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L'Eglise : Foi / L'Eglise : Vie de l'Eglise

La peine de mort inadmissible ? Bref examen critique

La peine de mort inadmissible ? Bref examen critique

De Jean de Saint-Jouin à propos de la récente modification du catéchisme :

Images-6Le pape François vient d’approuver une modification du catéchisme de l’Église catholique concernant la peine de mort [1]. Bien plus qu’une question de philosophie politique lointaine et abstraite, il s’agit d’un problème très concret qui nous concerne tous dans notre relation intime avec le Christ.

La question de la peine de mort est complexe et pourrait (devrait) être analysée sous plusieurs angles. Nous nous intéressons ici aux causes de la profonde mutation de ce concept dans la pensée catholique. Ici encore, les sommets neigeux des vérités éternelles semblent fondre aujourd’hui sous l’effets des rayons obscurs des étoile filantes de la nouveauté.

Justice et peine

Dans notre société contemporaine on a tendance à ne plus envisager la peine que sous un aspect correctionnel, c’est-à-dire comme un moyen de modifier le comportement d’un individu criminel ou encore comme le moyen de protéger la société d’une récidive [2]. Cette vision tronquée de la justice ignore un aspect important. Punir c’est aussi réparer, c’est à dire rétablir l’équilibre dans une situation objectivement désordonnée.

Pour bien comprendre cet aspect, il faut d’abord rappeler quelques notions fondamentales. Saint Thomas d’Aquin consacre plusieurs articles de la Somme contre les gentils et de la Somme théologique sur la question de la justice [3]. Pour le Docteur Angélique, parfaitement en ligne avec la sagesse antique, la justice est ce qui assure que, dans les relations entre les humains, chacun reçoive ce qui lui est du [4]. Ce devoir provient de la nature même du bien commun dont la justice générale est la vertu propre. Tout déséquilibre dans cet ordre constituera donc une injustice [5]que l’État, gardien du bien commun, veillera à corriger.

Pour le comprendre plus facilement on donnera l’exemple d’un vol. L’ordre a été brisé par un individu A qui a pris le bien (disons la voiture) d’un individu B. S’il est certes pertinent pour l’État d’empêcher l’individu B de recommencer avec la voiture de l’individu C, il serait injuste d’omettre la question de la voiture de A. Celle-ci devra être rendu à son propriétaire. Dans le cas où la voiture ne puisse être restituée (disons qu’elle aura été détruite ou plutôt brûlée pour se coller à l’actualité) l’individu B ne cessera pas d’être responsable de la perte de ladite voiture et devra réparer en payant une somme équivalente et même encourir des dommages dits « punitifs ». C’est, entre autres, pour cette raison qu’une peine plus lourde devrait être infligée à un individu insolvable. Ne pouvant payer, il devra tout de même souffrir une peine proportionnée au mal qu’il a causé.

Si l’argument est relativement facile à comprendre pour ce qui est d’un bien matériel, monnayable, il devient beaucoup plus difficile à accepter pour d’autres fautes comme la calomnie, le viol, le meurtre. Pourtant, le même principe devrait s’appliquer, faire souffrir le coupable pour réparer le mal commis.

Apologie de la vengeance

Unknown-32Il s’agit là de la vertu de vengeance (si, si, j’ai bien dit vertu) dont Saint Thomas a d’ailleurs traité dans la Somme Théologique. En effet, dans la question 108 (IIaIIae), l’Aquinate se penche sur la licéité de la vengeance. Dans l’article 4 de cette question, il éclaire fort bien éclaire la question de la peine qui :

 …rétablit l’égalité de la justice, en tant que celui qui par le péché a suivi indûment sa volonté, souffre quelque chose de contraire à celle-ci [6]. Et cette réparation, s’il est fait avec mesure en proportion de la faute commise [7], produira moult fruits à savoir l’amendement (du pécheur), ou du moins sa répression, le repos des autres, le maintien de la justice et l’honneur de Dieu(…) [8].

Voilà une partie des raisons qui amènent St-Thomas d’Aquin à défendre la licéité de la peine de mort à la fois dans la Somme Théologique et dans la Somme contre les gentils. Appuyés sur l’ Écriture [9], il montre comment la peine de mort est parfaitement juste, dans certaines circonstances et moyennant les conditions requises, pour protéger la cité.

Cette défense qui peut paraitre si surprenante à nos susceptibilités déformées, a d’ailleurs été tenue comme seule position possible par l’Église jusqu’à tout récemment [10]. St-Alphonse de Liguori [11], St-Robert Bellarmin [12], Saint-Augustin [13], St-Jérôme [14]et une foule d’autres saints, papes et docteurs ont tous enseigné la même chose.

Repos et justice ou haine?

Nous avons cité, ci-dessus, les vertus produite par une juste peine infligée au pécheur. L’illustration devient frappante lorsqu’on observe, a contrario, l’effet funeste que peut avoir un crime qui n’est pas suffisamment puni pour la paix de la société.

Nous avons eu, récemment au Québec, le cas d’un cardiologue qui a horriblement assassiné ses tout jeunes enfants à coup de poignard pour faire souffrir son épouse qui venait de le quitter. Comme la peine de mort a été abrogée au Canada, l’assassin en fut quitte pour une peine d’emprisonnement d’où il sortira éventuellement. J’ai été frappé de prendre connaissance de plusieurs commentaires dans les médias sociaux et à la radio d’hommes qui se promettaient, plein de haine, de lui « régler son compte » à sa sortie de prison. Cette haine, si elle est explicable, constitue un redoutable fléau que la cité, par l’application de la véritable justice, devrait chercher à éviter. En ne punissant pas suffisamment un crime odieux, en ne réparant pas, au moins le plus possible, un déséquilibre grave dans les relations entre les hommes, l’État crée un terreau fertile à la naissance de la haine.

Plus récemment, je me souviens d’avoir personnellement souhaité qu’un homme qui avait tué plusieurs policiers avant de prendre le large, soit passé par les armes par les agents à ses trousses. Mieux vaut mort que vif me disais-je. Ma réaction, injuste certes, provenait de la certitude que justice ne serait pas faite et que le criminel finirait par être nourri par le denier public (ce qui arriva effectivement).

Plus proche de nos réalités, les parents, les professeurs, les chefs scouts connaissent bien l’importance de la punition publique pour préserver la paix et éviter des vendettas interminables.

Il ne faut pas sous-estimer l’infection qui se développe dans une société où les membres n’ont pas ou plus confiance dans l’application de la justice. Un crime odieux doit être punis proportionnellement.

Objections

La peine de mort choque nos sensibilités contemporaines? C’est justement que nous avons perdu une partie de l’acuité de notre sens de la justice, ce qui n’est pas sans conséquence pour nos vies spirituelles, nous le verrons plus loin. Avant d’explorer les raisons qui expliquent notre vision viciée, tentons de répondre rapidement, à quelques objections qui pourraient subsister chez le lecteur.

Les erreurs, si charmantes soient-elles, sont rarement nouvelles mais plutôt, habituellement, des « remix » d’antiques sophismes. Heureusement pour nous, dans la plupart des cas, St-Thomas d’Aquin y avait déjà réfléchi et répondu un bon 7 siècles avant notre naissance. Mettons-nous donc, humblement, à l’école du Saint Docteur pour trouver réponse à ces difficultés.

À ceux qui, cherchant à expliquer les moult justifications de la peine de mort dans l’Écriture sainte, argumentent que la peine de mort pouvait être pensable dans l’Ancien Testament mais est admissible dans la loi d’amour de l’Évangile St-Thomas répond :

La loi évangélique est une loi d’amour. C’est pourquoi ceux qui font le bien par amour, les seuls d’ailleurs qui appartiennent vraiment à l’Évangile, ne doivent pas être terrorisés par des menaces qu’il faut réserver à ceux que l’amour ne pousse pas à bien agir. Ceux-ci ont beau être comptés parmi les fidèles, ils n’en sont pas par le mérite [15].

À ceux qui seraient tenter d’argumenter que le Seigneur nous a spécifiquement commandé de ne pas arracher l’ivraie, St-Thomas répond :

Le Seigneur, en défendant d’arracher l’ivraie, avait en vue la conservation du blé, c’est-à-dire des bons. Ceci s’applique lorsqu’on ne peut faire périr les méchants sans tuer en même temps les bons ; soit parce qu’on ne peut les discerner les uns des autres, soit parce que les méchants ayant de nombreux partisans, leur mise à mort serait dangereuse pour les bons. Aussi le Seigneur préfère-t-il laisser vivre les méchants et réserver la vengeance jusqu’au jugement dernier, plutôt que de s’exposer à faire périr les bons en même temps. Toutefois, si la mise à mort des méchants n’entraîne aucun danger pour les bons, mais assure au contraire leur protection et leur salut, il est licite de mettre à mort les méchants [16].

Pour les autres qui, avec noblesse, s’inquiètent du sort éternel des condamnés dans le couloir de la mort, St-Thomas explique :

Selon l’ordre de sa sagesse, Dieu tantôt supprime immédiatement les pécheurs afin de délivrer les bons ; tantôt leur accorde le temps de se repentir, ce qu’il prévoit également pour le bien de ses élus. La justice humaine fait de même, selon son pouvoir. Elle met à mort ceux qui sont dangereux pour les autres, mais elle épargne, dans l’espoir de leur repentance, ceux qui pèchent gravement sans nuire aux autres [17].

Il ajoute même dans la Somme contre les Gentils :

s’ils sont si obstinés, que même au moment de la mort leur cœur ne se détourne pas du mal, il est possible de faire un jugement hautement probable selon lequel ils ne renonceraient jamais au mal et qu’ils ne feraient jamais bon usage de leurs facultés [18].

Pour ceux encore qui, avec le Pape François [19], mettent de l’avant la dignité humaine qui défendrait de tuer tout homme, St-Thomas répond :

Par le péché l’homme s’écarte de l’ordre prescrit par la raison ; c’est pourquoi il déchoit de la dignité humaine qui consiste à naître libre et à exister pour soi ; il tombe ainsi dans la servitude qui est celle des bêtes, de telle sorte que l’on peut disposer de lui selon qu’il est utile aux autres, selon le Psaume (49, 21) : « L’homme, dans son orgueil ne l’a pas compris ; il est descendu au rang des bêtes ; il leur est devenu semblable », et ailleurs (Pr 11, 29) : « L’insensé sera l’esclave du sage. » Voilà pourquoi, s’il est mauvais en soi de tuer un homme qui garde sa dignité, ce peut être un bien que de mettre à mort un pécheur, absolument comme on abat une bête ; on peut même dire avec Aristote qu’un homme mauvais est pire qu’une bête et plus nuisible. [20]

Après avoir répondu à quelques-unes des objections possibles, nous tenons maintenant à discuter des causes de ce changement inopiné dans l’esprit catholique.

Lex Orandi…

La condamnation de la peine de mort constitue une curieuse nouveauté pour la pensée catholique, comme nous l’avons montré. Et ce changement de conception, se fait à la faveur de l’opinion à la mode, au diapason de l’esprit du monde [21]. D’où peut donc bien venir cet éloignement de la pensée traditionnelle sur cette question? Pour le comprendre, vous me permettrez ce qui pourrait parait être une courte digression.

De Missa

Repetitio Mater Studio Est dit-on. La fascinante et complexe nature humaine et sa prodigieuse intelligence progresse par la répétition ordonnée. Tous les formateurs, de tous les temps, savent à quel point il est essentiel de répéter pour que le savoir pénètre [22]. Cette règle s’applique aussi à la Foi. Le cycle liturgique [23] et son enchainement de fêtes, ourlés de textes admirables, communiquent l’essence de la Foi selon un mode qui respecte admirablement bien le rythme respiratoire de la psyché humaine.

Ce lien entre nature humaine et la liturgie est très intime et le vénérable adage Lex Orandi, Lex Credendi le souligne admirablement. Dis-moi comment tu pries, je te dirai ce que tu crois.  Or, comme le siège de la Foi est dans l’intelligence [24] les leçons répétées de la liturgie informent l’être en entier, y compris dans ses aspects culturels et politiques. Si la culture occidentale a été faite pour la messe, comme l’a dit magnifiquement John Senior, des mutations critiques à la liturgie auront nécessairement un impact sur les socles de la pensée, de la culture, de la politique.

Nouvel ordo, nouvel ordre… 

Or ces changements majeurs ont eu lieu. Loin de n’être que cosmétique, le nouveau rite de la messe promulgué par Paul VI fut un véritable tsunami dont nous commençons à voir, hélas, les conséquences cataclysmiques multiformes. Ce bouleversement avait été clairement dénoncé et ses conséquences prophétisées. En effet, dans leur Bref Examen Critique, ouvrage hélas ignoré aujourd’hui, les Cardinaux Bacci et Ottaviani [25] disait :

Tant de nouveautés apparaissent dans le nouvel ORDO MISSAE, et en revanche tant de choses éternelles s’y trouvent reléguées à une place mineure ou à une autre place, — si même elles y trouvent encore une place, — que pourrait se trouver renforcé et changé en certitude le doute, qui malheureusement s’insinue dans de nombreux milieux, selon lequel des vérités toujours crues par le peuple chrétien pourraient changer ou être passées sous silence sans qu’il y ait infidélité au dépôt sacré de la doctrine auquel la foi catholique est liée pour l’éternité [26].

Il faut bien admettre que le temps semblent aux réinterprétations doctrinales, entre autres, pour ce qui est de la peine de mort. Nous pourrions étudier bien des impacts desdits changements liturgiques mais nous nous limiterons, ici, à ceux qui semblent être liés à cette question.

Suscipe

Un des changements critiques du nouvel ordo de la messe fut celui relié à l’offertoire [27]. Certes moins spectaculaire que le passage au vernaculaire ou le changement d’orientation, cette mine sous-marine était pourtant dotée d’une tête nucléaire. Le Bref examen critique avait d’ailleurs, sur ce point, souligné plusieurs problèmes, en particulier en relation avec la notion de Sacrifice.

Images-7Mais le nouvel ORDO MISSAE dénature l’offrande en la dégradant. Il la fait consister en une sorte d’échange entre Dieu et l’homme : l’homme apporte le pain et Dieu le change en pain de vie ; l’homme apporte le vin, et Dieu en fait une boisson spirituelle : ” Tu es béni, Seigneur Dieu de l’univers, parce que de ta libéralité nous avons reçu le pain (ou : le vin) que nous t’offrons, fruit de la terre (ou : de la vigne) et du travail de l’homme, d’où provient pour nous le pain de vie (ou : la boisson spirituelle) “.

L’offertoire traditionnel est, quant à lui, tout entier orienté vers le sacrifice unique du Christ. En réalité, toute la liturgie de la Sainte Messe dans le rite traditionnel rend présent, réellement et liturgiquement, ce sacrifice et insistant sur sa nature propitiatoire et soulignant l’offrande de la Présence Réelle à la Trinité. C’est peu surprenant étant donné que la messe EST substantiellement et réellement le renouvellement non-sanglant du sacrifice de la croix. C’est bien d’ailleurs cette insistance sur le Sacrifice qui séparait si clairement la doctrine catholique des erreurs protestantes. C’est bien cela qu’on a cherché à occulter pour favoriser le pseudo-rapprochement post-conciliaire.

Ce nouveau silence liturgique, sur un aspect pourtant si critique a, par voie de conséquences et en vertu de cette intimité entre Foi et liturgie dont nous avons parlé, modifié la catéchèse, les sermons, les travaux des théologiens. De plus en plus, le peuple de Dieu, ainsi affamé, s’est trouvé en carence grave de vitamines intellectuelles et spirituelles. Privé de clarté sur la notion de sacrifice, le nouveau rit, quant à lui, continue toujours à porter une conception réductrice de la messe, banquet, rassemblement des enfants de Dieu, action de grâce.

Or, qu’est-ce donc que ce Sacrifice, dont on a cherché à épurer la liturgie, sinon l’exécution d’une peine de mort?

Qu’en pense le Bon Dieu?

Loin d’être contre la peine de mort, dans l’Ancien Testament, Dieu, législateur suprême, l’a plutôt expressément commandé pour une longue liste de crimes [28], dont l’adultère. C’est un appliquant cet ordre divin que les pharisiens vinrent demander au Christ ce qu’il pensait de la peine de mort :

Maître, cette femme a été surprise en flagrant délit d’adultère. Or Moïse, dans la Loi, nous a ordonné de lapider de telles personnes. (Jean 8, 4-5)

Une lecture superficielle de cette page de l’Évangile pourrait nous laisser croire que le Je ne vous condamne pas non plus [29]de notre Seigneur à Marie-Madeleine constitue une approbation de l’opinion du Pape François. Mais pourtant, le Fils de l’Homme nous a bien dit : Ne pensez pas que je sois venu abolir la Loi ou les Prophètes; je ne suis pas venu abolir, mais parfaire [30].

Cette perfection de la loi nous ramène au centre de la geste du Salut et donc de la Messe. Ne nous y trompons point. La femme adultère n’a pas été acquittée suite à un vice de procédure! Elle était coupable. Elle le savait. Et sa peine de mort, juste, a bel bien été appliquée, mais comme en différé.

Lorsque Notre-Seigneur Jésus pardonne la femme adultère, Il n’élimine pas sa peine avec une baguette magique, Il la prend sur Lui. Sur le calvaire, cloué sur la croix, il subit la juste sentence de Marie-Madeleine. Les pierres des pharisiens sont changées en toutes sortes d’outrages et de tortures.

Dire subir, c’est parler court. Comme Dieu Il a créé, il a légiféré, Il a été offensé, Il a jugé et et condamné, Il a exigé réparation, Il s’est incarné, Il s’est fait victime, Il a dit voici je viens, Il s’est offert librement, Il a institué le sacerdoce, Il meurt, il agrée l’offrande; Son juste courroux est apaisé. Et jusqu’à la fin des temps, la messe renouvelle inlassablement cette tragédie divine.

La Croix est une peine de mort qui dépasse de loin la condamnation lâche de Pilate. Le Sacrifice du Christ représente la peine de mort librement acceptée et qui constitue le paiement de l’incommensurable dette justement exigée par Dieu pour rééquilibrer la justice éternelle offensée.

Va, ne pêche plus.

Méditer sur cet insondable mystère d’un Dieu qui prend sur lui une condamnation qui est nôtre, nous projette violemment devant notre condition de coupables, de rachetés. Ce constat est bouleversant et a plusieurs conséquences. Marie-Madeleine, reconnaissante et orante, alla couvrir les pieds du Sauveur de ses larmes, puis les oignit d’un parfum hors de prix et les essuya de ses beaux cheveux.

Contempler le Christ sur la Croix c’est, comme l’a dit de si belle façon le Père de Blignières, jeter sa misère dans le mystère [31]. Pécheur, couvert de plaies, le chrétien habitué à méditer la Passion pleure sa vie et cherche à la réformer. Il acceptera aussi de souffrir, pour réparer, pour compléter, en son corps et en son âme, ce qui manque à la Passion du Christ [32]. Il comprendra la peine, juste, comme un remède. Même la souffrance injuste lui paraitra essentielle dans la très délicate horlogerie de Dieu. Voulant imiter son maitre, il trouvera une joie profonde à payer pour les autres. Il voudra se sacrifier et offrir ces sacrifices, tout couvert de lui-même, avec le prêtre, sur la patène, pendant l’offertoire, pour tous ceux qui ne pleurent pas encore leur misère devant le mystère.

Le blues de l’homme déchu

Il est tellement plus rassurant, pour l’homme déchu, de s’imaginer un monde où rien ne se paye. Où la peine n’existe que pour « réformer » le coupable. Où la stricte rédhibition des dettes est un conte de grand-mères. Un monde, bref, où la peine mort n’existe pas. Où les conséquences de nos actes sont magiquement effacées, par un coup de baguette magique, sans conséquences. C’est la rêverie hédoniste, l’adolescence élevé au rang de magistrat, qui s’invite dans le Temple.

Perdu dans le jardin

Privé des échos répétés d’une liturgie signifiante et de la catéchèse du Salut, est-il réellement surprenant que l’homme cherche à cacher sa nudité? Être contre la peine de mort, c’est au fond se mentir à soi-même. Si c’est refuser sa propre culpabilité ontologique et refuser la sentence de mort où figure son prénom, c’est aussi refuser la joie indicible de Pâques. Mon frère. T’es-tu interrogé pourquoi tu réagis de manière si épidermique à cette question qui, au fond, devrait te laisser froid. Es-tu dans le corridor de la mort? A-t-on prononcé contre toi la sentence fatale? Alors pourquoi tant de passion à débattre de cette question? Ne serait-ce pas qu’en fait, si! Tu sais bien, au fond de toi-même, que, comme moi, tu mérites la mort 100 fois. Jette-toi dans les bras du mystère et accepte ta culpabilité profonde. Ce mystère n’est pas néant ; Il est amour et vérité. Écoute la voie de l’Église qui psalmodie dans sa liturgie de toujours, avec tant de beauté, la Miséricorde de ce Dieu qui a réglé la note éternelle.

Tous, prions pour que nos contemporains puissent avoir accès, de plus en plus, à cette liturgie extraordinaire (sic) qui assure aux âmes la vraie joie de l’Évangile et à l’Occident, une culture qui soit digne de sa vocation.


[1]Le nouveau paragraphe 2267 se lit comme suit Pendant longtemps, le recours à la peine de mort de la part de l’autorité légitime, après un procès régulier, fut considéré comme une réponse adaptée a (sic)la gravité de certains délits, et un moyen acceptable, bien qu’extrême, pour la sauvegarde du bien commun. Aujourd’hui on est de plus en plus conscient que la personne ne perd pas sa dignité, même après avoir commis des crimes très graves. En outre, s’est répandue une nouvelle compréhension du sens de sanctions pénales de la part de l’État. On a également mis au point des systèmes de détention plus efficaces pour garantir la sécurité à laquelle les citoyens ont droit, et qui n’enlèvent pas définitivement au coupable la possibilité de se repentir. C’est pourquoi l’Église enseigne, à la lumière de l’Évangile, que « la peine de mort est une mesure inhumaine qui blesse la dignité personnelle » [1]et elle s’engage de façon déterminée, en vue de son abolition partout dans le monde. Nous nous permettons de noter que le pape ce cite lui-même comme l’unique référence et source d’autorité.

[2]C’est d’ailleurs ce qui est signifiée par le nouveau texte du catéchisme : En outre, s’est répandue une nouvelle compréhension du sens de sanctions pénales de la part de l’État.Ibid.

[3]Pour la Somme théologique on se réfèrera à la Pars Secunda, Secundae (IIaIIae) questions 57-78

[4]La justice est l’habitus par lequel on donne, d’une perpétuelle et constante volonté, à chacun son droit.ST, IIaIIae, Question 58, article 1.

[5]Le juste en question est ainsi la proportion, et l’injuste ce qui est en dehors de la proportion. L’injuste peut donc être soit le trop, soit le trop peu, et c’est bien là ce qui se produit effectivement, puisque celui qui commet une injustice a plus que sa part du bien distribué, et celui qui la subit moins que sa part(Aristote, Éthique à Nicomaque, Chapitre VII)

[6]ST, IIaIIae, Question 58, article 4.

[7]Virtus vindicationis consistit in hoc, ut homo secundum omnes circumstantias

debitam mensuram in vindicando observet. ST Ila Ilae,q.108, a.2, ad 3. Il faut d’ailleurs préciser que déjà Aristote (et à plus forte raisons chez les auteurs chrétiens) on constate la difficulté pour l’homme d’agir avec proportion étant donné la virulence de la vertu de colère. Voir Blais, M. (1964). La colère selon Sénèque et selon saint Thomas. Laval théologique et philosophique,20(2), 247-290.

[8]Ila Ilae,q.108, a.2 C’est moi qui souligne.

[9]Saint Thomas cite comme suite : Cependant, il est écrit dans l’Exode (22, 18) :  Tu ne laisseras pas vivre les magiciens, et dans le Psaume (101, 8) : Chaque matin, j’exterminerai tous les pécheurs du pays.ST, Ila Ilae,q.64, a.2. On pourrait ajouter aussi l’extrait de la Genèse : Qui verse le sang de l’homme, par l’homme aura son sang versé. Car à l’image de Dieu l’homme a été fait.Genèse 9,6

[10]Les versions de 1992 et 1998 du catéchisme de l’Église Catholique comprenait toujours une reconnaissance (de plus en plus adoucie) de l’admissibilité de la peine de mort. Les jésuites sont d’ailleurs reconnus pour leur militantisme pour l’abolition de cet article du catéchisme. Voir : Gouy, P. La Peine de Mort chez St-Thomas, Salve Regina, (s.d.) consulté le 3 août 2018 au http://salve-regina.com/index.php?title=La_peine_de_mort_chez_St_Thomas_d%27Aquin

[11]Secus est de proscriptis quos occidendi cuius acutoritas publica datur: idque non injuste, cum ad Reipublicam defensionem sit necessarium. Theologia Moralis, Dubium II

[12]Dans son traité sur le gouvernement civil, De Laicis(paragraphe 5), St-Robert Bellarmin attaque les Anabaptistes et autres hérétiques qui soutiennent que la peine de mort est illicite.

[13]Si celui qui tue volontairement son semblable commet un assassinat, il existe cependant des cas où la peine de mort peut être donnée sans péché, comme lorsqu’un soldat tue son ennemi ou qu’un juge prononce une peine capitale contre l’auteur d’un crime.St-Augustin, Du libre arbitre

[14]Celui qui frappe les méchants dans leurs vices et porte un instrument de mort pour tuer les scélérats incorrigibles, celui-là est ministre de Dieu. St-Jérôme, Commentaire sur le livre d’Ézéchiel

[15]ST, IIaIIae, Question 108, article 1, réponse 3

[16]ST, IIaIIae, Question 64, article 2, réponse 1

[17]ST, IIaIIae, Question 64, article 2, réponse 2

[18]Summa Contra Gentiles, III, 146

[19]« la peine de mort est une mesure inhumaine qui blesse la dignité personnelle ». C’est d’ailleurs ce que le Pape soutient lorsqu’il ce cite, comme argument d’autorité dans le libellé du catéchisme. « la peine de mort est une mesure inhumaine qui blesse la dignité personnelle ».

[20]ST, IIaIIae, Question 64, article 2, réponse 2

[21]En soi, ça devrait inspirer un doute salutaire…

[22]La pscyhologie contemporaine continue, d’ailleurs, à constater cette réalité Wogan, M., & Waters, R. H. (1959). The role of repetition in learning. The American journal of psychology.

[23]Nous faisons ici référence au cycle liturgique traditionnel.

[24]ST, IIaIIae, Question 4, article 2

[25]Le cardinal Ottaviani était le préfet de la Congrégation pour la Foi lors de la promulgation

[26]Lettre

[27]Pour ceux qui ont envie de creuser la question et qui dispose d’une formation philosophique et théologie minimum, nous recommandons la lecture de l’étude du R.P. Guérard des Lauriers, O.P., concernant la question de l’offertoire et disponible à l’adresse suivante :

[28]Philip Thompson dans son ouvrage sur St-Augustin et la peine de mort en relève 11 à savoir idolatrie, fausse propéthie, travailler pendant le sabat, sorcellerie, blasphème, désobéissance aux autorités religieuses, l’adultère, prostitution, inceste, sodomie, bestialité. Thompson, Philip. Saint Augustine, Saint Augustin and the Death Penalty : Justice as the Balance of Mercy and Judgement, Augustinian Studies(2009), 40 :2 p. 184 p.7

[29]Jean 4, 11

[30]Mathieu, 5, 17

[31]Sermon du Xe Dimanche après la Pentecôte. Chéméré, Juillet 2018.

[32]Colossiens 1, 24

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3 commentaires

  1. Dans le contexte actuel, cette prise de position du pape a, à mon sentiment, du mal a être considérée comme salutaire. A t’il pensé aux familles des victimes du terrorisme ? Aux parents d’enfants violés et assassinés ? Entre autres…Malheureusement. Quand on discute des proportions aux peines à infliger à certains criminels par rapport à leur(s) méfait(s), il est à déplorer que celles-ci auraient parfois figure de “protection” et dans une société où la pauvreté et la précarité ont une large part, il existe le risque que des pauvres sdf (par exemple) voyant l’attention, pour ne pas dire la délicatesse, que l’on porte à des assassins pourraient être tentés de franchir la barrière ; façon d’être nourris, logés, soignés aux frais des contribuables. D’où cette possibilité, comme il est dit dans le commentaire, que l’application, dans certains cas précis, de la peine de mort pourrait bien apaiser des sentiments de haine.

  2. Merci pour cette approche éclairante.
    Une remarque : la femme adultère qui risquait la lapidation n’est a priori pas Marie Madeleine.
    Arguments : ce n’est pas détaillé dans les évangiles. Mais elle était d’une famille aisée, et fréquentait les romains et était leur protégée.
    Autre piste : visions de Maria Valtorta

  3. Un autre angle, malheureusement développé ni par le Pape ni par ses opposants est pourtant crucial : celui de la valeur du jugement.
    Qui condamnerait aujourd’hui ? L’autorité judiciaire d’aujourd’hui, trop souvent corrompue par des vues idéologiques, des préjugés racialistes, des pressions carriéristes. Pour faire simple : pour condamner à mort, il faudrait une justice qui soit sûre de son droit, cette justice n’existe plus.
    Nous avons sous les yeux l’exemple d’Esteban Mourillo : condamné à cause de ses idées bien plus qu’à cause de ses actes. Les mêmes actes commis par d’autres n’ont pas eu les mêmes sanctions. Si la peine de mort existait : il y passerait.

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