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Médias : Nouveaux médias

Le métavers, une entreprise d’anéantissement des subjectivités

Le métavers, une entreprise d’anéantissement des subjectivités

Auteur d’une thèse sur les jeux vidéo, l’universitaire Douglas Hoare esquisse dans Le Monde une critique du métavers, dénonçant l’avènement d’un « monde à l’envers ». Extrait :

[…] Pour justifier leur enthousiasme, les partisans du métavers nous promettent des communications plus intenses, un lien social renforcé, des simulations permettant un apprentissage ludique, une créativité sans limite, etc. Internet permet déjà le télétravail et les visioconférences ; les jeux vidéo, un dépaysement virtuel. Le métavers se propose de combiner les deux. Au sein du simulacre, la plus ennuyeuse des réunions se donnera des airs de jeu.

Grâce à la réalité virtuelle, le participant sera en immersion dans un jeu vidéo total. Grâce à la réalité augmentée, ce jeu vidéo débordera l’écran, contaminera notre perception du réel au point de faire corps avec lui. Leur association paraîtra réaliser les promesses de l’imaginaire.

Le fantasme régnera en maître, de même que le miracle, puisque, dans la réalité virtuelle, toute contradiction avec le réel peut être suspendue ; et dans la réalité augmentée, le moindre geste pourra acquérir une portée magique, être embelli et agrandi par le simulacre.

Mais cet imaginaire n’est pas aussi libre qu’il en a l’air, dans la mesure où il est objectivé. Ce n’est plus le produit d’une conscience rêveuse, c’est une fantaisie informatique qui implique une procédure à suivre pour que l’on puisse en jouir. C’est ici que l’échange, propre au jeu vidéo, d’une liberté simulée contre un asservissement réel est retrouvé à une tout autre échelle.

La fusion de l’interface et de la réalité permettra d’étendre la quantification de nos actes, et avec elle la rationalisation des conduites. Greffé à notre vue, le programme restituera les données de nos moindres faits et gestes. Le participant sera en autoévaluation constante, enfermé dans des boucles de rétroaction. Il ajustera sa conduite pour faire grimper ou baisser la statistique qu’est devenue sa vie. L’accès au merveilleux informatique se monnaiera donc : il impliquera d’aligner l’ensemble des activités humaines sur un processus de valorisation économique.

Ce processus, déjà bien entamé par les smartphones et leurs applications, a de beaux jours devant lui. C’est finalement une certaine interprétation du monde – celle du fétichisme de la marchandise – paraissant d’autant plus objective qu’elle semblera émaner de la réalité elle-même, qui se substituera au monde.

Cette idéologie matérialisée, interposée entre les choses et nous, entraînera une réduction terrible du champ des possibles. Elle imposera cet unique rapport au monde, orné des attraits du merveilleux. L’embellissement promis par le métavers est ainsi un « embellissement stratégique », qui n’aura plus pour objet les quartiers pauvres de Paris, mais nos propres perceptions.

Les partisans du métavers souhaitent donc, consciemment ou non, que l’utopie disciplinaire du jeu vidéo soit transposée dans la vie ; que la société capitaliste soit un programme impossible à contredire ; l’individu, un avatar possédant une poignée de fonctions autorisées, et de ce fait une conduite prévisible ; que le monde sensible soit le simple support d’interactions obligatoires, en même temps qu’un décor lointain dont on contemple la facture. Avec l’espoir que la réduction terrible de l’être humain aux bornes du programme s’accompagne du même sentiment de toute-puissance, porté par l’effacement des limites du moi, fusionnant avec la logique du monde.

Cette entreprise d’anéantissement des subjectivités participe aussi à la dévastation de la nature : elle implique nombre d’infrastructures nocives, une nouvelle génération du réseau téléphonique, de nouveaux centres de stockage des données, etc. […]

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7 commentaires

  1. Ce qui est décrit rappelle Ray Bradbury, “Farenheit 451”. Arrivera-t-on à la situation rencontrée par les héros?

    • Certes mais dans “Fahrenheit 451”, on interdit et brûle les livres qui décrivent le réel.

      Cette fois, on imposera une interface avec le réel ; des lunettes enveloppantes d’abord avec la technologie actuelle puis une greffe. C’est l’étape suivante.

      Plus besoin de détruire les livres ; la vie sera le livre qu’on voudra vous faire lire. Les choses seront mal nommées, tout simplement.

      Enfin, la vie de chacun se terminera en douceur comme dans « Soleil vert ».

      Bradbury et Truffaut, Camus, Harrison et Fleischer nous ont prévenus … peut-être sans s’en douter

      Ce sera l’ère du métavers.
      (Merci Wikipedia pour les références)
      Meltoisan

  2. C’est terrifiant. On en vient à rêver, malgré l’inconfort que cela procurerait, à une énorme panne d’électricité de plusieurs mois, qui puisse réveiller l’humanité endormie…

  3. Cela donne des frissons je trouve…
    Que faire pour lutter contre ça, empêcher cela si possible et éviter à nos enfants, petits-enfants cette vie horrible?
    Leur faire aimer la nature et l’aventure, les inscrire dans des mouvements scouts, les faire lire, les emmener visiter de beaux lieux, les encourager à partir sac à dos à l’aventure etc et prier.
    Car, sinon, j’ai peur que cela soit sans espoir.

  4. Quel bonheur de n’être équipé que d’un téléphone “9 touches” qui ne sais que téléphoner et (tout de même) envoyer des SMS. Les jeunes et moins jeunes se marrent quand ils me voient sortir ce diplodocus mais je m’en fiche comme de ma première chemise. La liberté n’a pas de prix !

  5. Si l’on considère la substantifique moelle du métavers, ne peut-on pas y distinguer un plagia de carton-pâte de “L’omnipotence, l’omniscience et l’omniprésence de Dieu ” ainsi que la désincarnation de l’être humain qui rend alors sans objet, à ses yeux, le Salut que notre Seigneur nous a obtenu en prenant chair en la Sainte-Vierge-Marie, puis par son Corps offert et son Sang versé sur la Croix?
    La Personne de l’Esprit-Saint est, elle, singée par l’électricité, “énergie qui donne la fausse vie” dans le métavers…
    C’est très grave.

  6. La fascination hypnotique des écrans et ses conséquenses telles que décrites ici avec une admirable perspicacité a de quoi alarmer toute une génération subjuguée par l’irréel. Être devant “son” écran, c’est comme “être dans la lune” à volonté, à satiété! Un effet comparable à celui de certaines drogues… addictives.

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