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Pays : Arménie

Divine liturgie en Arménie

Divine liturgie en Arménie

De notre envoyé spécial Antoine Bordier

En 301, l’Arménie devient la première nation du monde à embrasser le christianisme. Aujourd’hui, soit 1720 années plus tard, ce petit pays coincé entre la Turquie, à l’ouest, l’Iran au sud, l’Azerbaïdjan à l’est, et, la Géorgie au nord, respire toujours de ses deux poumons : le poumon apostolique et le poumon catholique. Eclairage sur cette liturgie unique qui serait l’une des plus anciennes au monde.

Les fêtes pascales en Arménie sont très différentes de celles qui sont fêtées en Europe. Le dimanche des Rameaux, les palmes à la main qui accueillaient la venue du Christ sur son âne devant les portes de Jérusalem, sont ici représentées par des couronnes de rameaux tressés, que les enfants portent sur la tête, et, par des fleurs tenues à la main. A Etchmiadzin, la Cité Sainte de l’Eglise apostolique, qui se situe à une vingtaine de kilomètres de la capitale, Erevan, une centaine d’enfants des environs entourent le Catholicos, Sa Sainteté Karekine II, qui procède à leur bénédiction ainsi qu’à celle des rameaux. Cette bénédiction est identique à Kanaker. Chez les catholiques comme chez les apostoliques, une même liturgie unie les deux Eglises, à la virgule près.

« Il n’y a pas de division théologique entre-nous explique l’archevêque de l’Eglise catholique arménienne, Mgr Raphaël Minassian. Et, il n’y a pas de différences entre nos deux liturgies. Elles se ressemblent. La division est venue par après, pendant les guerres. »

Une histoire commune

C’est l’histoire et le pouvoir qui ont, finalement, divisé l’Eglise. Quand on relit l’Histoire de l’Eglise, et, des textes apocryphes, comme les Actes de Thaddée, on suit le parcours incroyable accompli par les premiers évangélisateurs de la première heure. Thaddée et Barthélemy (le Christ les envoyait deux par deux) évangélisent pendant une vingtaine d’années la Mésopotamie, la Syrie et le sud de l’Arménie. A l’époque le territoire de l’Arménie est 3 à 5 fois plus grand que sa géographie actuelle. Il s’étend de la mer Caspienne à l’est (actuellement l’Azerbaïdjan) jusqu’à la Cilicie et à la Mésopotamie (le nord de l’Irak). Les deux apôtres finiront martyrisés. Thaddée aurait été martyrisé dans le nord de l’Iran, dans la ville de Makou, qui fait partie, à l’époque, du Royaume d’Arménie. Tous les deux, ils ont réussi à implanter des petites communautés chrétiennes. Ces implantations se font par le sang donné et versé. Les persécutions de ces premières communautés sont nombreuses, comme le relate le livre du Patriarche Jean VI d’Arménie (mort en 715). Après les Perses et les Romains, ce sont les Arabes qui lancent des razzias contre les populations chrétiennes arméniennes. En 301, le futur Saint Grégoire l’Illuminateur obtient la conversion du roi Tiridate III, qui se convertit avec tout son peuple. L’Arménie devient ainsi la première nation chrétienne. Avant d’en arriver-là, le saint a subi les affres du roi et a été enfermé pendant 14 ans dans un cachot. Ce-dernier se trouve aujourd’hui encore visible dans le monastère de Khor Virap, dans l’ouest de l’actuel Arménie, à une quarantaine de kilomètres d’Erevan.

Une division, deux Eglises

Au départ, l’Eglise est donc unie, apostolique, dans le sens où elle remonte aux premiers apôtres. Entre 301 et 303, saint Grégoire fait bâtir la première cathédrale du monde, à St Etchmiadzin, qui devient par conséquent la Cité Sainte de l’Eglise apostolique arménienne. C’est l’équivalent du Vatican. Pendant les trois premiers conciles, l’Eglise apostolique arménienne est en pleine communion avec les autres communautés. C’est en novembre 451, au concile de Chalcédoine, qu’apparaissent les premières divisions. L’Eglise arménienne refusant d’y participer pour des raisons politiques. Elle vient, également, de subir une persécution, et, de perdre une guerre contre les Perses. Enfin, la division se fera sur le fond théologique avec la doctrine du monophysisme qui déclare que le Christ n’a qu’une nature divine. C’est la principale source de division. Cette hérésie est condamnée par les centaines d’évêques conciliaires. Les Arméniens la condamneront à leur tour, mais plus tard. En 726, la doctrine est, définitivement, fixée au synode de Manazkert :

« L’unique nature du Verbe de Dieu s’est faite homme, en prenant une chair corruptible et mortelle, comparable à celle d’Adam après la chute ; mais, par le feu de sa divinité, le Verbe a rendu cette chair immortelle et incorruptible, comme celle du premier homme au paradis. En conséquence, le Christ est naturellement impassible. S’il est mort sur la croix, après avoir souffert, ce n’est pas l’effet de sa nature, mais la décision de sa volonté, en vue de notre salut. »

L’Eglise apostolique arménienne gardera son autonomie. En 1439, lorsque le Catholicos de l’Eglise apostolique arménienne accepte de rejoindre l’Eglise romaine, l’Eglise arménienne se divise. Aujourd’hui l’Eglise apostolique arménienne représente entre 90 et 92% de la population (en Arménie et dans toute la diaspora), et, l’Eglise catholique entre 5 et 7%. L’Eglise protestante représente, elle, entre 2 et 3%.

Une divine liturgie belle et unique

Le rite arménien, qu’il soit apostolique ou catholique, a subi l’influence des rites byzantins, et, des rites occidentaux. Les langues liturgiques, au 4è siècle et au début du 5è siècle furent le grec et le syriaque. L’Arménie se dote d’un alphabet propre grâce aux travaux de saint Mesrop Machdots, au début du 5è siècle. L’Eglise arménienne s’émancipe, dès lors, de l’influence grecque et syriaque. Parmi les caractéristiques liturgiques, il faut noter, tout d’abord, la durée des célébrations. La Messe qui dure entre 50 minutes et 1 heure, en Europe de l’ouest, dure, ici, entre 1h30 et 2 heures. La célébration eucharistique avec le pain azyme, et, avec le vin sans mélange d’eau est unique. La Messe est célébrée dos au peuple, et, la plupart du temps, hormis les grandes fêtes liturgiques, comme à Pâques, derrière un grand rideau rouge, ornée en son centre de croix arméniennes. Les fidèles communient au corps et au sang du Christ, sur la bouche. L’architecture de la liturgie est fondée sur deux piliers : la liturgie de la parole, qui est précédée d’un rite d’introduction, avec des psaumes et des prières pénitentielles, puis, la liturgie eucharistique. De nombreux signes de croix, (une quarantaine), signes de bénédiction, sont officiés par le prêtre célébrant qui tient souvent une croix dans sa main. L’encens y est répandu en abondance. Les chants, notamment, celui du Sanctus vous indiquent le chemin de la communion eucharistique. Les femmes portent un voile. Après la communion, la bénédiction finale est, aussi, le temps d’une prière nationale pour l’Arménie et pour son unité avec l’Artsakh, cette terre arménienne, qui se situe dans le Haut-Karabakh. Auto-proclamée République en 1991, elle a perdu lors de la deuxième guerre, le 10 novembre 2020, 70% de son territoire au profit de l’Azerbaïdjan. Actuellement, à coup d’explosifs, de pillages et de rafales de kalachnikov, les Azéris, après s’être attaqués aux populations, s’attaquent maintenant au patrimoine religieux, en détruisant les célèbres croix arméniennes, les khachkars, les cathédrales, les églises et les monastères. L’Arménie, une fois de plus, vit son martyr dans une certaine indifférence. Et, l’Eglise, finalement, grâce à sa divine liturgie, confrontée à cette nouvelle épreuve, semble retrouver son unité.

Texte et photos réalisés par Antoine BORDIER

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