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Liberté d'expression / Médias : Désinformation

Le CSA, Eric Zemmour et le domaine de la censure

Le CSA, Eric Zemmour et le domaine de la censure

D’un lecteur du Salon beige :

Cinq informations récentes sont venues se télescoper de façon intéressante :

  • La publication le 21 septembre d’une mise en demeure de la chaîne Paris Première, pour des propos tenus par Eric Zemmour le 20 janvier 2018 :  « L’un des animateurs de l’émission a tenu de façon systématique des propos stigmatisants à l’égard des migrants de confession musulmane, tendant en particulier à leur dénier le bénéfice du droit d’asile au motif qu’ils seraient, du fait de leur religion et contrairement à d’autres, source « d’énormes problèmes» et qu’ils contribueraient au « grand remplacement » de la population française. »
  • Une tribune de Gilles-William Goldnagel parue dans Valeurs Actuelles le 24 septembre 2018 : « Qui va censurer le CSA censeur ? ». Il parle des mêmes propos tenus par E.Zemmour le 20 janvier : Autrement dit, selon les prétendus sages, le débat qui agite aujourd’hui le plus fondamentalement l’Europe entre les populistes et les multiculturalistes devrait être interdit,sous peine d’amende, voire d’expulsion du champ médiatique. »
  • La remarque de Philippe Bilger, magistrat honoraire et auteur d’un blog, dans un billet du 26 septembre : « Récemment on a formulé l’idée surréaliste d’interdire Eric Zemmour de médias. Sans lui et la liberté et l’intelligence qui sont les siennes, les médias seraient orphelins, bien davantage que si quelques-uns de ses contempteurs venaient à nous priver de leur présence ! » Et P.Bilger exprime le souhait suivant : « J’ai commencé mon billet par « vœu pieux » : Pourquoi ne pas inventer des mesures internes, des exclusions temporaires ou définitives, des blâmes, un CSA qui serait enfin vigilant, afin de ne plus tolérer, de la part de ceux qui ont l’honneur de s’adresser à la société, le déshonneur d’une parole dévoyée ? Une société qui trahit son langage se suicide » ;
  • Un article publié sur le site du CCIF (l’organisme qui veut faire rentrer le mot « islamophobie » dans le code pénal ; net, 28 septembre 2018. « Analyse d’un cas d’école : Burkini, bis repetita ») dénonce le débat sur CNews consacré à l’autorisation du port du burkini dans les piscines de Rennes, ses questions « orientées » (exemple : Laurence Ferrari : « Alors y a-t-il une montée des signes religieux, un affaiblissement de notre République face à la poussé islamiste ? »), ses bandeaux de bas d’écran (« Le burkini, un maillot de bain comme les autres ? » ; « Le burkini, conforme aux principes de laïcité ? » ; « La fin du vivre-ensemble »). Il lance in fine un appel  « Le CCIF ne compte pas en rester là, nos juristes examinent les recours possibles. Les discours de haine, qui appellent à la discrimination et à l’islamophobie ne peuvent et doivent pas se banaliser de la sorte. Aidez-nous dans notre combat face à l’islamophobie en signalant cette émission au CSA. ».
  • Enfin, le 11 septembre 2018, le CSA a fait paraître une brochure intitulée : « Refonder la régulation audiovisuelle », avec 20 propositions. La proposition 19 est : « Renforcer les pouvoirs d’enquête du CSA»

Alors, trop de CSA ou pas assez ?

En tout cas, le site Internet du CSA montre que le conseil travaille : 2135 « Décisions » prises depuis sa création. Avec par exemple, 500 heures de programmes analysées lors des attentats terroristes entre le 7 et le 9 janvier 2015. Et 1162 « mises en demeure » qui sont en quelque sorte ses avertissements (dont 178 dans les cinq dernières années). Trois domaines d’activité peuvent être distingués.

  • Le premier concerne des aspects techniques, de diffusion, d’appels à candidatures, d’appels d’offres, d’agréments, d’organisation de campagnes officielles : tous sujets (y compris les mises en demeure correspondantes) qui pourraient être traités par une direction technique du ministère de la culture.
  • Le deuxième, donnant lieu à peu de décisions mais sensibles, concerne les nominations dans l’audiovisuel public. Le CSA est garant d’une indépendance de décision. Si, si ! C’est juré ! (mais la bonne question est : en quoi un audiovisuel public est-il nécessaire ?)
  • Le troisième domaine concerne les mises en demeure concernant le contenu des émissions de télévision ou de radio. Au titre d’une justice administrative, pouvant faire l’objet de recours auprès du Conseil d’Etat. Cette dernière catégorie, sur les cinq dernières années, répertorie 31 décisions/mises en demeure [1].

Il faut d’abord comprendre qu’une mise en demeure concerne le diffuseur (avec donc une menace associée sur la pérennité de son contrat de diffusion), et non pas directement la personne ayant émis les propos origine de la mise en demeure.

  • D’une part, l’animateur du diffuseur est tenu de « maîtriser l’antenne ». Par exemple : « Le CSA a été saisi au sujet de propos tenus par un invité dans l’émission Village Médias, diffusée sur Europe 1 le 17 octobre 2017. Celui-ci, faisant écho à une polémique l’opposant publiquement à un acteur français, avait déclaré : « Je sais bien qu’entre Trappes et Hollywood, il n’a pas eu le temps demaîtriser la langue française … ».  Après examen de la séquence litigieuse, le CSA a considéré que l’animateur de l’émission a fait preuve d’une insuffisante maîtrise de l’antenne alors qu’étaient tenus des propos véhiculant des stéréotypes stigmatisants à l’égard des habitants de certaines villes. »
  • D’autre part, les diffuseurs ont dans leur cahier des charges un certain nombre d’obligations qu’on pourrait qualifier de déontologiques:  « exigence d’honnêteté s’appliquant à l’ensemble des programmes (…). Il [l’éditeur] fait preuve de rigueur dans la présentation et le traitement de l’information. Il veille à l’adéquation entre le contexte dans lequel des images ont été recueillies et le sujet qu’elles illustrent. » ; et aussi le devoir de « promouvoir les valeurs d’intégration et de solidarité qui sont celles de la République, de contribuer aux actions en faveur de la cohésion sociale et de lutter contre les discriminations…. Aucune incitation à la haine ou à la violence pour des raisons de race, de sexe, de mœurs, de religion ou de nationalité. »

Sur les cinq dernières années, parmi les 31 mises en demeure retenues, éliminons celles concernant ce qu’on appellera de la vulgarité ou du (très) mauvais goût (par exemple, diverses émissions de « Touche pas à mon poste » (27/09/2016, 3/11/2016, 18/05/2017) ayant même entraîné une interdiction de diffusion de séquences publicitaires lors de cette émission pendant trois semaines et une amende de 3M€).  Eliminons-celles concernant les « violences-faites-aux-femmes » et la dignité de la personne humaine. Les 14 mises en demeures qui restent pour ces 5 dernières années relèvent principalement de trois catégories :

  • De la sauvegarde de l’ordre public, par exemple lors du traitement des attentats (Paris et Nice), qui a fait l’objet d’un examen attentif (3 publications).
  • Manquements à la rigueur et à l’honnêteté dans le traitement de l’information, relevés quatre fois 
  • Une émission MorandiniLive (le CSA doit être la seule entité à considérer que c’est une émission d’information…)
  • Une émission de TF1 le 28 novembre 2013 : « le Conseil a relevé que la chaîne TF1 a diffusé, dans le journal de 20 heures du 11 novembre 2013, un reportage consacré à la visite du Président de la République à Oyonnax, dans le cadre des commémorations du 11 novembre,  au cours duquel des manifestations bruyantes d’opposition, exprimées en réalité quelques instants plus tôt, ont été décalées de quelques secondes lors du montage de cette séquence. Un tel montage laissait croire que ces manifestations étaient intervenues au moment exact où le Président de la République sortait de son véhicule. Le Conseil considère que sa diffusion a constitué un manquement de la société TF1 à ses obligations déontologiques prévues à l’article 22 de sa convention qui lui impose de « faire preuve de rigueur dans la présentation et le traitement de l’information » et « de veiller à l’adéquation entre le contexte dans lequel des images ont été recueillies et le sujet qu’elles viennent illustrer ».
  • Les deux autres ont été adressés le 28 juin à la toute récente chaîne RT France (Russia Today France). Il a été particulièrement reproché « que l’ensemble des éléments diffusés traitant de la situation en Syrie faisait apparaître un déséquilibre marquédans l’analyse, sans que, sur un sujet aussi sensible, les différents points de vue aient été exposés. »
  • De l’incitation à la haine ou à la violence, ou de la discrimination. 7 mises en demeure. L’une concerne Radio Canut pour une incitation à la violence contre les policiers (31/07/2017). Reste : 6. Une autre concerne le parallèle déjà évoqué entre Trappes et Hollywood. Reste : 5. Sur les 5, 4 concernent Eric Zemmour. C’est un score !

Voici les propos de Zemmour qui ont ainsi été relevés :

  • Le Conseil a mis fermement en garde RTL à la suite de la diffusion, le 6 mai 2014, d’une chronique d’Éric Zemmour qui a notamment déclaré à l’antenne que « Les grandes invasions d’après la chute de Rome sont désormais remplacées par les bandes de Tchétchènes, de Roms, de Kosovars, de Maghrébins, d’Africains qui dévalisent, violentent ou dépouillent ».
  • Le Conseil supérieur de l’audiovisuel a été saisi de nombreuses plaintes relatives à l’émission C à vousdiffusée le 6 septembre 2016 sur France 5 ainsi qu’à l’émission 6 minutes pour trancher diffusée le 7 septembre 2016 sur RTL et à l’émission Bourdin Direct diffusée le 16 septembre 2016 sur BFM, en raison des propos de l’invité, M. Eric Zemmour. Certains auditeurs et téléspectateurs ont dénoncé auprès du Conseil un discours qu’ils percevaient comme une forme de racisme et d’islamophobie.Lors de l’émission sur France 5, il avait notamment estimé qu’il fallait donner aux musulmans “le choix entre l’islam et la France”. Il avait affirmé que la France vivait “depuis trente ans une invasion” et que “dans les innombrables banlieues françaises où de nombreuses jeunes filles sont voilées” se jouait une “lutte pour islamiser un territoire”, “un jihad ».
  • Le CSA a été saisi au sujet de la diffusion de propos tenus par M. Eric Zemmour au cours de l’émission RTL Matindu 2 février 2017, dans sa chronique intitulée On n’est pas forcément d’accord. Après examen de la séquence, le CSA a considéré que la gravité et le caractère provocateur des propos tenus par le chroniqueur, qui constituent un éloge de la discrimination et la critique de toutes les institutions judiciaires qui contribuent à lutter contre celles-ci, alors que ces propos n’ont fait l’objet d’aucune contradiction ni mise en perspective à l’antenne, constituaient un manquement caractérisé aux stipulations de la convention de RTL. «La non-discrimination est présentée abusivement comme un synonyme de l’égalité alors qu’elle est devenue au fil du temps une machine à désintégrer la nation, la famille, la société au nom des droits d’un individu roi», avait déclaré Zemmour dans l’émission matinale d’Yves Calvi le 2 février. Le polémiste évoquait alors les USA et la nomination par Donald Trump d’un nouveau juge conservateur à la Cour suprême américaine.
  • Et comme indiqué au tout début, « le CSA a été saisi pour une séquence diffusée le 20 janvier 2018 dans l’émission Zemmour et Naulleausur Paris Première, au cours de laquelle a été abordé le sujet de la “Loi asile et immigration »

Les situations de mise en demeure qui concerne le diffuseur peuvent être doublées d’actions judiciaires contre les auteurs des propos reprochés. Ainsi, E.Zemmour a été jugé par l’institution judicaire pour les propos tenus le 6 mai 2014 : il a été relaxé tant par le tribunal correctionnel que par la Cour d’appel (mais, bien sûr, pas de la mise en demeure du CSA…).

Concernant les propos tenus le 6 septembre 2016, il a été condamné en première instance puis en appel le 3 mai 2018. Le tribunal correctionnel de Paris avait estimé que les propos poursuivis présentent “une gravité incontestable”, Eric Zemmour “stigmatisant à plusieurs reprises et en des termes particulièrement violents et péremptoires une communauté prise dans son ensemble“. Cela signifie qu’à chaque fois, ce qui est reproché par la justice, c’est une généralisation(les mauvais esprits diraient : donc un manque de discrimination…. !).

Au demeurant, on peut rappeler qu’Eric Zemmour a également été attaqué en justice pour des propos rapportés par le Corriere della Sera en octobre 2014 (hors du périmètre juridictionnel du CSA). Il avait en particulier affirmé : « Les musulmans ont leur code civil, c’est le Coran. » et « je pense que nous nous dirigeons vers le chaos ». Ses condamnations en première instance et en appel ont été à leur tour cassées par la Cour de cassation.

Au terme de cette rapide revue, quelles conclusions tirer ?

  • Vu le nombre des chaînes de télévision et de radio et les plages de diffusion, le nombre de mises en demeure pour les catégories de faits concernant le contenu de l’information apparaît extrêmement faible. A contrario donc, le CSA donne une sorte de brevet d’équilibre et de diversité à la quasi-totalité des émissions.
  • Or chacun a été confronté à une émission dans laquelle tous les participants « communiaient » dans une opinion identique. Mais si cette opinion est dominante, conformiste, ce que les éduqués appelleraient « mainstream », alors, pas de signalement au CSA pour manque de diversité ou d’équilibre. De la même façon, l’honnêteté de l’information est une notion… souple. Comment ? Mis à part l’émission opportunément sanctionnée de RT France, aucun reportage bidonné, faux, de mauvaise foi, en cinq ans ? Vraiment ?
  • De leur côté, les qualifications concernant l’incitation à la haine, à la violence, contre le « vivre-ensemble », sont suffisamment vagues pour permettre toute interprétation. Un exemple (judiciaire) le plus frappant vient peut-être de la qualification retenue par le parquet de Paris pour ouvrir une enquête à l’encontre deNick Conrad et sonPLB(Pendez les Blancs) avec cet extrait :«Je rentre dans des crèches, j’tue des bébés blancs, attrapez-les vite et pendez leurs parents». La qualification retenue est  «provocation publique à la commission d’un crime ou d’un délit». Vous imaginez la qualification si, à la place de « blancs », il y avait eu « noirs » ? Et sans parler d’autres textes de rap diffusés par les stations de radio, aussi violents. Là, pas de mise en demeure du CSA.
  • Etonnante cécité volontaire, parfois, comme quand le CSA interprète le droit pour refuser de voir la réalité des choses quand celle-ci est dérangeante. La mise en demeure pour la retransmission des attentats de Paris s’accompagne ainsi de l’attendu suivant :« Le Conseil a examiné la diffusion intégrale, par France 3 et Canal +, d’une vidéo montrant l’assaut mené contre l’Hyper Cacher, y compris les tirs mortels sur le terroriste alors qu’il affrontait les forces de l’ordre. Il a considéré que ces images insistantes, susceptibles de nourrir les tensions et les antagonismes, pouvaient contribuer à troubler l’ordre public. ». C’est donc la diffusion d’images qui vient créer le trouble à l’ordre public (on se rappelle aussi la procédure judiciaire en cours contre Mme Le Pen pour avoir publié sur Twitter des photos réelles des crimes de Daech).

Ainsi l’exercice du pouvoir du CSA, comme pour tout pouvoir de censure, est bien évidemment discrétionnaire. Il apparaît en réalité  comme un agent zélé de la stratégie de l’intimidation mise en place par les islamistes, dans la catégorie « coupeur de langues ». Le CSA agit directement ou en comptant sur l’auto-censure des diffuseurs (on se rappelle que i-Télé avait congédié Zemmour suite à l’article du Corriere della Sera, et que RTL vient de révoquer sa chronique matinale). Alors, je suggère de supprimer le CSA et de répartir ses pouvoirs entre un pouvoir exécutif assumé et l’autorité judiciaire.

Deux remarques et deux prévisions pour terminer :

  • Heureusement qu’Angela Merkel, le 16 octobre 2010, ne s’est pas exprimée sur une chaîne française pour dire : « Nous nous sentons liés aux valeurs chrétiennes. Celui qui n’accepte pas cela n’a pas sa place ici ». En cas d’animateur passif, la chaîne aurait certainement eu sa mise en demeure pour discrimination liée à la religion, voire incitation à la haine ou à la violence.
  • Jamais jusqu’à présent, on n’a observé de terroriste agissant en criant « Zemmour Akbar ».

Nonobstant, je tiens le pari qu’il y aura une nouvelle mise en demeure pour les propos d’E.Zemmour ayant accompagné, chez un diffuseur quelconque, la publication de son nouvel ouvrage ; et bien sûr, les pouvoirs d’enquête du CSA vont être accrus parce que tout pouvoir de censure lutte pour l’extension de son domaine.

[1]Calcul fait en regroupant les décisions prises concernant le traitement des attentats de Paris

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2 commentaires

  1. les deux derniers “z&n” de paris première ont été un vrai régal, humour, pas de langue de bois, diversité des opinions surtout!

  2. Il y a deux mesures urgentes:
    1. supprimer toutes les lois muselières de la liberté d’expression, et ce quel que ce soit le motif (shoah, racisme ou autres)
    2. interdire aux officines genre Crif, licra, etc de porter plainte et évidemment, leur supprimer tout droit à recevoir des indemnisations devant les tribunaux.

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