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Histoire du christianisme

Le christianisme a-t-il « divinisé » Jésus ? Débat académique et implications

Le christianisme a-t-il « divinisé » Jésus ?  Débat académique et implications

Du P. Edouard-Marie Gallez:

Jésus a-t-il été « divinisé » par les chrétiens ? Ce débat, assez récurrent en milieu académique, est essentiellement conditionné par un regard porté extérieurement sur ce que les chrétiens sont présumés croire. L’idée est de comparer la dimension divine de Jésus telle qu’elle est exprimée dans le Nouveau-Testament avec la divinisation des Empereurs romains après Auguste ‒ ou éventuellement avec des formes de divinisations dans telle ou telle autre civilisation antique. Or de la comparaison, on passe parfois rapidement à l’amalgame.

Abordons la question de front : le Nouveau-Testament « divinise-t-il » Jésus de quelque manière que ce soit, ou bien s’agit-il d’autre chose ? Ce débat n’est pas accessoire, il entraîne de graves conséquences, les six qui sont définies et analysées ci-après, même si tout le monde ne les reconnaîtra pas volontiers comme telles. Il est important de signaler dès l’abord à quel point elles s’impliquent les unes les autres en une cascade logique, de « B » à « G » si nous nommons « proposition A » l’idée de la divinisation de Jésus.

Commençons par reformuler cette proposition « A » :

  • A : L’idée présumée chrétienne de diviniser un homme vient de ou correspond à une tendance du monde gréco-romain, ou plus largement païen ‒ on la retrouve aussi sous des formes diverses dans les gnosticismes orientaux, la question demeurant ouverte de situer l’origine de ces derniers dans l’histoire réelle.

Sur « A » s’est construite une cascade d’implications logiques :

  • B : On déduit ceci de la proposition « A » précédente :
    vu que cette « divinisation » présumée ne peut en aucun cas être le fait de juifs, elle a donc été le fait de non-juifs, à savoir de païens « christianisés » (de l’Empire romain).
  • C : On déduit ceci de la proposition « B » précédente :
    ce sont donc ces païens qui ont composé les évangiles, donc tardivement (après l’an 70, le temps de fabriquer la « divinisation ») ; et, bien sûr, ils ne peuvent avoir composé les évangiles qu’en grec.[1] Conséquence annexe « C’ » : ainsi, avant ces compositions en grec, les communautés chrétiennes juives n’ont donc rien produit (ou presque), et les traces de ce presque rien dans les évangiles grecs suggèreraient qu’elles voyaient Jésus simplement comme un homme.
  • D : On déduit ceci de la proposition « C » précédente :
    – D1 : c’est Paul, dont on connaît la période de ses écrits (entre 51 et 64), qui, le premier, a divinisé Jésus[2] ;
    – D2 : sous l’impulsion de l’Empereur Constantin, le concile de Nicée (325) y a contribué de manière déterminante en fabricant le dogme de la « Trinité », en réponse à l’arianisme qui fait de Jésus simplement une sorte de surhomme.
  • E : On déduit ceci de la proposition « D » précédente :
    puisqu’il existe des communautés chrétiennes parlant l’araméen (langue des juifs du 1er siècle) et professant la divinité de Jésus, et cela aujourd’hui encore, elles ne peuvent avoir commencé à exister qu’en dépendance du christianisme grec, donc pas avant la fin du 3e siècle : elles doivent n’être qu’une excroissance de ce christianisme grec dans l’est syriaque de l’Empire romain, ou la suite de la déportation de quelques populations gréco-romaines dans l’Empire parthe.
  • F : On déduit ceci de la proposition « F » précédente :
    les textes araméens (ou syriaques) du Nouveau-Testament ou Peshitta NT [3] ont donc été traduits du grec. Ainsi, ces textes ne doivent pas avoir d’intérêt ; pour un exégète, il est donc impensable (et dangereux pour sa carrière) de passer du temps à comparer systématiquement les versions en ces deux langues en vue de savoir quelle est la plus originelle. On ne fait pas une recherche dont on connaît déjà la réponse.
  • G : On déduit ceci de la proposition « G » précédente :
    les groupes de langue sémitique qui tiennent Jésus pour un homme (et non un Dieu) selon la recherche seraient les vrais chrétiens ayant conservé le christianisme des apôtres ‒ ces groupes, appelés parfois « sectes judéo-chrétiennes », sont qualifiés au choix de pré-pauliniens ou de pré-nicéens. Leur trace se retrouverait dans le Coran (ce qui est argumenté de manière convaincante, mais s’agit-il de groupes pré-pauliniens ou postérieurs ?).

La logique de cet enchaînement des sept propositions de A à G est imparable. Elle repose fondamentalement sur la proposition « A » : il faut que parler de divinité du Christ, ce soit parler de sa « divinisation ». Nous allons donc regarder avec attention ce postulat, et ensuite, plus brièvement, regarder ses six implications successives, notamment pour voir si elles correspondent à ce qu’on connaît de la réalité historique.

LA PROPOSITION « A »

Que croient les chrétiens ? La proposition « A » constitue-t-elle une interprétation légitime ou non de leur foi ?

Dans le cadre de cette analyse, on pourrait présenter ainsi le postulat de « A » : “les chrétiens croient que Dieu est présent en un homme (Jésus)” signifie : “les chrétiens ont divinisé un homme (Jésus)”. Une telle compréhension de la foi chrétienne serait légitime s’il n’existait pas une compréhension totalement autre que celle de « A ». En effet, la proposition “Dieu est présent en un homme (Jésus)” est clairement à comprendre comme signifiant “Dieu s’est rendu présent en un homme (Jésus)”, la totalité des écrits chrétiens l’indiquant. Est-ce rationnel que de vouloir imposer arbitrairement une compréhension autre ?

Si l’on analyse le problème plus avant, on perçoit que les deux compréhensions s’opposent radicalement : la foi chrétienne fait état indubitablement d’un mouvement descendant (de la part de Dieu, plus précisément ce qui a été appelé « incarnation »), tandis que la proposition « A » suppose un mouvement ascendant (élever un homme à devenir « dieu ») : elle confond manifestement un mouvement « descendant » avec un mouvement « ascendant ».

On peut donc parler d’une mécompréhension grave, mais il ne s’agit pas d’un phénomène nouveau. Déjà la foi des Hébreux était la victime de beaucoup d’incompréhensions de la part des peuples aux alentours. Pour les païens enclins à « diviniser » des humains, que pouvait signifier l’attente juive (et biblique) d’un Dieu qui vient visiter son peuple ? Quelle valeur avait à leurs yeux le Temple de Jérusalem qui était le lieu d’une présence invisible et impalpable, suite à l’initiative d’un Dieu de « descendre » ? Et que pouvaient-ils penser de l’idée ‒ ou plutôt de l’espérance ‒ que ce Dieu vienne vraiment visiter son peuple, selon des prophéties où le comment ne ressort pas clairement du tout ? De plus, étaient-ils contents de voir les juifs considérer comme une abomination leur habitude d’introduire une statue dans un temple puis de la déclarer « dieu » ? Au long de l’histoire, des Hébreux ont été tentés de concilier ces positions inconciliables ‒ on pourrait dire ainsi que cette tentation d’amalgamer les cultes juifs et païens est l’ancêtre de la proposition « A ».

On peut le dire d’autant plus que la réponse à cet amalgame a été donnée dans l’Antiquité déjà, par un juif. Au début des années 40 de notre ère, le philosophe juif alexandrin Philon (†45) nota dans un passage de sa Legatio ad Caïum, après être venu à Rome et y avoir vu l’empereur Caïus Caligula s’exhiber publiquement déguisé en Jupiter :

“Dieu se changerait plutôt en homme que l’homme en Dieu” [4].

Comme juif, il fut choqué par cette mascarade (il l’écrit après 41, une fois que Caïus est décédé). Ce philosophe d’Alexandrie a parfaitement compris et exprimé l’opposition radicale existant entre la vision religieuse juive et celle des païens. Il a pu la formuler tout seul, mais il est possible aussi qu’il ait entendu parler de la foi chrétienne : à Alexandrie, il pouvait rencontrer de nombreux juifs disciples des apôtres[5]. Son expression « se changer en homme » correspond en effet à la manière de parler des premiers milieux juifs chrétiens ‒ on la trouve dans des apocryphes[6].

Sous une forme amplifiée et précisée, on la trouve dans le Nouveau-Testament notamment dans ce passage de Paul, où il parle de la « descente » de Dieu dans la nature humaine : Le Christ Jésus, ayant la condition de Dieu, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu ; mais il s’est anéanti, prenant la condition de serviteur, devenant semblable aux hommes. Reconnu homme à son aspect, …” (Lettre aux Philippiens 2,6-7).

Aucun parallélisme ne devrait donc être intellectuellement possible entre la foi chrétienne et les cultes païens. C’est en vertu d’une logique interne étrangère au christianisme qu’un système de pensée peut produire cette confusion. Pour illustrer le problème, prenons l’exemple du discours islamique.

Pour l’Islam, le texte coranique est littéralement révélé par Dieu via la parole d’un ange dictant le texte au messager (rasul) Mahomet. Or, un de ses versets se lit ainsi :
“Quand Dieu dira : ‘Îsa (Jésus), fils de Mariam, as-tu dit aux gens :
Prenez-moi et ma mère pour deux divinités, à côté de Dieu ?” (sourate 5 verset 116)

 La logique interne du discours islamique exige donc que les chrétiens aient pour Trinité Jésus, Marie et Dieu ‒ c’est écrit dans le Coran, donc Dieu l’a dit littéralement. C’est ce qui est enseigné partout en islam, du moins là où les chrétiens ont peu d’influence de sorte que cette assertion ne soit pas immédiatement tournée en ridicule. Et si un chrétien conteste, la réponse à lui rétorquer est déjà toute prête dans le Coran : “Regarde comme ils mentent contre eux-mêmes” (sour. 6, v.24).

En fait, les commentateurs musulmans anciens[7] savaient encore que l’expression « mère de Jésus » (ici : « ma mère ») désigne là l’Esprit Saint, selon une manière de parler propre à la tradition de l’Eglise araméenne (aujourd’hui encore), les plus anciens écrits spirituels syro-araméens en témoignent[8]. L’ironie du verset 5,116 porte sur la situation de juge des chrétiens attribuée à Jésus, et non pas sur une formulation trinitaire classique en contexte syro-araméen. Mais un grave problème de logique interne islamique et islamologique se pose alors. En effet, si ce contexte constitue l’explication obligée d’un verset du Coran, il détermine aussi le cadre de la naissance de l’islam : on est donc amené à envisager pour l’islam un lieu originel dans le nord de l’Arabie. Ce qui est inacceptable pour l’islam. L’islamologie non plus, du moins durant cent cinquante ans, ne voulait pas un lieu autre que La Mecque, vu qu’elle prenait pour point de départ le discours islamique. En fait, des islamologues ont même inventé l’existence de « Mariamites » pour justifier la compréhension islamique littérale de ce verset 5,116. Cette invention, fondée sur une erreur, a été reprise par la propagande islamique actuelle pour commenter ce verset en se moquant de la foi des chrétiens[9]. Il a fallu attendre l’an 2005 pour que cette erreur grossière soit dénoncée[10], alors qu’il suffisait à tout chercheur d’aller interroger n’importe quel chrétien araméen (chaldéen ou assyrien) pour être détrompé.

On voit donc que la logique interne peut prévaloir sur la connaissance ou sur la simple information, même dans un milieu de chercheurs. Tel est aussi le cas de la confusion entre la foi chrétienne et des conceptions païennes, qui nous occupe ici. Il est possible que la commodité y soit pour quelque chose : on ramène toujours ce qu’on connaît mal à ce qu’on connaît déjà. En entendant parler, souvent sommairement, de groupes d’ascendance juive ayant nié très tôt la divinité du Christ, des chercheurs ont conclu que leur conception purement humaine de Jésus serait le vrai christianisme originel, et donc que parler de la présence de Dieu en Jésus serait une croyance postérieure, influencée par la pensée païenne grecque. C’est logique mais erroné : les groupes dits « judéochrétiens » auxquels ils se réfèrent dans cette discussion sont en réalité « ex-judéochrétiens » au sens où il s’agit de juifs ex-chrétiens ; lisons ce qu’écrit l’apôtre Jean dans sa première lettre à propos de ces ex-judéochrétiens qui “nient le Père et le Fils” :

“Ils sont sortis du milieu de nous, mais ils n’étaient pas des nôtres ; car s’ils eussent été des nôtres, ils seraient demeurés avec nous, mais cela est arrivé afin qu’il fût manifeste qu’eux tous ne sont pas des nôtres” (1Jn 2,19).

Ce qui échappe généralement dans la discussion, c’est que ces chrétiens juifs qui ont d’abord adhéré au message des apôtres puis l’ont retourné pour en faire autre chose créaient ainsi un phénomène religieux nouveau, qui sera même à l’origine de beaucoup d’avatars par la suite. L’opposition ne se situe donc pas entre un monothéisme juif et une influence païenne polythéiste, mais entre le christianisme des apôtres à fondement juif et les doctrines opposées à celle des apôtres, à fondement juif aussi, et qui méritent la qualification de « post-chrétiennes » (voir note 24).

En fait, la confusion inhérente à la proposition « A » a créé un flou occultant tout un pan de la recherche sur la formation des oppositions aux apôtres. Le Contra Haereses de saint Irénée de Lyon, à notre disposition depuis le milieu du 16e siècle (ce livre ainsi que la Démonstration de la prédication apostolique étaient inconnus auparavant), ne semble toujours pas être pris comme livre de référence pour l’étude du christianisme des origines et des groupes qui en dérivent.

Il apparaît donc que la proposition « A » ne présente pas la foi des apôtres, mais en présente une sorte d’inversion. C’est regrettable au point de vue scientifique, ou même rationnel. Et les conséquences successives qui en découlent et qui forment un ensemble de convictions assez répandues en milieu académique sont graves.

Passons en revue ces conséquences B à G.

LA PROPOSITION « B »

Cette proposition découle de « A » : la « divinisation » de Jésus a dû être le fait de non-juifs, à savoir de païens « christianisés » (de l’Empire romain).

S’il n’y a pas eu de « divinisation » de Jésus, la question de ses auteurs présumés est réglée. Il convient cependant de dire un mot du cadre historique dont la méconnaissance favorise l’adhésion à la proposition « B ».

Les apôtres étaient juifs, tout comme les premiers Papes ainsi que la grosse majorité des chrétiens durant au moins un siècle. Comme l’explique Paul, les non-juifs sont venus se greffer sur l’olivier hébréo-araméen solide ‒ et il fallait que cet olivier soit solide car, dès le début, les apôtres et leurs disciples sont partis évangéliser toutes les parties du monde alors accessibles, jusqu’en Inde et en Chine[11]. Il en résulta très vite une diversité de communautés ; « l’olivier » commun hébréo-araméen biblique et cultuel assurait l’unité, en particulier l’unité liturgique (les Indiens de Saint Thomas célèbrent aujourd’hui encore en araméen). Quand on découvre l’ampleur du christianisme hébréo-araméen des apôtres dans le monde de ce temps, l’idée d’une influence de « païens christianisés » laisse songeur…

LA PROPOSITION « C »

Découlant de la précédente, cette proposition suppose que ce sont donc ces païens christianisés qui ont composé les évangiles, donc tardivement (après l’an 70, le temps de fabriquer la « divinisation ») ; et, bien sûr, ils ne peuvent avoir composé les évangiles qu’en grec. En conséquence, les communautés chrétiennes juives n’ont rien produit (ou presque) avant ces textes en grec, et les traces de ce presque rien dans les évangiles grecs doivent suggérer qu’elles voyaient Jésus simplement comme un homme.

Ici, nous abordons le problème de fond de l’exégèse occidentale, posé par les Protestants allemands à partir de la fin du 16e siècle. Par anti-romanisme, ces derniers se sont tournés exclusivement vers les manuscrits grecs, les estimant a priori meilleurs que les textes latins de l’Eglise catholique. Certes, on n’oubliait pas les autres langues ‒ dans Pantagruel, Rabelais indique encore qu’il faut apprendre l’araméen (le chaldéen écrit-il) ‒, mais, en pratique, les manuscrits en ces langues faisaient grandement défaut. Ceux-ci n’ont été disponibles qu’à partir de la fin du 19e siècle, du fait de la rareté des contacts avec les chrétientés de l’Orient auparavant ; et au 20e siècle, à la suite des immigrations massives de chrétiens d’Orient persécutés, des liens plus nombreux ont pu se nouer.

Néanmoins, aujourd’hui encore, aucune place sérieuse n’est faite à ces chrétiens dans le monde académique parmi les enseignants, et les évangiles sont toujours présentés comme le fruit de rédacteurs grecs ‒ même si on commence à se demander s’ils ne sont pas faits originellement de compositions narratives plutôt que de rédactions. En tout cas, presque personne encore n’entreprend de comparer systématiquement d’un côté les meilleurs textes manuscrits grecs (répartis en sept ou huit familles irréductibles entre elles, ce qui pose un sérieux problème), et de l’autre, les manuscrits syro-araméens (qui forment une seule famille). Et on continue à affirmer de manière dogmatique que les textes araméens ont été traduits du grec[12]. Ceux qui ont des doutes et veulent comparer les textes, comme le Protestant Jan Joosten, risquent gros[13].

Rationnellement, il est pourtant très difficile de croire que les juifs chrétiens n’aient pas composé de récits en araméen qui était leur langue (et celle de Jésus), alors qu’ils évangélisaient dans toutes les directions du monde et que l’araméen (et non le grec) était la lingua franca, l’anglais de l’époque[14]. Et ce n’est pas tout. Les juifs faisaient partie des civilisations orales, même si tous les hommes devaient être plus ou moins capables de lire les écrits sacrés lors du culte synagogal. Ainsi, pour les juifs chrétiens, si l’important était la transmission de bouche à oreille et de cœur à cœur, la mise par écrit comme aide-mémoire répondait à une nécessité originelle. Ce qui est une transmission sacrée doit être gravée sur la pierre ‒ sur des parchemins en l’occurrence ‒ à l’exemple des Ecritures. L’Evangile au sens premier d’Annonce faite de divers récitatifs évangéliques (cf. Ga 2,2 ; Rm 2,16 etc.) reçoit ce rang d’Ecriture, comme en témoigne la Première lettre à Timothée, datant probablement de l’an 57.

En effet, Paul cite là une parole de Jésus parallèlement à une citation de la Torah : “L’Ecriture dit : Tu ne muselleras pas le bœuf qui foule le grain (cf. Dt 25,4 ; 24,15), et encore : l’ouvrier est digne de son salaire” (1Tm 5,18). Or la seconde citation n’existe qu’en Mt 10,10 et en Lc 10,7 ![15] Aux yeux d’un juif chrétien en l’an 57, quel texte pouvait avoir une autorité d’Ecriture sacrée, sinon un aide-mémoire tel que l’évangile selon Mt qui était alors utilisé (prioritairement) dans la liturgie comme l’était la Torah ?

Au reste, la conviction que les évangiles existaient sous forme écrite bien avant la première « guerre juive » (66-70) n’est pas rare chez les exégètes travaillant sur le grec ‒ le cas de Jean étant à part, cet évangile ayant été composé en deux temps[16]. Mais peu encore perçoivent que l’aide-mémoire de récitation publique en araméen est la source des traductions en grec (et en d’autres langues), directement ou à l’occasion de traductions simultanées mises par écrit : c’est systématiquement en araméen que les apôtres et autres témoins de la résurrection donnaient leur témoignage qui, si nécessaire, était traduit en grec ou en latin par des interprètes, par exemple Marc pour ce que disait Pierre[17]. Il est possible que les premières mises par écrit en grec ou latin aient été privées, les gens de ces langues n’étant plus de culture orale (mais écrite) et retenant moins bien par cœur que les araméophones. En tout cas, le besoin de diffuser des mises par écrit officielles se fit tôt sentir, aussi à cause de la dispersion vers 37 de la communauté de Jérusalem menacée par des troubles, elle qui donnait le ton liturgique aux autres communautés chrétiennes : en urgence, Matthieu dut fixer un écrit de référence pour la liturgie[18].

Le défi de l’exégèse serait de retrouver le jeu de l’oralité araméenne, à partir des témoignages répétés rigoureusement par les témoins eux-mêmes puis par leurs disciples dès les années 30. S’il existe une difficulté à discerner ces témoignages-récitatifs dans nos évangiles, c’est parce qu’ils y sont fréquemment enchevêtrés ; ceci tient à la nature même des évangiles : ils sont organisés à l’usage liturgique, donc en fonction du calendrier. Ce sont des lectionnaires[19] ‒ à l’exception de Jean qui est organisé selon un autre objectif[20]. Cette découverte majeure, permise par les études orales araméennes, éclaire définitivement des tâtonnements qui ont commencé il y a près de quatre siècles et qui conduisent chaque exégète travaillant sur le grec à imaginer ses propres plans pour rendre compte des évangiles ‒ et il n’y en a pas deux qui sont d’accord. Et bien sûr, l’idée que les chrétiens araméens d’Asie (et de l’est de l’empire romain) ont perdu leurs textes à la suite du Diatessaron de Tatien, puis qu’ils ont dû les retraduire du grec au 5e siècle avec l’Evêque Raboula d’Edesse relève d’un mythe académique ‒ un mythe commode pour ne pas avoir à s’intéresser sérieusement aux textes araméens.

LA PROPOSITION « D »

La proposition « D » tendait à préciser comment la divinisation de Jésus aurait été inventée ‒ par Paul d’abord puis par la définition trinitaire du concile de Nicée (325).

Peu importe ici que des définitions trinitaires aient existé auparavant. Le problème porte en fait sur une mécompréhension des discussions dites christologiques : certains chercheurs en effet ont cru qu’elles portaient sur la divinité du Christ elle-même, alors qu’elles portaient sur la manière d’exprimer celle-ci. Il est vrai en revanche que « l’arianisme » niait la divinité du Christ, mais aucun arien n’a été convié au Concile de Nicée qui s’est précisément réuni contre cette négation.

A l’époque, les responsables chrétiens étaient confrontés à la difficulté de s’accorder sur des formules de foi leur permettant de faire face. Ayant lieu en grec, les discussions de Nicée et des conciles postérieurs furent marquées par des manières de voir et de raisonner propres aux Byzantins, lesquels voulaient donner des définitions conceptuelles à tout. Or il arrive qu’on crée ainsi davantage de problèmes qu’on en résout. Prenons l’exemple du terme araméen de qnoma, employé par Jésus et qui se trouve plusieurs fois dans le Nouveau Testament araméen : il fut au cœur de certaines divergences, car il ne correspond ni au concept grec d’ουσια (« nature »), ni à celui d’υποστασιϛ (« hypostase »). Le Concile de Nicée ne tint pas suffisamment compte des différences de culture et de langue, ce qui conduisit finalement, lors du concile de Chalcédoine (451), à l’exclusion des Eglises apostoliques qui ne parlent pas grec et qui seront dites « préchalcédoniennes ».

On peut comprendre alors les confusions faites par un certain nombre d’académiciens de l’interreligieux et d’islamologues : ils ont cru que ces Eglises mises à l’écart (les Araméens de l’Eglise de l’Orient désormais désignés sous le sobriquet de « nestoriens », les Coptes, les Arméniens) défendaient des christologies comparables à celles de groupes opposés à la foi des apôtres c’est-à-dire catalogués comme hérétiques. Et, dans le passé (et on peut remonter à des universitaires du Moyen-Âge), sous l’influence des légendes islamiques[21], certains ont même imaginé que la christologie de l’Islam (qui nie violemment la divinité du Christ) s’inspirerait de celle de l’Eglise araméenne de l’Orient… alors que, vers 735, Jean de Damas compare l’islam avec l’arianisme et en aucun cas avec la pensée l’Eglise de l’Orient.

En fait, l’idée était de rattacher à tout prix la christologie islamique aux discussions christologiques de ou après Nicée, faute de comprendre mais aussi faute de recherches sérieuses sur les origines de l’islam. On lisait encore il y a peu : “Le Coran… appartiendrait lui-même, à l’origine, à une mouvance de chrétiens restés prénicéens, c’est-à-dire des Eglises ou des communautés chrétiennes qui n’ont pas accepté le dogme de la Trinité défini au concile de Nicée”[22]. En fin de compte, seules des confusions assez grossières cherchent à justifier la « christologie » islamique par des débats théologiques chrétiens, alors qu’elle s’enracine dans un phénomène bien antérieur, postchrétien juif, qui remonte en fait à la fin du temps apostolique.[23]

Il est vrai qu’une question, subtile pour l’historien, se profile derrière ces confusions : quel critère peut distinguer ce qui est chrétien de ce qui ne l’est pas ? Est-ce l’adhésion à des définitions, mais en quelle langue alors ? Avant les définitions des Conciles ne régnait-il qu’un vaste flou ? Le fait de croire, est-ce adhérer à des définitions ‒ à supposer que l’on comprenne quelque chose, ce qui nécessite des explications qui ne sont pas toujours plus claires non plus ? Ou est-ce autre chose ? En d’autres termes, les définitions sont-elles fondamentalement éclairantes ‒ c’était ce qu’espérait la pensée des Byzantins ‒ ou sont-elles seulement des poteaux indicateurs ?

Si le christianisme est d’abord une vie, on ne peut pas le mettre en concepts et en définitions. Dans les évangiles en grec, on lit par six fois “Ta foi t’a sauvé” ou alors comme en Mt 1,21 : « il sauvera le peuple de ses péchés », là où l’araméen signifie “Ta foi t’a vivifié” et que Jésus rend la vie au peuple sur les péchés. Certes, le verbe grec sôzô a un rapport avec guérir ; mais sortie de son contexte, l’affirmation “la foi sauve” pourrait être comprise en rapport avec un salut éternel conceptuel ou déconnecté de la vie concrète, alors qu’il s’agit d’abord de vie (re)donnée dès ici-bas par Jésus.

Aussi, s’il existe un critère de christianisme, il ne peut qu’être celui-ci : le chrétien, qu’il soit hébréo-araméen ou d’une autre aire culturelle ou linguistique, est celui qui croit que Jésus détient en lui-même le pouvoir de vivifier. Ceux qui croient que Jésus est sous le pouvoir d’un Autre c’est-à-dire qu’il ne sauve pas par lui-même mais intervient simplement comme un surhomme, ou alors croient qu’il est simplement un modèle à suivre c’est-à-dire que chacun doit se sauver lui-même en suivant ce modèle, ne partagent pas la foi des apôtres mais une autre foi. Ils adhèrent à des dénaturations de la Révélation chrétienne, que celles-ci soient du premier ou du second type.

Ces dénaturations, on les a globalement nommées hérésies, en créant ainsi un fourre-tout peu clair (le mot grec ‘aïresis qui a donné hérésie signifie d’ailleurs simplement opinion). Ce flou ne facilite pas la distinction entre ce qui est chrétien et ce qui ne l’est pas, et focalise souvent l’attention sur des aspects secondaires. Ce qui détermine la foi chrétienne, c’est que si Jésus sauve par lui-même, alors le Dieu révélé dans l’Ancien Testament est présent en lui, car Dieu seul peut sauver-vivifier. Quant à savoir la manière dont se dira cette présence, c’est certes déjà un objet du Nouveau-Testament et ce sera ensuite l’objet de nombreux débats théologiques, mais c’est secondaire. Hélas, ces débats ont souvent opposé entre elles des perceptions et expressions culturelles différentes du mystère du Christ, mais légitimes. Au demeurant, toutes les Communautés chrétiennes apostoliques du monde se reconnaissent de nos jours pleinement et mutuellement dans leur foi, exprimée en des langues diverses (souvent non transposables de l’une à l’autre, c’est la difficulté).

La proposition « D » conduit aussi à qualifier de « chrétiens » des écrits qui ne le sont pas, soit qu’ils présentent Jésus comme un messie en qui Dieu agit comme moteur ou inspirateur extérieur (selon la perspective arienne-messianiste), soit qu’ils le présentent comme un guide qui, par compassion, montre comment se sauver soi-même (tel est le cœur de tous les systèmes gnostiques). De tels écrits ne sont pas chrétiens, et les groupes qui en sont les auteurs ne peuvent pas être qualifiés de « chrétiens » ‒ ils ne peuvent pas non plus être qualifiés de « juifs hétérodoxes » : ils sont en effet en opposition également au judaïsme rabbinique (qui le leur rend bien par la malédiction journalière contre les minim). C’est pourquoi, au lieu d’employer pour eux le qualificatif illégitime de « chrétiens », la recherche sérieuse conduit à qualifier ces groupes postérieurs au christianisme apostolique, de « postchrétiens » : ils n’existent historiquement et logiquement que par rapport à celui-ci dont ils tirent des doctrines qui ne tiendraient autrement pas par elles-mêmes.

Les confusions liées aux propositions A, B et C entraînent celles qui sont liées à la proposition D, c’est assez logique.

LA PROPOSITION « E »

Si la foi en la divinité du Christ est une invention tardive, les communautés chrétiennes parlant l’araméen doivent être tardives également et elles ne peuvent avoir existé qu’en dépendance du christianisme grec, donc pas avant la fin du 3esiècle ‒ c’est une nécessité logique. On dira qu’elles n’ont été qu’une excroissance de ce christianisme grec dans l’est syriaque de l’Empire romain, ou la suite de la déportation de quelques populations gréco-romaines dans l’Empire parthe.

On trouve une expression de ce négationnisme de l’ancienneté apostolique des chrétiens d’Orient sous de nombreuses plumes, par exemple sous celle de Françoise Briquel-Chatonnet dans le livre au titre évocateur Après Jésus, l’invention du christianisme (voir note 1) ; elle y évoque une “mise en scène”, par les chrétiens d’Orient, d’une “conversion au christianisme” remontant à l’apôtre Thomas (p. 570). Et sous la plume de Paul-Hubert Poirier, on lit que “l’expansion du christianisme” au-delà des frontières de l’Empire daterait du 3e siècle, “les chrétiens ayant commencé à utiliser” le latin à la fin du 2e siècle, le syriaque au début du 3e siècle seulement, et le copte à la fin du même siècle, l’arménien au 5e siècle et d’autres langues plus tard encore (p.53) ; n’existaient-ils pas auparavant ?

Ce qui est occulté ainsi, c’est que, depuis le 1er siècle jusqu’aux grands massacres de Tamerlan, l’Asie comptait davantage de chrétiens que l’Europe. Sur les douze apôtres, seuls trois (Jacques frère de Jean, André et Pierre) sont allés vers l’Occident, les autres sont allés ailleurs, à l’exception de Jacques le Juste qui, lui, est resté à Jérusalem, considérée comme le centre du monde. Penser qu’il n’existait de chrétiens que dans l’Empire romain jusqu’à la fin du 3e siècle est simplement le résultat d’un postulat, et ce postulat négationniste s’enracine fondamentalement dans la proposition « A ».

LA PROPOSITION « F »

Puisque les Eglises syro-araméennes sont présumées n’avoir existé que tardivement, leurs textes du Nouveau-Testament ont donc été traduits des textes déjà existant ‒ donc du grec.

Mais si l’inverse est vrai, c’est-à-dire si le christianisme des origines n’est pas davantage à l’ouest de Jérusalem (dans l’empire romain grec) qu’à l’est (dans l’empire parthe), il devient indispensable de comparer les meilleurs manuscrits grecs et syro-araméens. Et alors, les textes araméens s’avèrent refléter un état du texte bien antérieur aux meilleurs manuscrits grecs, qui apparaissent être l’œuvre de traducteurs (divers au demeurant et dans divers dialectes grecs, telle est la raison principale de l’existence de sept ou huit familles irréconciliables de manuscrits grecs). Ces textes araméens peuvent éclairer notamment la plupart des obscurités des textes grecs ou latins, même s’il y a lieu de penser que les traducteurs ont fait de leur mieux dans le contexte qui était le leur.

LA PROPOSITION « G »

Puisqu’il existait des groupes de langue sémitique tenant Jésus seulement pour un homme, on imagine qu’ils ont précédé les Eglises de mêmes langues (araméenne, copte,…) et que ce sont ce sont eux qui conservaient le christianisme véritable des apôtres (les chrétiens grecs ayant inventé la divinité de Jésus). On les désigne souvent sous le vocable flou de « sectes judéo-chrétiennes », ou encore de groupes pré-pauliniens ou pré-nicéens. Nous avons vu plus haut en quoi ces qualificatifs sont trompeurs. Si des groupes de langue sémitique ou même autres parlent de Jésus en opposition à la foi des apôtres qui nous est réellement connue par le Nouveau-Testament (ce que nous pouvons comprendre à travers les textes araméens mieux encore que ceux en grec ou en latin), il s’agit de groupes postchrétiens[24].

CONCLUSION

Les propositions de A à G forment un système logique. Pour cette raison, il suffit qu’une seule de ces sept propositions s’avère être contraire aux données de la recherche sérieuse pour que l’ensemble soit invalidé. Or, les raisons ne manquent pas de mettre en cause chacune de ces propositions, en commençant par la première qui est la plus importante ‒ et qui est même la clef des autres. Il n’y a jamais eu de « divinisation » de Jésus mais la prise en compte du plan d’un Dieu qui s’est révélé en vue de venir sauver l’humanité, ce que Lui seul peut faire. La question est d’ailleurs ouverte de ce que Dieu va faire encore, une seconde venue du Christ étant annoncée. Il s’agit là d’une autre question, qui n’est pas simple non plus puisque les musulmans attendent eux aussi une seconde venue de Jésus, mais ce n’est pas la même. On peut comprendre que certains esprits trouvent tout cela bien compliqué et cherchent à ramener leur perception du christianisme à leurs schémas logiques et idéologiques… de A à G.

C’est donc une nouvelle approche cohérente et logique des origines chrétiennes qu’il faut promouvoir et creuser, conformément à la Révélation et aux données historiques et anthropologiques non censurées ou déformées par des postulats. De telles orientations nouvelles n’iront pas sans opposition, les chercheurs de vérité sont rares ; mais ceci est une caractéristique de notre temps à peu près dans tous les domaines, hélas.

[1] Une impressionnante et luxueuse publication de plus de 700 pages, subventionnée par le Ministère français de la Culture, Après Jésus, l’invention du christianisme (sous la direction de Roselyne Dupont-Roc et Antoine Guggenheim, Albin Michel, 2020), défend globalement cette thèse de la fabrication tardive  d’un christianisme qui ne devrait pas grand-chose à Jésus, “hormis un repas en mémoire de lui, et une prière, le Notre Père”, lit-on sur la page IV de couverture ; le reste a été « inventé », ce qui demande du temps : aux pages 21-22 l’évangile de Marc est daté de 71, ceux de Matthieu et Luc entre 80 et 85, et celui de Jean en 98. Beaucoup d’exégètes ne sont pas d’accord.

[2] Parmi les nombreuses discussions à ce sujet, celle-ci est assez synthétique : https://larevuereformee.net/articlerr/n200/jesus-ou-paul-qui-et-le-fondateur-du-christianisme.

[3]  Peshitta signifie tel quel, simple, sans glose.

[4] Philon d’Alexandrie, Légation à Caïus, trad. Delaunay, Paris, Didier, 1870, p.310 (§ 118).

[5] Si l’on en croit les Actes des apôtres (18,24-25), un ancien disciple de Jean le Baptiste, Apollos, originaire d’Alexandrie, parcourait l’Asie mineure autour des années 44 pour parler du Christ – Paul, à Antioche, lui parla du baptême dans l’Esprit Saint dont il n’avait pas entendu parler. Cet Apollos n’avait donc encore rencontré aucun des apôtres ni aucun de leurs disciples mais, dit cependant le texte, “il avait été instruit de la voie du Seigneur” ; à Alexandrie ?

[6] Dans quelques « apocryphes », on peut lire des formulations très proches. Celles qui sont données ci-après sont essentiellement tirées des Testaments des Douze Patriarches. Pour cette question très complexe, voir Le messie et son prophète, tome I, 2005 – section 1.4.2.1 Thématique de la venue de Dieu et double Visite, p. 166s.

[7] Tabarî, al-Baydawî, al-Zamahšarî, al-Jalâlayn ou d’autres encore moins connus : tous indiquent à propos de ce verset 5,116 qu’il s’agit de l’Esprit-Saint et non pas de la Vierge Marie – cf. Azzi Joseph, Le prêtre et le prophète : aux sources du Coran, Paris, Maisonneuve & Larose, 2001, p.169.

[8] Par exemple chez Saint Aphrahate (dit le Sage de Perse). La dimension « maternelle » de l’Esprit est tellement habituelle dans la théologie de l’Eglise de l’Orient, qu’il l’applique au chrétien : il existe un danger, écrit-il, que celui qui se marie oublie “son Père et lEsprit Saint sa mère” (Les exposés [écrits entre 336 et 345], trad. Marie-Joseph Pierre, Sources Chrétiennes n° 359, Paris, Cerf, 1989, t.2 p.791).

[9] Cf. l’intervention d’Hichem Djaït dans Jésus et l’islam : youtube.com/watch?v=qO-d-L8agH0&feature=youtu.be&t=2m14s. Il arrive en effet qu’en banlieue et vivant entre eux, les musulmans ne voient jamais un seul chrétien, de sorte qu’ils croient n’importe quoi au sujet de la foi chrétienne.

[10] Voir http://lemessieetsonprophete.com/annexes/marie-dans-la-trinite.htm  .

[11] Voir par exemple https://www.eecho.fr/?s=Inde+Chine.

[12] Au hasard, voici un exemple de ce dogmatisme : Muriel Dubié affirme péremptoirement que « dès 170, on traduisit les évangiles du grec en syriaque » (Après Jésus, l’invention du christianisme, Albin Michel, 2020, p. 576).

[13] https://www.eecho.fr/evangiles-primaute-de-larameen-exemples/

[14] Cf. Marion Duvauchel, https://www.eecho.fr/larameen-langue-du-monde-ancien/ .

[15] Il existe une petite différence quant à ce quoi l’ouvrier est digne : en Mt 10,10 il est digne de saybbārā/grec trofè, nourriture, tandis qu’en Lc 10,7 il est digne de ‘agreh/grec misthos, salaire. En araméen, le mot-clef est le verbe šâw’é exprimant l’idée de convenance (rendue en grec par axios, digne, faute de mieux) : “l’ouvrier est šâw’é (il lui convient, il mérite) sa nourriture” (Mt 10,10 – traduction commentée de la Peshitta par Mgr Francis Alichoran). Mais en grec, ce dont on est digne ne devrait pas être la nourriture mais l’honneur ou une récompense-salaire (comme en Mt 20) ; axios estin o ergastès tès trofès autou est clairement un aramaïsme qui indique une traduction.

[16] Cf. Breynaert Françoise, Jean, un « filet d’oralité », éd. Parole et Silence, 2020, 495 p., préface Mgr Thomas Yousif Mirkis, archevêque chaldéen de Kirkouk et Sulaimanyah (Irak) ‒ surtout les pages 69-77.

[17] “Paul avait Tite comme traducteur-interprète, comme le bienheureux Pierre avait Marc dont l’évangile a été composé, Pierre disant et lui écrivant” (Saint Jérôme, P.L. 22, col 1002).

[18] Les sources qui placent Mt en araméen avant Mc en grec permettent de situer le premier vers 37-38, en vertu du fameux passage du troisième livre du Contre les hérésies d’Irénée de Lyon, où il est question de la publication de Mc. Ce passage présente cependant une difficulté puisqu’il semble dire que la communauté de Rome a été fondée par Pierre et Paul : cette donnée est inexacte car en 42, Pierre y a fondé seul cette communauté, et comme elle existe déjà, Paul n’a aucune intention d’y aller, écrit-il en Rm 15,22. L’explication la plus probable est que la mention « et Paul » a été ajoutée par un copiste latin en l’honneur de la fête romaine des Sts Pierre et Paul. Voici le texte amendé : “Ainsi, Matthieu publia-t-il chez les Hébreux dans leur propre langue une forme écrite d’évangile vers l’époque où Pierre [et Paul] évangélisait Rome [jusqu’en 42] et y fondait l’Église. Après son départ [exodos, sortie, qui ne signifie jamais décès], Marc, le traducteur de Pierre, nous transmit lui aussi par écrit ce que prêchait Pierre. De son côté, Luc, compagnon de Paul, publia lui aussi l’évangile tandis qu’il séjournait à Ephèse en Asie” (Irénée, Adv. Haer., III 1,1).

Pour justifier une datation tardive de Mc, certains exégètes ont attribué au mot exodos le sens de décès, de sorte que la publication de Mc soit postérieure aux martyres de Pierre et de Paul, donc après 64. Mais ils sont alors en opposition à Eusèbe de Césarée qui, citant Clément d’Alexandrie († 215) et Papias († ±230), indique clairement par deux fois que Pierre est bien vivant au moment de cette publication-traduction en grec : “Ils [les auditeurs de Pierre] firent toutes sortes d’instances auprès de Marc, l’auteur de l’évangile qui nous est parvenu et le compagnon de Pierre, pour qu’il leur laissât un livre qui leur fût un mémorial de l’enseignement donné de vive voix par l’apôtre, et ils ne cessèrent leurs demandes qu’après avoir été exaucés… Pierre … se réjouit d’un pareil zèle : il autorisa l’usage de ce livre pour la lecture dans les églises. Clément rapporte ceci dans sa sixième Hypotypose et l’évêque d’Hiérapolis, Papias, le confirme de son propre témoignage” (Hist. Eccl. II,15 parall. VI,14 6).

[19] Hormis les exégètes travaillant sur l’araméen et connaissant l’oralité, quelques-uns tout de même se sont posé la question des évangiles synoptiques comme lectionnaires, ainsi Gordon W. Lathrop, de l’United Lutheran Seminary of Pennsylvania (in Après Jésus, l’invention du christianisme, Albin Michel, 2020, p.160). D’autres ont perçu la nécessité d’une « exégèse narrative », ce qui est déjà un premier pas dans la bonne direction.

[20]  L’évangile de Jean est organisé selon des structures orales complexes de méditation (dites « en filet »), il n’est pas fait pour « l’évangélisation ». Cf. www.eecho.fr/?s=liturgique  et www.eecho.fr/?s=%22en+filet%22 .

[21] Il s’agit en particulier de la légende du moine nestorien Serge Bahira qui aurait reconnu le « prophète Muḥammad » encore enfant et lui aurait transmis sa christologie.

[22] Gnilka Joachim, Qui sont les chrétiens du Coran ?, Paris, Cerf, septembre 2008 (traduit de l’allemand Die Nazarener und der Koran, 2005), p.9.

[23]  Voir par exemple https://legrandsecretdelislam.com.

[24] Le concept de « post-christianisme » a été inventé pour désigner le phénomène de « sortie du christianisme » marquant les 19e et 20e siècles au point de vue des institutions (on parle aussi de  « sécularisation ») ; mais il n’y a pas de raison de ne prendre en compte que l’aspect institutionnel. Si l’on considère l’aspect théologique (ou en d’autres termes celui de la foi apostolique), on peut et on doit regarder le phénomène qui commence vers la fin de l’époque apostolique, celui de groupes de judéo-chrétiens qui remettent en question la foi qu’ils tiennent des apôtres, et qui vont s’organiser en groupes et en doctrines opposés aux apôtres (tout en gardant de nombreux traits du christianisme originel).

Ces groupes et doctrines qu’on appellera plus tard sous le vague nom « d’hérésies » sont strictement parlant des contrefaçons (au sens où une contrefaçon est faite pour ressembler au modèle, mais ce n’est plus l’original). Ces contrefaçons, qui constituent exactement les post-christianismes, sont fondamentalement et historiquement de deux types, correspondant aux deux axes du christianisme (et donc aux deux façons possibles de le contrefaire) :

Pour plus de détails, voir www.eecho.fr/deux-derives-de-la-foi-chretienne.

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5 commentaires

  1. Si j’apprends qu’il y a de l’arsenic dans le pot de confiture que j’ouvre, je mets tout à la poubelle.
    Je ne comprends rien au “vouloir” de cet article, donc……
    avez-vous entendu parler des recherches de l’abbé Carmignac?

  2. On trouvera une étude passionnante, facile à lire (en BD!) avec les livres de Brunor (“Les indices pensables”). La forme ‘Bande dessinée’ facile d’abord, y compris pour des enfants ou adolescents en recherche, ne sacrifie en rien la rigueur.
    Cette question est bien traitée, avec les références conciliaires et contextes historiques, dans les livres 6 à 11 (1 à 5 se trouvent plus proche de “Dieu, la science, les preuves”).
    Se rappeler que Philon était platonicien et qu’il y a incompatibilité totale entre le christianisme et le platonisme. Sur la nature divine de Jésus Christ on retiendra peut-être la formule énoncé par Léon le grand : “Verus homo vero unitus est Deo” (vrai Dieu uni à vrai homme). Le prologue de Jean “le verbe s’est fait chair” vient d’une traduction altérée issue du grec et a provoqué de graves difficultés dans l’Eglise. Une traduction mot-à-mot donne “l’acte-de-parler (de Dieu, ‘davar’) vers l’homme”. Par exemple il n’est pas possible de parler du “logos” (le verbe) comme du “fils de Dieu”. D’une part on ne le trouve nulle part écrit, d’autre part un raisonnement basique suffit à le disqualifier: cela en ferait un “dieu second” (justement conforme à la mythologie grecque) qui contredit le monothéisme. De même il n’est pas possible de penser que Dieu aurait “revêtu” une apparence humaine, ni même qu’il aurait été lui-même “l’âme” et la volonté du Christ (encore une fois selon la mythologie grecque où Zeus prend apparence humaine) car cela contredit la nature humaine, temporelle (“vrai homme”) du Christ. Et ce serait accuser Dieu d’un comportement singulièrement irrespectueux.

  3. On peut aussi consulter utilement sur ce sujet “Dieu-la science-les preuves” (de Michel-Yves Bolloré et Olivier Bonnassies), ch.18 “Qui peut-être Jésus” pp.381-414…

  4. Profond et très élevé en même temps.
    Une fois cet éloge posé, je quitte l’intellectuel et trouve tout dans le Credo, le chapelet et la présence réelle de NSJC dans l’hostie consacrée. Le reste parait un peu byzantin.
    En un temps où 2/3 des catholiques pratiquants doutent de la transsubstantiation (rapport 2019 Pew Research), la réflexion devrait porter sur les priorités.
    Quant à m’interroger sur la thèse d’un certain Guggenheim sur la divinité de Jésus, comment dire ?…

  5. Ce texte est admirable, merci mon père.

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