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Institutions internationales / Liberté d'expression

La CEDH nous laissera-t-elle le droit de critiquer l’islam ?

La CEDH nous laissera-t-elle le droit de critiquer l’islam ?

Les signataires de cette tribune publiée sur Valeurs Actuelles expriment leur inquiétude alors que la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) doit décider ce 18 mars si elle rejuge une affaire dans laquelle elle avait rendu un arrêt limitant dangereusement la garantie de la liberté d’expression en matière religieuse :

« En tant qu’auteurs et chercheurs traitant notamment de questions relatives aux religions, nous exprimons notre vive préoccupation à l’égard de l’affaire de Mme Elisabeth Sabaditsch-Wolff contre l’Autriche. En effet, l’arrêt E. S. c. Autriche rendu en chambre par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) le 25 octobre 2018 limite dangereusement la garantie de la liberté d’expression en matière religieuse. Le 18 mars 2019, la Cour décidera s’il y a lieu d’accepter la demande de renvoi en Grande chambre, c’est-à-dire de rejuger l’affaire dans sa formation la plus solennelle.

La requérante est une Autrichienne qui a grandi en Iran, puis a travaillé dans des ambassades, au Koweït et en Libye. En 2009, lors d’une conférence publique sur l’islam, celle-ci a, entre autres choses, assimilé le mariage de Mahomet avec la jeune Aïcha âgée de 6 ans à de la pédophilie, en déclarant : « De quoi s’agit-il, si ce n’est de la pédophilie ? ». A cause de ce propos, elle a été condamnée en 2011 par les juridictions autrichiennes pour « dénigrement de doctrine religieuse », infraction prévue à l’article 188 du Code pénal autrichien. La requérante saisit ensuite la CEDH arguant d’une violation de sa liberté d’expression.

Pour analyser la condamnation de cette femme, la CEDH a soulevé des questions pertinentes : la pédophilie – dans son sens actuel – et le mariage d’enfants recouvrent-ils une même réalité ? Une femme se présentant comme experte de l’islam n’aurait-elle pas dû remettre dans son contexte historique le mariage entre Mahomet et Aïcha ? Par ailleurs, les propos de cette conférencière incluaient-ils délibérément des « préjugés » susceptibles de heurter des musulmans ?

La CEDH a considéré que les propos en cause étaient de « nature à susciter une indignation justifiée » des musulmans et constituent « une violation malveillante de l’esprit de tolérance à la base de la société démocratique » risquant « de mettre en danger la paix religieuse ». Elle en a conclu que la condamnation de la conférencière était justifiée au regard de la Convention européenne des droits de l’homme. Cette décision des juges de Strasbourg a été fortement critiquée par divers observateurs occidentaux, qui ont fait remarquer qu’elle équivalait à condamner des caricatures de Charlie Hebdo, mais aussi de Voltaire, Ernest Renan ou encore Auguste Comte.

De hautes autorités islamiques ont d’ailleurs considéré que ce jugement de la CEDH donnait raison à leur politique de répression du blasphème. Ainsi, l’Observatoire de l’islamophobie de l’Université El-Azhar du Caire a salué une décision « courageuse » et y a vu une condamnation générale des « blasphèmes contre le prophète ». Le Premier ministre du Pakistan Imran Khan s’est « félicité » de cette décision et a demandé aux pays européens de « redoubler d’efforts » pour lutter contre les blasphèmes. Ce même Premier ministre soutient dans son pays le maintien de la peine de mort ou de la prison à vie pour les blasphémateurs.

Nous demandons en conséquence à la Cour européenne d’accepter la demande de renvoi de cette affaire en Grande chambre. Il ne s’agit pas d’approuver en tout point les propos de la conférencière, mais de clarifier les limites de la liberté d’expression en matière religieuse, au sens de la Convention européenne des droits de l’homme.

Le rappel de faits historiques établis peut-il être condamné lorsqu’il concerne une personnalité considérée comme sacrée par une religion ? Est-il devenu répréhensible d’exprimer de tels propos alors que la Cour européenne dit vouloir protéger l’expression d’informations ou idées « qui heurtent, choquent ou inquiètent l’État ou une fraction quelconque de la population » ? La CEDH a aujourd’hui l’occasion de répondre à ces interrogations et de rappeler que la liberté d’expression ne doit être limitée ni par une quelconque pénalisation du blasphème – notion exclusivement religieuse – ni par la violence potentielle de ceux qui se disent offensés par tel ou tel propos.

Nous souhaitons, pour finir, exprimer à la Cour notre attachement au débat fondé sur la raison, qu’il soit politique ou scientifique, et à la liberté de critiquer les religions. Il y va de l’avenir de notre civilisation ».

Signataires

  • Waleed Al-Husseini, essayiste, fondateur du Conseil des ex-musulmans de France,
  • Mohammed Christophe Bilek, fondateur de l’association Notre-Dame de Kabylie et du Forum Jésus le Messie,
  • Rémi Brague, philosophe, membre de l’Institut de France,
  • Chantal Delsol, philosophe, membre de l’Institut de France,
  • Zineb El-Rhazoui, journaliste, féministe et militante des droits humains,
  • Renée Fregosi, philosophe et politologue.
  • Marc Fromager, directeur de l’Aide à l’Eglise en Détresse (AED),
  • Claude Habib, professeur émérite de littérature à la Sorbonne Nouvelle,
  • Philippe d’Iribarne, chercheur, directeur de recherche au CNRS,
  • Père François Jourdan, théologien et islamologue,
  • Maya Khadra, journaliste,
  • Annie Laurent, spécialiste de l’Islam et du Proche-Orient, fondatrice de l’association Clarifier,
  • Yassine Mansour et Nicolas Bauer, doctorants en droit,
  • Thibault de Montbrial, avocat au barreau de Paris,
  • Héla Ouardi, professeur à l’Université de Tunis, chercheur associé au CNRS,
  • Céline Pina, essayiste et chroniqueuse,
  • Grégor Puppinck, juriste, directeur de l’ECLJ, membre du panel d’experts de l’OSCE sur la liberté de conscience,
  • Boualem Sansal, écrivain,
  • Pierre-André Taguieff, philosophe et historien des idées, directeur de recherche au CNRS.
  • Michèle Tribalat, démographe.

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3 commentaires

  1. Dans le même esprit mais c’est simplement un exemple imaginé.

    Des parents élèvent leurs enfants…

    Ceux-ci, encore jeunes, élevés comme il faut, vont faire la guerre au Moyen-Orient avec des radicalisés.

    Parmi eux, une jeune femme qui, là-bas, a des enfants. Ces petits se retrouvent orphelins, c’est triste mais c’est un risque quand on va faire la guerre.

    Le pays européen d’où les parents sont originaires veut rapatrier ces bambins et jusque-là tout va bien ou presque.

    Mais à qui veut-on les confier ? Mais voyons, aux grands-parents qui ont déjà de l’expérience côté éducation des enfants.

    Bien sûr, c’est une fable… Ouf ! Sinon gare à la CEDH !

  2. Si la CEDH confirme le délit de blasphème envers les musulmans alors que les catholiques de font “pisser dessus” à longueur de vernissages scabreux ou de films tendancieux, cela confirmerait que la CEDH est devenue une machine hypocrite de déconstruction organisée, bonne à imposer les GPA, trucs LGBT divers et variés…obsédée par les avancées sociétales pour se faire mousser à bon compte.
    C’est bien de leur claquer la figure très très régulièrement pour leur rappeler que le rôle est l’interprétation stricte de la Charte, par son triturage pour justifier tous les fantasmes.
    La CEDH a d’abord été mise en place pour protéger les citoyens contre les tentations totalitaires des exécutifs nationaux, mission qui semble totalement secondaire aujourd’hui bien qu’il y ait de plus en plus de boulot, notamment en France.

  3. Les jugements iniques rendent illégitime…

    La CEDH pourrait bien signer son arrêt de mort !

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