palais du Luxembourg et à Strasbourg.
    Comme a dit JUPITER : “La France irait beaucoup mieux si les Français arrêtaient de se plaindre pour un oui ou pour un non”.
    En fait, tous les gilets jaunes qui vont battre le pavé samedi prochain sont des représentants de cette engeance de gaulois réfractaires à leur disparition ou à leur génocide…

  3. C’est sûr que, comme tout va très bien Madame la Marquise, on se demande bien pourquoi les français iraient manifester ?
    Ils ont besoin de “l’extrême drouaaate” (qui n’existe pas, n’a jamais existé et ne PEUT pas exister…) pour les forcer à manifester… A la schlague ? Les pauvres petits…

  4. Y a-t-il encore des journalistes capables de discourir sur autre chose que les apparences, les manières dont la grogne se manifeste et se répand? Pourquoi cette grogne ? that is the question mais les journalistes s’en foutent. On peut voir dans cette démarche une tentative pour noyer le poisson derrière un écran de fumée pour parler à la manière de Pierre Dac.

  5. Inhabituel de lire dans ce monument de la bien-pensance qu’est encore Libé une analyse plutôt objective et réaliste… Certains journaleux bobos auraient-ils fait leur auto-critique ? Toujours est-il que pour une fois ils semblent laisser tomber leur habituel complotisme inversé “c’est les réacs, c’est l’extrèèèème droîîîte”…
    Effectivement, peut-être que pour la première fois ce peuple français méprisé, rejeté aux périphéries géographiques et sociales, majorité relative selon Guilluy, est en train d’opérer une prise de conscience salutaire au fur et à mesure que l’étau prédateur d’un Etat au service de la finance cosmopolite se resserre inexorablement sur les petites gens aux revenus modestes et aux conditions d’existence de plus en plus précaires…
    Si ce mouvement a peu de chance de déboucher sur une traduction politique immédiate, au moins permettra-t-il de recréer des solidarités, une convergence de vues de différents segments électoraux ou apolitiques qui jusqu’ici ne se parlaient pas…de recréer du lien social, et pourquoi pas de faire réapparaître une conscience de classe ou de groupe à potentiel majoritaire qui pourra déboucher le cas échéant sur une traduction politique intéressante, dans le cadre électoral, ou surtout en dehors de celui-ci puisque les partis politiques et les syndicats ne nous représentent plus…

  6. Si la réseaux sociaux sont une arme redoutable et incontrôlable au profit du citoyen comme on peut le voir pour cette opération gilets jaunes, on peut aussi s’en inquiéter pour ce qui concerne demain un soulèvement d’immigrés d’origine musulmane. On a déjà pu voir le pouvoir mobilisateur de réseaux comme Twitter lors des printemps arabes.
    Il est à craindre que la France un jour ait à pâtir de cette possibilité de contagion à grande vitesse hors organisations politiques, syndicales ou religieuses par un appel à la révolte violente.

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