Partager cet article

L'Eglise : L'Eglise en France

Deux catholicismes se font face

Deux catholicismes se font face

De Jean-Pierre Maugendre, président de Renaissance catholique :

À une semaine d’intervalle deux signaux, en apparence contradictoires, ont été émis par les catholiques de France.

D’une part le score électoral très modeste de François-Xavier Bellamy aux élections européennes, même dans les isolats catholiques votant traditionnellement à droite de l’ouest parisien, atteste qu’une part notable de la bourgeoisie catholique accorde plus d’importance à la défense de ses intérêts matériels qu’aux principes moraux défendus par l’Église.

D’autre part, la nouvelle progression très sensible du nombre de participants au pèlerinage de Pentecôte Paris-Chartres (14 000 participants, moyenne d’âge : 21 ans), atteste qu’une part significative, et la plus jeune, du catholicisme contemporain est capable de sacrifier trois journées de vacances pour prier, souffrir, être enseignée, vivre en autarcie une micro-chrétienté itinérante, participer à une liturgie sublime et immémoriale et écouter les paroles de feu et de combat d’un évêque, Mgr Léonard, archevêque émérite de Malines- Bruxelles qu’il n’aurait été possible d’entendre, il y a quelques décennies, que dans la bouche de… Mgr Lefebvre. Les fidèles de ce dernier rassemblant de leur côté 4 000 marcheurs dont 1 600 pour la colonne enfants-adolescents, aux mêmes dates, mais en sens inverse.

Deux catholicismes se font face

Deux catholicismes se font face. Un catholicisme vieillissant, sociologiquement installé, bourgeois, résiduel qui a d’autant plus pris son parti du monde tel qu’il est qu’il y a, confortablement, trouvé sa place. C’est le catholicisme institutionnel, dominant, de la conférence des évêques de France, de l’enseignement catholique, de la direction de l’ICES.

Là-contre, émerge, chaque jour plus puissant, un catholicisme que dans un passionnant essai intitulé Une contre-révolution catholique. Aux origines de la Manif Pour Tous le sociologue Yann Raison du Cleuziou a qualifié de « catholicisme observant ». Ce catholicisme observant, autrefois on aurait dit « intransigeant », se fixe comme objectif prioritaire la transmission intégrale de la foi catholique et n’a pas renoncé à féconder la société civile des valeurs de l’Évangile. Il est un fait que depuis une cinquantaine d’années les deux structures privilégiées de transmission de la foi qu’étaient l’Église et l’école catholique ont largement renoncé à leur mission. Le catéchisme n’est plus enseigné, une liturgie désacralisée fait l’impasse sur la transcendance de Dieu et ses mystères, etc. N’ont réussi à transmettre le dépôt sacré de la foi, sauf exceptions, que les familles qui ont trouvé en elles-mêmes les ressorts moraux, intellectuels et spirituels de la transmission. A l’aune de ce constat, le catholicisme s’est réduit à une partie de la bourgeoisie catholique, accompagnée par quelques prêtres, qui avait les moyens intellectuels de résister à l’apostasie immanente des « nouveaux prêtres » selon l’expression de Michel de Saint-Pierre. Yann Raison du Cleuziou, comme avant lui Guillaume Cuchet dans Comment notre monde a cessé d’être chrétien confirme que seules ces familles observantes ont transmis et transmettent encore la foi. Le catholicisme de gauche est mort, même si son cadavre bouge encore dans les officines épiscopales.

Des lieux de rencontre

La Manif pour Tous, comme le Pèlerinage de Chrétienté à la Pentecôte, a été le lieu de rencontre de ces différentes familles « observantes » soit : la mouvance charismatique (Emmanuel, Béatitudes), les néo-classiques (communautés Saint-Jean, Saint-Martin), les traditionalistes (Communautés Ecclesia Dei et Fraternité Saint Pie X). Les uns et les autres acceptent de vivre en opposition avec les valeurs dominantes de la société post moderne, par fidélité à la loi de Dieu. Le point de clivage le plus apparent entre ces différentes mouvances est, bien sûr, la question liturgique. Les jeunes générations sont, d’un côté comme de l’autre, moins sensibles à cette ligne de fracture sans doute amenée à s’estomper au fil du temps au bénéfice d’une liturgie réformée resacralisée voire de la liturgie traditionnelle. Aujourd’hui 25% des ordinations sacerdotales en France sont effectuées selon la forme extraordinaire du rite romain alors que les traditionalistes ne représentent que 3 ou 4 % des catholiques. De nombreux évêques, que leur histoire ne prédisposait guère à célébrer cette forme du rite romain, s’y mettent peu à peu. Citons Mgr Cattenoz à Avignon, Mgr Rey, de la communauté de l’Emmanuel, à Toulon, Mgr Aillet, de la communauté saint Martin à Bayonne. La fécondité « vocationnelle » de la messe traditionnelle est un fait qui n’est plus à démontrer, uniquement contredit par l’essor de la communauté Saint-Martin. Ce tableau des catholiques observants serait incomplet si n’était notée leur relation « décomplexée » avec l’épiscopat français, fruit d’une histoire tumultueuse. La communauté Saint Martin trouve son origine à Gênes, car son fondateur, l’abbé Guérin était persona non grata en France malgré son acceptation de la réforme liturgique. Pendant plusieurs années, de 1983 à 1989, les pèlerins de la Pentecôte à Chartres n’ont pas eu le droit de faire célébrer la messe dans la cathédrale. Tout est « oublié, pardonné », mais… Inexorablement, pour des raisons simplement biologiques, le poids des catholiques observants est amené à croître dans l’Église de France. Qui sauvera le diocèse de Montauban dont l’évêque, Mgr Ginoux, vient de confier à l’Homme nouveau que la moyenne d’âge de son clergé est de 78 ans et que sur les 30 prêtres actifs de son diocèse la moitié sont étrangers, essentiellement africains ?

Quelle manifestation politique ?

L’émergence politique des catholiques observants s’est faite à l’occasion des manifestations pour la défense du mariage naturel. Traditionnellement ces catholiques étaient la chasse gardée du Front national. Les catholiques traditionalistes étaient nombreux au bureau politique du FN, la fête annuelle des BBR commençait par la célébration de la messe traditionnelle, le programme était très inspiré de la doctrine sociale de l’Église rappelant le caractère sacré de la vie humaine innocente, refusant la banalisation de l’avortement, promouvant le chèque scolaire, favorisant la liberté d’enseignement, etc. Sous la conduite de Marine Le Pen ce programme a été sensiblement édulcoré, le Rassemblement national ayant, désormais, sur l’avortement, l’euthanasie, la loi Léonetti des positions très politiquement correctes. Comme l’ont montré ses entretiens avec Samuel Pruvost dans son livre 2017 Les candidats à confesse la présidente du Rassemblement national semble entretenir un lourd contentieux non avec la foi, dit-elle, mais avec les chrétiens, ce qui ne simplifie pas les choses.

François-Xavier Bellamy, figure nouvelle de la vie politique, vrai ou faux ingénu, l’avenir le dira, intellectuellement très supérieur à l’ensemble de ses rivaux a accepté une mission impossible : assumer des valeurs conservatrices et, disons sommairement, de droite à la tête d’une organisation politique qui depuis des décennies trompe ses électeurs. Signe patent de la confusion des esprits : le successeur, provisoire, de Laurent Wauquiez à la tête des Républicains est Jean Léonetti, promoteur de la loi portant son nom rendant possible l’arrêt de l’hydratation et de l’alimentation de Vincent Lambert contre laquelle s’est élevé… François-Xavier Bellamy. Le fait est que le résultat des élections européennes n’a en aucune façon constitué un frein aux « avancées sociétales » puisque l’extension de la PMA est au menu de la rentrée parlementaire et que la GPA suivra inéluctablement.

Politiquement, ou plutôt électoralement, les catholiques observants se sentent un peu orphelins. Les sujets de société qui leur tiennent à cœur, car ce sont eux qui assurent la pérennité et la stabilité d’une société et d’une civilisation, ne leur semblent réellement portés par personne.

Vers un catholicisme religieux ?

Ces catholiques ont également conscience d’être une toute petite minorité (2% de pratique religieuse). Cependant l’émoi suscité par l’incendie de la cathédrale Notre-Dame de Paris a révélé qu’il existait encore, enfoui au fond de l’âme de bien des Français, un catholicisme latent, historique, identitaire et patrimonial. Est-ce que le défi de la contre-Révolution catholique pour les années à venir ne serait pas de faire évoluer cette religiosité d’inspiration catholique, somme toute essentiellement sociologique et affective, vers un catholicisme personnel et religieux. Voilà, peut-être, un bon sujet pour la prochaine réunion des évêques de France ?

Partager cet article

10 commentaires

  1. Excellente synthèse.

    Bravo de ne pas avoir oublié les “Observants” chez les catholiques assistants aux messes Paul VI.

    Je suis de moins en moins sûr qu’un vote “catholique” puisse encore exister.

    Je pense plus à des catholiques monarchistes ou contre-révolutionnaires qui ne votent pas, à des catholiques qui votent pour plus de liberté ou moins d’assistanat, des catholiques qui souhaitent défendre la construction européenne, des catholiques qui craignent l’Islam ou trop d’immigration, d’autres pour défendre la suppression de l’ISF (Et oui !).

  2. Merci Jean-Pierre, toujours aussi clair et concis. Bravo !

  3. “La transmission intégrale de la foi catholique”. N’est-ce pas au fond ce qu’on appelle avec dédain l’intégrisme ?
    Où l’on se rend compte que Vatican II a été un véritable tsunami dans l’Eglise, que Mgr Lefebvre malgré toutes les opprobres qu’il a pu endurer n’avait peut-être pas tout à fait tort et que tout doucement l’ensemble des sensibilités catholiques reviennent pas à pas aux fondamentaux qui ont fécondé l’Église. Le chemin sera long mais tout converge vers un recouvrement de la vraie foi.
    Et jugeons l’arbre à ses bons fruits puisque 25 % des vocations sacerdotales viennent des rangs traditionalistes qui ne représentent que 4 % des catholiques. Le rite tridentin n’a pas dit son dernier mot.

  4. Comme disait un pèlerin de la petite route (un petit pèlerinage parallèle à celui de Chartres pour les familles avec des enfants très jeunes) à propos de prêtres modernistes et de laïcs associés, la sélection naturelle fera son travail.
    Pour rappel moyenne d’âge des pèlerins, 21 ans, et celle des prêtres, environ 30 ans. L’avenir en marche…vers le Ciel.
    Le problème c’est que l’influence des modernistes reste très importante et qu’ils feront encore beaucoup de dégâts avant de sombrer.

  5. L’arrivée de François et ses nombreux coups de canif dans la foi et l’enseignement séculaire de l’église a été pour moi le déclencheur du passage à la liturgie “tradi”. On reste dans l’église de Rome, un peu à part, avec une liturgie bien définie, avec laquelle on ne prend pas toutes les libertés observées actuellement (voir les cérémonies Johnny à la Madeleine). Les sermons sont toujours très enrichissants car tournés vers l’enseignement, le catéchisme en quelque sorte, sans références ou prises de parti sur le monde (écologie, migrants, etc).
    Ayant été longtemps en paroisse, j’y ai connu nombre de ces mondains qui avaient l’insulte d’intégriste facile, par exemple envers un jeune qui voulait être prêtre au lieu de courir les filles !!!! Mais il y a des croyants sincères et fidèles partout, qui ne trahissent pas les enseignements de Jésus.
    Je pense que ce retour de l’aspect “tradi” va être le catalyseur de la reconstruction de l’église qui doit, ne l’oublions pas, mourir et ressusciter comme Jésus.
    Je cite pour finir un ami abbé (“conciliaire”) qui, lorsque je m’inquiétais de la baisse de fréquentation des églises, m’a répondu : “le Christ n’a jamais dit de remplir les églises, il a dit laissez venir à moi …” ! Et l’incendie de Notre Dame a montré que beaucoup sont prêts à venir ou revenir avec juste un peu de d’encouragements de nos prélats-fonctionnaires !

  6. Moi je ne connais qu’une seule Église catholique et romaine avec en son sein des gens qui, à divers degrés, cherchent à marier la vérité et l’erreur, parfois jusqu’à l’apostasie…
    Les tradis ne sont que ceux qui cherchent à rester au plus près de la vérité révélée et de l’antique foi.

  7. Bonjour,

    Suis toujours quelque peu étonnée de l’absence du PCD dans l’évocation de forces politiques (tout comme il était absent, non invité, à la rencontre organisée aux Bernardins’avec « l’Eglise de France »…)

    Il me semble aussi que les courants monarchistes redressent la tête…

  8. Pour avoir fait le pélé de Chartres cette année, au service, je souhaiterais apporter quelques réflexions. Les choses semblent moins tranchées que décrit dans cet article.
    Ma première mission m’apparait d’œuvrer au service de l’Église là où je vis. Cela ne m’interdit pas de retrouver à l’occasion une liturgie plus priante et moins urticante, mais si je ne travaille pas moi-même à réintroduire le canon dans la liturgie en y participant autant que je peux, je ne peux pas me plaindre que celle-ci soit trop ceci ou pas assez cela. La lecture de “Tactique du diable” de CS Lewis est à ce sujet très instructive.
    Si je reste circonspect face à certaines prises de position de responsables de l’Église – et même franchement critique au regard de propos clairement contraires au magistère – je me garderai d’afficher mon hostilité à son représentant principal. A moins de refuser de croire à l’action de l’Esprit et du véritable Chef de l’Église (le Christ). Peut-être faut-il commencer par mettre en perspective certains propos s’adressant à un public donné à un moment donné. On peut relever que le Card Sarah lui-même voit son action comme le prolongement de celle de ses prédécesseurs immédiats. Je préfère réfléchir à deux fois avant de me mettre au service du diviseur qui jubile.
    Je me garderais enfin de condamner en bloc V.II, sans même lire les textes constitutifs: il faut bien distinguer les écrits des interprétations abusives qu’en on fait des clercs aveuglés par l’esprit de 68. Ils étaient hommes et se sont trompés, aveuglés par le maître du mensonge: qui peut prétendre en ce moment qu’il ne court pas le même risque? Deux exemples: sur la liturgie, la constitution Sacrosanctum Concilium recommande le latin autant que possible (n°54); des exceptions sont possibles et le problème vient de ce que les exceptions sont devenues la règle; mais encore une fois l’instruction Redemptionis Sacramentum a vigoureusement rappelé à l’ordre les célébrants, même si elle n’est pas toujours respectée. L’autre exemple vient de Gaudium et Spes, trésor sur la Doctrine Sociale de l’Église, loin de la bouillie socialiste qu’on en a fait; par exemple le n°65 (de mémoire, sous réserve…) rappelle sans fard que les candidats à l’émigration [des pays en développement] privent leur propre communauté des ressources dont elle a besoin. C’est au passage précisément ce qu’a rappelé le pape François, droit dans les yeux, aux migrants lors de son séjour au Maroc…
    Une dernière remarque, fruit de l’observation au cours du pèlerinage. Une quasi sacralisation des prêtres ne porte-t-elle pas en germe les fruits déplorables observés aujourd’hui? La jeunesse des nouveaux ordonnés est porteuse d’espérance mais également grosse de risques. N’est-ce pas un lourd fardeau sur ces épaules que les exposer sans précaution à des émotions complexes que seul l’âge permet d’appréhender à moindre risque?

  9. AFumey
    Intéressante réflexion de votre part. Mais l’argument de dire que V.II en soi n’est pas critiquable mais seule l’interprétation abusive qui en a été faite peut l’être m’incite à vous poser quelques questions.
    1- Que pensez-vous du subsistit in évoqué dans Lumen Gentium ?
    2- Ne pensez-vous pas que c’est l’apostolat des laïcs institué par ce concile qui a entraîné la désacralisation du prêtre et que ce n’est pas plutôt cette conséquence qui a provoqué elle-même la crise des vocations ou la baisse de qualité dans leur recrutement ? Pourquoi être prêtre si l’essentiel de ses fonctions a été confisqué par les diacres et laïcs ?
    Je me permets de vous rappeler que l’Esprit Saint n’inspire le chef de l’Église qu’en matière de dogme et de morale pour ses décisions prises ex cathedra ce qui n’était pas le cas des exhortations apostoliques émises par le pape François. Il est donc à ce titre parfaitement critiquable.

  10. Il ne faut jamais laisser l’Etat dans l’évêché.

Publier une réponse

Nous utilisons des cookies pour vous offrir la meilleure expérience en ligne. En acceptant, vous acceptez l'utilisation de cookies conformément à notre politique de confidentialité des cookies.

Paramètres de confidentialité sauvegardés !
Paramètres de confidentialité

Lorsque vous visitez un site Web, il peut stocker ou récupérer des informations sur votre navigateur, principalement sous la forme de cookies. Contrôlez vos services de cookies personnels ici.


Le Salon Beige a choisi de n'afficher uniquement de la publicité à des sites partenaires !

Refuser tous les services
Accepter tous les services