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Pays : Arménie

La Francophonie auprès de la jeunesse d’Erevan

La Francophonie auprès de la jeunesse d’Erevan

Texte et photos réalisés par notre envoyé spécial Antoine BORDIER :

De l’ambassadeur de France, au recteur de l’université Française en Arménie et au proviseur du lycée Anatole France, en passant par l’archevêque de l’Eglise catholique arménienne, la Francophonie est bien présente dans cette capitale peuplée d’un million d’habitants. Dans un pays martyr sorti tout juste de la guerre contre l’Azerbaïdjan, la Francophonie y joue un rôle clef.

Comme chaque année, au mois de mars, la saison de la Francophonie s’ouvre en Arménie. Elle devrait s’étaler sur plusieurs jours. Ce n’est pas seulement la langue française qui y sera célébrée, c’est, aussi, les arts et la culture, les projets francophones qui vont rayonner. Dans ce petit pays de 3 millions d’habitants, à majorité chrétienne, le drapeau bleu-blanc-rouge flotte à côté du rouge-bleu-jaune arménien (de haut en bas). Montagneux, il est situé dans le Caucase, en Asie Mineure, entre la Turquie à l’ouest et l’Azerbaïdjan à l’est, la Georgie, au nord, et, l’Iran au sud. A Erevan, sa capitale, non loin de la place de la République se situe l’Ambassade de France. Sur cette place, pendant quelques semaines, des milliers de manifestants s’étaient donnés rendez-vous, le soir même de l’annonce du cessez-le-feu définitif, le 10 novembre dernier, pour dénoncer la « lâcheté du gouvernement et sa capitulation », comme nous le confie Tigran, un jeune étudiant qui déplore la mort de ses amis tombés au champ d’honneur, près de Souchi, en Artsakh, la République auto-proclamée du Haut-Karabakh. Dans son joli salon aux décorations épurées, Jonathan Lacôte représente les intérêts de la France en Arménie. Nommé ambassadeur de France en Arménie, en octobre 2017, il est très aguerri sur les sujets de la francophonie, et, suit au plus près, en allant sur le terrain, les enjeux stratégiques et diplomatiques. Il était présent lors du Sommet de la Francophonie qui s’est tenu à Erevan en octobre 2018.

Le 17è Sommet de la Francophonie

Il se souvient comme si c’était hier de ce sommet qui a vu, pour la première fois, défiler en Arménie près de 80 délégations étrangères.

« Une partie de l’Afrique était là. C’est la première fois que l’on pouvait voir le pavillon du Rwanda, celui de la Côte d’Ivoire, du Sénégal. Il y a un vrai potentiel autour de la Francophonie. Nous n’avons pas les chiffres exacts, mais il n’est pas faux de dire qu’il y a entre 7 et 10% de la population qui est francophone. La France va, d’ailleurs, multiplier ses appuis autour de la Francophonie en Arménie. Il n’y a pas encore de centre culturel français en Arménie, mais nos services y travaillent. »

Jonathan Lacôte rappelle une réalité que l’on tendance à oublier :

« L’Arménie n’a obtenu son indépendance qu’en septembre 1991. Avec la chute de l’Union Soviétique, le pays était livré à lui-même. Et, il y a eu pendant une trentaine d’années beaucoup de corruption. Pendant cette période, le pays a perdu près d’1/3, un million de sa population. »

Depuis sa révolution de velours de 2018, l’Arménie semble revivre. Elle revit grâce à la Francophonie, une langue et une culture partagées par plus de 80 pays. Lors de ce sommet, Emmanuel Macron avait fait le déplacement et avait rendu hommage à Charles Aznavour, qui s’était éteint quelques jours avant, et, dont il avait célébré les obsèques nationales aux Invalides. A l’adresse de la jeunesse, il avait déclaré :

« la Francophonie doit reconquérir la jeunesse. Elle doit redevenir un projet d’avenir plein et entier. Oui, notre organisation doit s’adresser d’abord à la jeunesse. On nous a parfois reprochés d’être trop institutionnels. C’est souvent injuste, mais pas toujours infondé. Notre organisation doit renouer avec nos populations, s’adresser à elles, faire la preuve auprès d’elles de ce qu’elle apporte. La population de l’espace francophone est jeune, ne l’oublions pas, de lui proposer un avenir par l’éducation, la formation professionnelle, l’emploi, l’engagement dans la cité, la culture, c’est notre défi principal. »

Le lycée Anatole France

Entouré du drapeau arménien et français, Adel Chekir travaille sur un dossier qui lui tient à cœur, et, qui va contribuer à cette « reconquête » de la jeunesse : les plans du nouvel établissement du lycée Anatole France d’Erevan, ouvert depuis 2007. Situé près d’anciens entrepôts délabrés, l’établissement actuel dénote. Il fait penser à ces écoles du Bronx, aux Etats-Unis, où l’on n’ose pas s’aventurer. Pourtant l’endroit y est paisible A l’intérieur, de part et d’autre d’un couloir de près de 150 mètres sont organisées les classes des 250 élèves. Passionné par son métier, il fait visiter l’ensemble des classes qui regroupent aussi bien des élèves du primaire, que du collège et du lycée. Il faut dire que ce proviseur qui porte un costume bleu avec cravate sur fond de chemise blanche est un « ambassadeur de l’Education Nationale », comme certains le dénomme.

« Avec mon épouse, Nathalie, nous avons commencé notre carrière dans l’Education Nationale. J’étais professeur des écoles, puis, j’ai accédé, rapidement, aux fonctions de directeur d’école primaire, et, depuis 10 ans, aux fonctions de direction d’établissement du second degré. »

Il s’arrête dans une classe de maternelle et s’assoit au milieu d’une dizaine d’enfants, en entonnant une chansonnette. Les enfants rient aux éclats. Il est comme un poisson dans l’eau. A 56 ans, sa carrière est incroyable.

« J’ai dirigé les écoles des lycées français du Koweït et de Roumanie, et un lycée à Casablanca. J’ai accepté de venir en Arménie pour développer un établissement scolaire qui propose tous les enseignements (de la maternelle à la classe de terminale). J’aime ce que je fais, j’aime les gens. 50% de nos élèves sont arméniens, 30% sont français et le reste représente 13 nationalités différentes. Pour moi, la Francophonie, c’est, d’abord, aimer la langue et la culture française. Je suis arrivé, ici, en 2019. A ma petite échelle, j’y représente modestement la France et sa richesse dans l’enseignement. »

Enthousiaste, il ne cache pas que la fin d’année 2020 a été difficile :

« Avec nos 55 collaborateurs, nous avons affronté l’épreuve de la guerre dans le Haut-Karabakh et la crise sanitaire. Nous sommes, d’ailleurs, passé d’une situation déprimante à une situation dynamique et positive. Nous avons proposé d’accueillir gratuitement 13 enfants de familles déplacées. Pour moi, c’est cela, aussi, la Francophonie : développer le sens de l’accueil. »

L’UFAR

L’Université Française en Arménie est, également, un acteur important et incontournable de la réussite de la Francophonie en Arménie. Comme l’explique son nouveau recteur, Bertrand Venard, arrivé en septembre dernier.

« Je suis arrivé juste avant le conflit. Cette guerre a été un véritable carnage. 20 étudiants de l’université se sont portés volontaires pour défendre l’Artsakh, et, 9 sont morts. Nous avons, aussi, à déplorer la disparition de l’un d’entre-eux. »

Entier, il est en pleine rénovation de son établissement, qui accueille toutes années confondues près de 1500 étudiants. Une centaine de collaborateurs y travaillent. Il est conscient de son rôle :

« nous sommes un établissement de droit arménien, et, nous sommes classés parmi les 3 premières universités. Auparavant, je vivais en Grande-Bretagne, à Oxford. Venir ici, dans ce pays martyr, est un projet éthique. Je suis arrivé avec une vision très positive. Les Arméniens ont une vraie force intérieure, ils ne se plaignent pas. Il y a, ici, beaucoup de résilience. »

Au sujet de la Francophonie, il a été agréablement surpris :

« Notre université produit en quelque sorte de la Francophonie. Puisque 92% des étudiants qui s’inscrivent ne parlent pas le français. Ils l’apprennent en même temps et suivent leurs cours de mathématiques, d’informatique, de droit, de marketing ou de finance. »

Ce qui est inédit, c’est qu’ici à Erevan, à 5h00 de vol de Paris, la professionnalisation tant décriée en France est très appréciée. « Nous sommes très forts dans le domaine de la professionnalisation, confie-t-il ». Catholique, Bertrand Venard résume sa mission en quelques mots : « faire rayonner l’excellence française, et, la Francophonie, par le don de soi ». Il quitte son bureau et présente ému les portraits des étudiants-soldats morts sur le front de l’Arsakh. Il fait visiter le futur amphithéâtre en pleins travaux. Il parle du plan de réintégration des étudiants-soldats survivants et traumatisés par la guerre. Ce plan leur offre la possibilité de continuer gratuitement leurs études et d’être accompagnés par des psychologues pour soigner leurs traumatismes. Il est totalement financé par une entreprise franco-arménienne : AMUNDI-ACBA, ACBA Banque, l’UGAB, et le bienfaiteur franco-arménien Monsieur Raymond Yezeguelian. C’est cela, aussi, la Francophonie.

Mgr Raphaël Minassian, l’histoire et la religion

Pour l’archevêque des Arméniens catholiques d’Europe de l’est,

« la Francophonie en Arménie est liée à la longue amitié entre nos pays. Lorsque nous sommes devenus chrétiens en 301, il y a eu beaucoup de martyrs. Et, à un moment nos deux pays se sont rapprochés. Nous n’avions rien de commun, nos pays étant si éloignés géographiquement, mais nous avions la même foi. Le sang des martyrs coulait sur nos deux terres. Notre amitié s’est renforcée à plusieurs moments dans l’histoire. »

Dès le 6è siècle, l’évêque Grégoire de Tours raconte qu’un évêque arménien, Siméon, lui a demandé l’hospitalité, pourchassé par les Perses. Plus tard, lors des Croisades, les alliances se multiplient. Dans la Basilique de Saint-Denis, proche de Paris, il est possible de voir la tombe du dernier roi français d’Arménie, Léon V de Lusignan. Louis XIV, à son tour, renforcera les liens avec l’Arménie, sur le plan culturel cette fois. Lors de la Première Guerre Mondiale, les Arméniens se battent auprès des Français. Puis, le génocide de 1915-1920 va irrémédiablement souder les deux peuples. La France sera la première à dénoncer le génocide.

« Lorsque le pape François est venu en pèlerin, en juin 2016, raconte Mgr Minassian, il a dénoncé le génocide. Avec la guerre pour sauver l’Artsakh, en 2020, le génocide continue. »

En repartant, il croise des jeunes volontaires de l’Oeuvre d’Orient et de SOS Chrétiens d’Orient. Certains donnent gratuitement des cours de Français. C’est cela aussi la Francophonie !

Texte et photos réalisés par notre envoyé spécial Antoine BORDIER

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