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Valeurs chrétiennes : Education

Baccalauréat 2019 : la pétition de l’ignorance

Baccalauréat 2019 : la pétition de l’ignorance

De Marion Duvauchel, professeur de lettres et de philosophie :

A force de pétitionner à tour de bras, nous donnons de mauvaises idées à nos lycéens. Voilà que, considérant le sujet de baccalauréat français trop difficile, ils ont lancé eux aussi une protestation publique.

L’argument avancé est tout de même bien embarrassant. « On ne connaissait pas l’auteur ». Cet argument traduit une ignorance grave autant que fautive des contraintes mêmes de l’épreuve écrite.

Les auteurs pour l’épreuve de l’oral sont connus, comme les textes des corpus choisis dans chacune des cinq séquences au programme. Mais le corpus de textes pour l’épreuve écrite implique au contraire tout le corpus littéraire, à l’intérieur de contraintes précises définies dans les séquences. C’est même le sens de cette épreuve et le principe même de l’exercice : être capable d’analyser et de commenter un texte poétique, argumentatif ou narratif en s’appuyant sur le texte même et sans répercuter un savoir tout fait.

Si 22000 signataires protestent [plus de 40 000 actuellement], c’est qu’ils n’ont pas lu ces Instructions Officielles, ou plus grave, c’est que leurs enseignants ne leur ont pas présenté correctement l’épreuve, sa nature, ses exigences, son bien fondé, ses contraintes et le cadre administratif dans lequel elle se déroule.

Cela n’aurait rien d’étonnant quand on connaît la formation déficiente dans leur discipline de la plupart des enseignants récemment intégrés. Ils n’en sont pas seuls responsables, les efforts des dernières années ont largement contribué à renforcer l’idéologie des Diafoirus de l’éducation qui gouvernent et imposent l’idéologie délétère de l’Institution, à commencer par les IPR (les inspecteurs pédagogiques régionaux). Ce sont eux qui inspectent, réprimandent (les enseignants qui ont encore un petit peu de bon sens), et s’occupent activement de promouvoir ceux qui se sont soumis aux normes absurdes qui ont fait de nos écoles une machine à fabriquer des crétins.

Détail qui compte, désormais le terme d’inspection a été remplacé par un autre terme, que je n’ai pas réussi à retenir, et détail plus significatif encore : seuls 30% des enseignants seront promus au terme de ce délicieux dialogue, vulgaire imitation des entretiens d’évaluation des entreprises. On reconnaît là la « macron touch ».

Et si jamais 45% de nos enseignants méritaient d’être promu ?  Et selon quels critères la promotion sera décidée ?

Cette pétition nous informe en tous les cas de l’indéniable sens prophétique de notre ministre et de ses affidés. Anticipant merveilleusement les difficultés à venir, (imaginez le nombre de pétitions qui attendraient désormais le ministère de l’EN), comme tout bon ministre qui se respecte, il a supprimé de quelques traits de plume cette liberté qui demeurait encore dans les programmes : celle de choisir les textes et les auteurs.

Pour l’épreuve écrite.

Car depuis des années, les enseignants n’usaient plus guère pour l’épreuve orale de cette liberté qui leur était pourtant encore accordée. Ils faisaient étudier systématiquement Candide de Voltaire, l’Etranger de Camus, les Fleurs du Mal de Baudelaire et Don Juan pour le théâtre. A tel point que les élèves avaient fini par être convaincu qu’il s’agissait d’un programme officiel : les enseignants qui choisissaient d’autres textes en étaient parfois réduits à aller défendre leur choix dans le bureau du proviseur. Cela m’est arrivé. Avant de finir par démissionner.

Les enseignants trouvaient les commentaires du canon littéraire du baccalauréat oral sur le site « weblettres », devenu implicitement et frauduleusement site officiel de l’Education Nationale. Pendant des années, ce site a ainsi fourni aux enseignants un « prêt à composer » qui leur évitait d’affronter eux-mêmes l’épreuve du commentaire composé (qui n’existe pas au Capes de Lettres) et qui intégrait l’idée largement diffusée depuis des décennies que la méthodologie dispense de comprendre un texte et de construire un minimum de culture littéraire.

On conçoit que les lycéens aient été nombreux à se révolter. Indignez-vous, indignez-vous, il en restera bien quelque chose. Ah bon, on doit expliquer un texte sans rien connaître qu’une date et un nom.

Mais oui. Et il suffit de le lire. Parfois évidemment, de le relire et d’y réfléchir. Dans le cas présent, c’est un hymne à l’écologie et même à l’écolâtrie. C’est un corpus dans l’air du temps. Les jurys qui préparent ces corpus ont bien appris la leçon politique : il faut sauver la planète. Ils sont par conséquent allés chercher le poème qui l’illustre : il ne faut plus toucher un arbre, l’abattre et construire un toit avec, ça le fait souffrir pauvret, et la poétesse aussi qui préfère écouter le chant silencieux des forêts dont on a enlevé le pauvre arbre orphelin. Ce n’est pas compliqué à comprendre.

Heureusement que Dame Chedid n’est pas ministre de l’écologie : on ne pourrait même plus couper les arbres pour fabriquer un toit, une lampe, une table. Fini l’ébénisterie.

Or, quiconque a un peu de bon sens sait parfaitement que de temps en temps, il faut tailler les arbres, en abattre, construire avec le bois et pas seulement faire l’amour avec les arbres, comme le préconise la Camille des « Scènes de ménage », délicieuse parodie de tous ces monomaniaques de la vie naturelle. Cela n’a rien de comparable avec la déforestation.

Inutile de s’indigner. L’an prochain, il y aura un programme officiel, obligatoire. C’est dans la réforme. Nous avons libéré enfin, enfin, nos adolescents de la douloureuse tentation, pour ne pas dire de la torture, d’avoir à comprendre un texte avec les seules ressources de leur raison (y compris de leur raison grammaticale), avec celles de la culture raréfiée et anémique qu’ils auront encore pu recevoir pendant au moins leur année de bachotage, et surtout avec les ressources de leur intelligence. Et pourquoi pas de leur intelligence critique.

Car c’est une très belle poésie, même si le message qui est diffusé est clairement instrumentalisé par nos modernes pédagogues. Elle exprime ce qu’on appelle le « sentiment océanique », bien connu des Romantiques, en face de la nature et du message secret qu’elle délivre, expérience que l’on peut faire devant un paysage, devant la mer, ou devant la majesté d’un chêne ou d’un vieux châtaigner.

Nos lycéens ne seraient-ils plus capables de simplement ressentir cette expérience et de comprendre que c’est ce qui est exprimé dans un texte poétique ? Auraient-il perdu le sens du sublime, que l’on tient pourtant de nos philosophes des Lumières tant vantés ?

S’il restait le moindre doute au sujet du niveau de nos élèves en français « littéraire », autrement dit de leur capacité à comprendre et à s’exprimer dans un niveau de langue qui inclut la phrase complexe, l’énumération chaotique, et horreur suprême, l’imparfait du subjonctif, manié somptueusement par les auteurs du XVIIIèmesiècle, je pense que ce doute, on peut désormais le considérer comme définitivement levé.

Sauf bien sûr dans quelques écoles de la résistance culturelle où nos ministres et leurs affidés mettent leurs enfants.

Nota bene :

Le choix du texte de Yves Bonnefoy traduit l’obsession (toute idéologique) de faire entrer dans les programmes les poètes qui ont reçu une certaine consécration. Quiconque a lu ce recueil ne saurait ignorer qu’il est particulièrement elliptique. Nos lycéens pourraient exiger de connaître les noms de ceux qui établissent le corpus de textes élaboré.

Pour le coup, je signe…

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3 commentaires

  1. J’ai passé mon bac de Français en 1973. Pendant toute l’année, j’ai subi un professeur obsédé par les auteurs du XXème siècle (Sartre, Kafka, Vian, Beauvoir…)
    À l’écrit, je suis tombé sur un texte de Montesquieu. Ça ne m’a pas empêché d’avoir 12/20 et personne à l’époque n’aurait eu l’idée farfelue de lancer une pétition de protestation sur le sujet proposé…
    Mais c’était avant, ça remonte au précédent millénaire.
    ???

  2. Andrée Chedid. Très bien, femme charmante, bon poète et ” choix méditerranéen correct “

  3. A propos du sentiment “océanique” : quelle proportion de nos bacheliers de banlieue a eu l’occasion de le ressentir ? Peu sont allés dans une vraie forêt, ou face à des paysages grandioses, ou même vu un vrai ciel étoilé… Leur ignorance de ce sentiment ne tient pas forcément à leurs professeurs. Ni aux élèves eux-mêmes.

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