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Valeurs chrétiennes : Culture

Le libéralisme va-t-il redevenir de gauche ?

Le libéralisme va-t-il redevenir de gauche ?

Editorial de Benoît Dumoulin au dossier de L’Incorrect consacré au libéralisme :

Le libéralisme est la matrice originelle de notre modernité politique, née du spectacle de la division des hommes au sujet de la vérité. « Épuisées, dévastées par les guerres civiles religieuses qu’avait provoquées le schisme protestant, les sociétés européennes se sont progressivement rendu compte qu’il leur fallait accepter le désaccord sur les finalités ultimes de l’existence pour survivre et former encore un monde commun » rappelle Alain Finkielkraut dans L’identité malheureuse.

Désaccord sur Dieu puis sur l’homme. Constatant l’impossibilité de s’unir autour d’une même anthropologie, le libéralisme évacue la question de la vérité pour exiger un accord fondamental de tous les citoyens dans le cadre d’un contrat social qui organise la vie en société malgré les désaccords existentiels. Aujourd’hui, on appelle cela les valeurs de la République « c’est-à-dire les dispositions qui permettent de vivre ensemble sans avoir rien de commun » précise Pierre Manentdans Situation de la France, ce qui entraîne un rétrécissement considérable du bien commun. Pour saint Thomas d’Aquin, « la fin ultime d’une multitude rassemblée en société est de vivre selon la vertu ». À l’inverse, dans une  société libérale, le bien commun est uniquement d’ordre procédural : c’est l’ensemble des conditions qui garantit à chacun le libre exercice de ses droits individuels et « la jouissance paisible de l’indépendance privée » (Benjamin Constant). C’est donc le règne du droit et de l’économie qui remplace celui de la philosophie et de la métaphysique, dans un paradigme totalement individualiste.

Le libéralisme philosophique se veut très tolérant à l’intérieur du cadre qu’il a lui-même institué mais très intolérant si l’on veut sortir de celui-ci. Vous avez théoriquement le droit d’être contre l’avortement ou le mariage homosexuel mais à condition que cela reste une opinion personnelle que vous n’imposez pas au reste de la société, la seule vérité d’une société libérale consistant justement à ne pas poser la lumière de la vérité sur la réalité humaine de l’embryon ou du mariage, pour se réfugier dans un indifférentisme de principe qui autorise chacun à penser et agir comme il l’entend pourvu qu’il laisse son voisin en faire autant. « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui » résume ainsi l’article 4 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen. C’est ce qui explique pourquoi il est si dur de se faire entendre sur ces sujets et pourquoi tous les combats dits sociétaux ont tous été perdus au cours des cinquante dernières années.

Faut-il rejeter en bloc le libéralisme ? Oui sur le plan philosophique car ses fondements reposent sur une abstraction qui méconnaît la nature sociale de l’homme et prône une liberté détachée de toute recherche de la vérité. Sur le plan politique, la réponse est plus complexe. « Il y a une grande différence entre la praxis libérale et les fondements théoriques du libéralisme » rappelle le père Jean-Michel Garrigues dans La politique du meilleur possible. De fait, un régime libéral, malgré son vice originel, permet l’expression d’un certain pluralisme politique et l’existence de libertés publiques qu’on aurait tort de négliger, surtout lorsque l’on sait ce qu’ont été – et sont encore – les régimes communistes, les dictatures africaines ou sud-américaines, ou encore les régimes islamistes du Moyen-Orient. Les dissidents de ces pays savent à quel point un régime de libertés est précieux pour l’homme. Soljenitsyne et Jean-Paul II en ont tous deux témoigné.

Il est donc tout à fait possible de ne pas être libéral au niveau de la finalité recherchée – c’est-à-dire de croire en l’existence d’une vérité devant structurer les sociétés -, tout en se reconnaissant libéral quant aux moyens employés pour parvenir à faire triompher cette vérité : refus de la contrainte au service de la vérité, reconnaissance des grandes libertés publiques, pluralisme politique. C’est d’ailleurs des libertés que l’on aurait tout intérêt à revendiquer pour contester les postulats de l’idéologie libérale. Mais l’expérience montre aussi qu’à force de se placer dans un paradigme libéral -même au niveau des seuls moyens -, on finit par devenir totalement libéral, y compris au niveau philosophique. De plus, il est, par principe, impossible de contester par des moyens libéraux les fondements de l’idéologie libérale, puisque ceux-ci ne supportent précisément aucune discussion. La solution ne peut donc venir de là même si le régime libéral reste à bien des égards un pis-aller nécessaire accepté par tous.

Tel n’est pas le cas du libéralisme économique qui fait l’objet d’une sérieuse remise en question à droite. Accusé d’être responsable de la disparition des corps intermédiaires qui a atomisé l’individu face à l’État, le libéralisme économique se voit aussi contesté par tous ceux qui dénoncent la paupérisation des classes moyennes livrées au seul pouvoir de l’argent par des actionnaires qui ignorent toute notion de frontière nationale et délocalisent là où la main d’œuvre est moins chère, contribuant ainsi à désindustrialiser l’Europe. En même temps, il reste, pour toute une partie de la droite, le meilleur moyen de retrouver la prospérité économique en combattant l’omnipotence de l’État par son autolimitation au domaine régalien qui permettrait de réduire la dépense publique, diminuer le montant général des impôts et libérer le marché du travail. De fait, les critiques qu’adressent les libéraux au modèle français d’État providence sont souvent pertinentes, qu’il s’agisse du système éducatif entièrement soviétisé par l’Éducation nationale, du niveau record des prélèvements obligatoires ou encore du poids démesuré de la dépense publique dont la France est malheureusement championne et qui obère lourdement nos entreprises.

Le libéralisme fracture donc durablement la droite et l’on est en droit de se demander si l’on ne se dirige pas, à terme, vers un retour à l’unité originelle du libéralisme qui était porté par la gauche dans ses dimensions philosophique, politique et économique tout au long du XIXesiècle. Du temps où la majeure partie de la droite était légitimiste, contre-révolutionnaire et anti-libérale. Pour cela,  L’Incorrect a décidé de mener le débat en faisant dialoguer toutes les sensibilités de la droite, du moins celles qui refusent le vertige de dissolution d’une société livrée à la toute puissance du libéralisme philosophique mais sont partagés au sujet du libéralisme politique et économique.

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12 commentaires

  1. L’article définit bien le dilemme qu’induit le concept de libéralisme. S’il est indiscutablement condamnable sur le plan philosophique, religieux et moral, il est souhaitable sur le plan économique dans la mesure où il s’oppose à l’omnipotence d’un État providence, de surcroît nuisible quand il érige en système des valeurs laïques d’inspiration révolutionnaire. Mais il l’est moins quand les acteurs économiques s’allient avec le pouvoir public pour ériger de puissants monopoles financiers qui écrasent l’individu et font la promotion d’un consumérisme débridé.
    En fait le libéralisme devient nuisible quand l’État outrepasse ses fonctions régaliennes.

    • Le libéralisme économique tue la liberté d’entreprise : l’entreprise qui réussit finit par grossir, puis devenir médiocre. Il ne lui reste alors plus que son influence pour influencer lois et règlements pour ne pas être détrônée par ses concurrents. La grande entreprise se plaint quant il y a des barrières douanières, en même temps elle agit pour influencer la Commission Européenne en sa faveur. Le petit entrepreneur se plaint des règlements, en même temps il s’appuie sur les 7 péchers capitaux pour communiquer sur Internet. Le problème n’est pas le manque de liberté mais le manque de vertu.

      • C’est totalement vrai ; n’importe quel créateur d’entreprise peut en faire l’amère expérience… Les différents marchés sont verrouillés par quelques grands groupes qui contrôlent toutes les filières et dictent leur loi au pouvoir politique, quant à l’accès aux capitaux, les banques opèrent également une sélection drastique…
        De fait, la liberté d’entreprendre n’existe pas ; sans compter sur le fait que la disparition programmée de la classe moyenne tend à réduire les marchés de plus en plus… Si la classe moyenne disparaît, il n’y aura plus d’artisans…

  2. Le libéralisme se trouve dans la fausse droite qui a toujours été de gauche.
    Malheureusement LREM n’a pas réussit à tous les absorber et certains s’entêtent, comme des moules qui adhèrent, à vouloir “être de droite” créant la confusion chez ceux qui n’ont toujours pas compris que ce sont des gauchistes étiquetés droite dans le but de fabriquer un semblant d’alternance.

    Mais observez les ! Ouvrez les yeux juste 2 minutes ! Ils votent tous pareil comme un seul homme ! Alors jugez les à leurs fruits !

    • Oui, mais au niveau des politiques on est plus dans le gangstérisme et le copinage issu de la décomposition de l’Etat providence (qui n’était rien d’autre qu’un capitalisme d’Etat), que du libéralisme économique… Ces gens ignorent tout de l’économie réelle et réellement concurrentielle, baigné qu’ils sont dans leur entre-soi malsain entre gestion de l’Etat et des collectivité publiques d’un côté, et des grands groupes privatisés de l’autre…
      La France est un système capitaliste de copinage ou de connivence qui nuit à tout le monde et au bien commun, et tant que cette classe politique sera aux manettes, ça ne changera jamais…

  3. Les libéraux ont, en principe, tous le portefeuille à droite. Ils ne peuvent donc pas être très à gauche. La tendance libérale la plus à gauche est celle de Badinter (cf. le test Lewino dans mon livre “Economie ou socialisme: il faut choisir”, test et livre qui vont révolutionner à tout jamais la science politique!). Une partie des libéraux est altruiste, une autre est “normale” et le troisième est prédatrice (Tjs. cf. mon livre!).

  4. L’omnipotence actuelle de L’Etat découle elle aussi des principes du libéralisme économique : le droit reconnu légitime et souvent admiré, de réussir, de gagner des parts de marché et de devenir une très grande entreprise. Or toute structure qui grossit sans s’appuyer sur la subsidiarité devient médiocre. Pour tenir sa place, elle doit recourir à des subterfuges comme la publicité ou des règlements favorables obtenus par des actions d’influence. L’Etat omnipotent n’est pas plus opposable au monde des grandes entreprises que ces entreprises le sont entres elles. L’Etat est parfois concurrent des grandes entreprises, mais il est le plus souvent pour elles un partenaire privilégié qui par ses lois rend d’inestimables services. Le petit entrepreneur devrait ne pas oublier que s’il est harcelés par impôts et règlements, c’est précisément grâce au libéralisme économique qui donne un avantage automatique à celui qui devient plus gros. Comme le libéralisme philosophique, le libéralisme économique est tout sauf libéral !

  5. Le libéralisme économique est autant une hérésie que le socialisme.
    Comme toujours, la solution est entre les deux : la fameuse 3ème voie de la DSE.
    Le libéralisme c’est le règne du tous contre tous, le socialisme de l’Etat contre tous.
    Puisse la crise des Gilets jaunes faire revenir la droite à ses fondamentaux anti-libéraux et anti-libertaires.
    Et n’oublions surtout pas une clé : l’illégitime dette de l’Etat qui est du vol et de l’usure haute dose…
    Vive le Roi !

  6. Le capitalisme et le libéralisme du XIXº s. fonctionnaient plutôt bien car ils avaient pour contre-pouvoir une Église puissante qui ne reniait pas ses principes fondateurs comme aujourd’hui et la plupart des chefs d’entreprise étaient imprégnés d’une foi qui leur faisait craindre le châtiment éternel. La doctrine sociale de l’Église y a trouvé ses fondements. Les marxistes appelaient cela le paternalisme car ils y voyaient un sacré concurrent.
    En fait, le libéralisme économique ne peut fonctionner qu’avec la foi et les vertus individuelles pour l’encadrer. Sinon il devient fou.

    • Justement, le libéralisme “devient fou” car le marché a bien pris soin de détruire les dernières barrières morales et tout ce qui lui faisait obstacle… Aujourd’hui, c’est la nature de l’Homme elle-même qui est détruite par pans entiers, et l’on aurait bien tort de croire que l’on peut revenir à une forme de “moralisation”… Les leçons de la crise de 2008 ont-elles été tirées ? Non. Le marché a très vite repris sa fuite en avant, et dans des proportions jamais égalées, jusqu’à la prochaine crise, qui risque elle de rincer tout le monde…
      Ce que vous ne semblez pas comprendre, c’est que le marché est en perpétuel mouvement, entraîné par un moteur pourtant bien connu : la Révolution. Qui a démarré en 1789 comme tout le monde sait, qui est devenue “permanente” selon les théories de Trotsky (qu’il ne faut pas réduire à un théoricien communiste, mais révolutionnaire au sens large) et qui continue sa fuite en avant totalitaire et sans limite jusqu’à ce qu’un coup mortel lui soit portée… Le seul problème est qu’aujourd’hui personne n’a encore trouvé le moyen d’y parvenir, d’autant plus que maintenant ce monstre est devenu global et planétaire…
      Voilà ce qu’est le libéralisme idéologique dans toutes ses composantes ; il n’y a par conséquent rien à sauver. Il ne faut pas confondre une idéologie mortifère avec “les libertés” au sens large ; ce n’est pas la même chose…

    • @Collapsus
      Heu… on ne peut vraiment pas dire que le XIX e s avec le travail des enfants et la mise en esclavage des ouvriers ait été un modèle du genre… C justement pquoi Leon XIII a écrit Rerum Novarum et que les monarchistes ont hardiment combattu les lois scélérates de l’époque.

      • C’est bien au XIXº que 4 lois ont restreint puis interdit le travail des enfants et qu’a été publiée cette encyclique. Ceci confirme ce que je vous dis.

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