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Valeurs chrétiennes : Culture

Jeanne d’Arc, Fabius et l’histoire

Patrice de Plunkett profite de l'inauguration de l'Historial Jeanne d'Arc, à Rouen, pour rappeler que la politisation de l'image de la sainte ne date pas du Front national :

"[…]« La terre fabiusienne a sorti l'étendard, bien décidée à retirer Jeanne d'Arc des rayons du FN », écrit (par exemple) l'envoyée spéciale du Monde à Rouen, relatant l'inauguration de l'Historial hier par Laurent Fabius. [...]

L'histoire (médiévale ou contemporaine) n'intéressant pas les médias, nos journalistes ont l'air de croire que la politisation de l'image de Jeanne d'Arc date du FN. C'est loin d'être vrai.

Oubliée sous l'Ancien Régime, honorée de loin par le romantisme, Jeanne d'Arc réapparaît en symbole national-populiste à partir de 1841 : grâce au républicain Michelet. Puis en symbole ethniciste (« les vertus de la race gauloise »), via le républicain Henri Martin en 1856  . Puis en symbole socialiste, via Lucien Herr et Charles Péguy en 1890. Puis en symbole de la nation armée, via le livre éponyme de Jaurès en 1910Face à ce johannisme laïciste, l'Eglise a ramé pour prendre l'hégémonie sur la johannologie : panégyrique de Jeanne par l'évêque d'Orléans (Mgr Dupanloup) en 1869, ouverture – laborieuse – du procès de canonisation en 1897…

Mais pendant ce temps, d'autres courants étaient à l'oeuvre pour s'emparer de l'image de Jeanne. L'affaire Dreyfus, déclenchée en 1894, fut l'occasion d'un confusionnisme  de droite (qui malmena l'histoire autant que le confusionnisme de gauche de Martin et Herr) : le journal La Libre Parole déguisa Jeanne en symbole de l'armée, donc de l'antisémitisme puisque les antisémites s'érigaient en «défenseurs de l'armée»… En 1904, l'Action française naissante prenait à son tour Jeanne comme emblème, mais avec une logique royaliste étrangère aux autres mouvements nationalistes : selon le CQFD de Maurras, la seule mission de Jeanne (faire couronner Charles VII pour libérer le territoire) avait été politique, « donc royale », et cette leçon était valable pour aujourd'hui puisque « seul le roi est en position de faire prévaloir l'intérêt national », etc.

Ce théorème, centre nerveux du  maurrassisme, fut noyé dans les commémorations lorsque la fête nationale de Jeanne d'Arc fut instituée par la République en 1920 et fixée au deuxième dimanche de mai. Défiler place des Pyramides, rite « imposé par les Camelots du roi au prix de dix mille jours de prison » (selon  la phraséologie de l'AF), devenait un vaste cortège sans signification royale. Après sa rupture de 1926 avec le Vatican – épreuve qui l'affaiblit moralement et numériquement -, l'Action française ne fut pas en mesure d'empêcher ses concurrents (les divers fascismes français : ligues puis partis) d'envahir le « cortège de Jeanne d'Arc » en défilant eux aussi rue de Rivoli avec leurs emblèmes fort peu royaux. Quel rapport entre johannisme et fascismes ? Aucun. (Sauf à diluer la figure historique de Jeanne dans le verbiage : « Jeanne appartient au nationalisme français dans ce qu'il a de plus réaliste, de plus profond et de plus attaché à la terre », etc). En 1938, le PPF de Doriot, principal parti fasciste français, participe au cortège de la rue de Rivoli ainsi détourné de son  sens initial, Doriot en tête. De 1941 à 1944, les partis collaborationnistes de Paris transforment Jeanne, adversaire des Anglais au XVe siècle, en symbole de « l'Europe contre l'Angleterre » au XXe. La Milice défile place des Pyramides…

Des années 1950 aux années 1980, la rue de Rivoli ne verra plus venir en mai que les militants royalistes (quelques centaines). Mais sous Mitterrand, le FN s'impose dans ce cortège. Flanqué de tous les groupuscules imaginables… A partir de 1988, Le Pen, laissant la date johannique traditionnelle aux groupuscules, se choisit une autre date : ce sera celle du « 1er Mai ». On connaît la suite.

Voilà le salmigondis dont Laurent Fabius, à l'entendre, souhaite tirer l'image de la Pucelle d'Orléans.

L'intention affichée  par ce ministre peut sembler louable  – du point de vue des historiens. Le problème est son manque de sincérité.

Tout le monde voit que le gouvernement dont fait partie M. Fabius ne cherche pas à affaiblir le FN, mais à s'appuyer sur sa montée pour tenter de galvaniser l'électorat du PS : cet électorat écoeuré par la politique économique et sociale Hollande-Valls, et qui ne répond plus aux appels du pied de ses « représentants ».

Reste à savoir aussi quel contenu culturel aura cette « année Jeanne d'Arc  à Rouen » annoncée comme prometteuse par M. Fabius. Le nouveau directeur du Centre dramatique national de Rouen, David Bobée, « rêve de proposer une performance sur Jeanne d'Arc à des grands noms de l'art contemporain », parce que, dit-il, « je suis très fier d'appartenir à une ville qui a pour étendard une figure de proue du transgenre ». Jeanne d'Arc figure de proue du transgenre, c'est aussi absurde que Jeanne d'Arc emblème fasciste… Qu'ils soient droitiers à gros mollets ou culturels créatifs, les Français semblent brouillés avec l'histoire.

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7 commentaires

  1. Autre exemple de complète inculture historique et religieuse : la destruction programmée de l’église sainte-Rita dans le 15ème arrondissement de Paris. Il y a eu plusieurs articles dans les “grands” quotidiens et hebdomadaires sur cette affaire (comme aujourd’hui : http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2015/03/21/01016-20150321ARTFIG00043–sainte-rita-le-torchon-brule-entre-le-pretre-et-les-paroissiens.php).
    Or, aucun de ces articles ne mentionne que “l’Eglise catholique gallicane” qui occupait jusqu’à présent les lieux n’a aucun lien avec l’Eglise catholique : c’est une communauté schismatique absolument pas en communion avec le pontife romain !
    Pour ma part, je ne l’ai compris qu’à plusieurs indices mentionnés par accident dans ces articles : j’avais du mal à croire que je n’avais jamais entendu parler du 2nd archevêque de Paris, le prétendu “archevêque gallican de Paris” et surtout l’église était occupée par une “association cultuelle sainte-Rita” alors que l’Eglise catholique de France a toujours refusé la constitution d’associations cultuelles imposées par la loi de 1905, ce qui a conduit à supprimer de fait cette obligation pour l’Eglise catholique par la loi de compromis de 1907.
    Puisque les auteurs de ces articles n’ont pas compris cet élément fondamental, les lecteurs n’ont de même rien compris (d’où des commentaires sous les articles qui brillent par leur intelligence, divisés entre “esprit Charlie” (“Bonne nouvelle on s’en prend aux catholiques !”) et “identitaire” (“On ferait mieux de détruire des mosquées plutôt que de s’en prendre à l’identité catholique !”), réactions tout aussi hors de propos puisque le catholicisme n’a rien à voir dans cette histoire !). J’ai même le fort pressentiment que certains “paroissiens” de cette “Eglise” n’ont eux-mêmes pas conscience d’être schismatiques et que leur “archevêque” n’est pas plus archevêque que moi.
    Il est vrai que le site de cette “Eglise” (http://eglisesainterita.free.fr/), présenté dans un style délicieusement “Internet des années 1990” me paraît entretenir volontairement l’ambiguïté : malgré des fulminations contre la papauté tyrannique, il n’exprime jamais clairement l’absence de communion avec Rome, essayant visiblement de se rallier le plus large public possible et l’origine de cette “Eglise” (que j’ai pensé un moment pouvoir rattacher au schisme Vieux-Catholique à la fin du 19ème siècle) est extrêmement mystérieuse.
    Bref, sans vouloir porter de faux témoignages contre mon prochain, cette “Eglise catholique gallicane” et son “archevêque” me paraissent extrêmement louches. Raison de plus pour laquelle les journalistes auraient sans doute dû mieux faire leur travail.

  2. Oh scandale ! C’est une Sainte ! Que vont penser les libres-penseurs ?

  3. Le symbole ethniciste de Jeanne d’Arc est tout aussi ridicule que quand on entend Laurent Fabius parler de “nous les normands”. La mission de Jeanne est divine, et si son but est de faire couronner Charles VII, sa devise est “Messire Dieu premier servi”

  4. Lire la loi du 10 juillet 1920 dite “Maurice Barrès” qui institua une fête nationale de Jeanne d’Arc, fête du patriotisme :
    http://la-plume-et-le-glaive.over-blog.com/loi-dite-maurice-barr%C3%A8s-du-10-juillet-1920-instituant-la-f%C3%AAte-nationale-jeanne-d-arc
    Cette loi est censée être toujours en vigueur. Sauf que la gauche actuelle, européiste, internationaliste et mondialiste, ayant rejeté tout ce qui est concept de nation, de frontières territoriales, de patriotisme, de réhabilitation de l’histoire nationale, du christianisme, est fort mal placée pour se réapproprier la fête de Jeanne d’Arc.

  5. vous osez critiquer fabioso ? antisémites va !

  6. Jeanne transgenre ? Quelle remarque sexiste ! Les femmes ne peuvent que garder les moutons et les hommes faire la guerre ?

  7. A Thibaud :
    http://www.gallican.org/eglise.htm
    sans oublier Louis XIV et bien d’autres :
    http://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/gallicanisme/54340
    Et ceci :
    Étymologie et Histoire :
    Mir. de St Éloi, éd. Peigné Delacourt, XXXII, p. 63 –
    Emprunté au latin médiéval gallicanus
    « français » (ca 730 ds Latham),
    classification
    « gaulois », dérivé de gallicus « idem » de Gallia « Gaule »

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