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L'Eglise : François / L'Eglise : Vie de l'Eglise

Vous ne pouvez pas exercer des responsabilités dans l’Eglise sans devenir un politicien

Agé de 67 ans, archevêque de Colombo depuis 2009, créé cardinal en 2010, président de la Conférence des évêques catholiques du Sri Lanka, Mgr Malcom Ranjith a accordé à Eglises d’Asie un entretien dans lequel il présente les enjeux de la visite prochaine du pape. Extraits :

R"J’ai invité le pape François à venir au Sri Lanka avant même qu’il n’apparaisse au balcon de Saint-Pierre, le jour de son élection, le 13 mars 2013 ! Son prédécesseur s’était rendu en visite sur tous les continents, excepté le continent asiatique. On a coutume de dire que l'Asie est le continent du XXIe siècle ; les principales religions y sont présentes et en sont issues. Il fallait que le pape vienne se rendre compte sur place. […]

La visite du pape s’inscrit dans un climat électoral particulier. Voyez-vous des risques à maintenir cette visite, comme semble vouloir le faire le Saint-Siège ?

Les premières rumeurs à propos de la tenue d’une élection présidentielle anticipée remontent aux mois d’août-septembre derniers. A cette date, tout était déjà bien engagé pour la venue du pape. En tant que membres de l'Eglise, en tant qu’évêques, nous ne sommes pas impliqués en politique. Des élections sont prévues. Que pouvons-nous y faire ? Nous avons demandé au président de repousser cette élection, sachant qu’à en juger par les précédents scrutins, les élections s’accompagnent toujours de tensions, et même de violences. Mais vous ne faites pas venir le pape à votre convenance, ni n’annulez une telle visite d’un claquement de doigts !

Aujourd’hui, nous, les évêques, nous sommes face à un dilemme : soit nous demandons le report de la visite papale, soit nous faisons confiance à Dieu. Vous comprendrez que bon nombre d’entre nous veulent aller de l’avant et que cette visite ait lieu aux dates prévues.

Mais pour nous Sri-Lankais, il y a une autre contradiction à vouloir repousser la visite du pape : nous disons sans cesse que nous sommes un pays riche d’une civilisation ancienne et prestigieuse, que la composante religieuse de notre société y est essentielle, et pourtant nous faisons le constat que notre pays est violent, que les violences y sont fréquentes. Il y a là comme une faiblesse spirituelle. Dans bien d’autres pays à travers le monde, des élections ont lieu et elles ne donnent pas lieu à des explosions de violence.

Si nous disons au pape de ne pas venir, de repousser son voyage, nous disons à notre peuple – et au monde entier – que nous ne sommes que capables de pérorer à propos de la grandeur de notre civilisation mais qu’en réalité, nous nous complaisons dans la violence. Je souhaite que les choses soient prises à l’envers : montrons que nous nous comportons comme des êtres humains et que nous ne sommes pas des barbares mal dégrossis. C’est le discours que je tiens à ceux qui sont actuellement au pouvoir comme à ceux qui sont dans l’opposition. Que ces élections soient un catalyseur vers plus d’unité !

Le pape rencontrera les responsables religieux. Parmi ceux-ci, certains responsables bouddhistes ont émis des critiques à propos de la visite du pape, estimant que celui-ci devait présenter des excuses pour les violences exercées contre le bouddhisme par les puissances coloniales qui ont dominé ce pays durant près de cinq siècles. Pouvez-vous nous expliquer ?

Les responsables auxquels vous faites référence sont plus motivés par une action politique que par une réflexion religieuse ou même historique. Les groupes qu’ils représentent sont politiques et vous ne pouvez pas généraliser à l’ensemble de la communauté bouddhique. […]

La campagne électorale pour les présidentielles est aussi courte qu’intense. On entend ici et là qu’en tant que cardinal et président de la Conférence épiscopale, vous vous montrez très proche du président. Que répondez-vous ?

Je ne peux pas laisser dire cela. Si je vivais dans un pays comme, disons, le Canada ou les Etats-Unis, où chacun jouit de ses droits fondamentaux, j’agirais peut-être autrement. Mais, ici, au Sri Lanka, nous, les catholiques, faisons face à de fortes contraintes.

Lorsque j’étais évêque de Ratnapura (1995-2001), mon diocèse comptait quelque 21 000 fidèles au milieu d’une population de 1 500 000 personnes. En tant qu’évêque, je ne pouvais prendre la parole pour dire des choses qui auraient mis en danger mon peuple. En tant qu’archevêque de Colombo (depuis 2009) et président de la Conférence épiscopale, je me dois de penser à mon peuple. A Colombo, sur six millions de personnes, 700 000 sont catholiques, dont 250 000 sont des Tamouls et le reste des Cinghalais.

On dit que je suis proche de l’actuel président, Mahinda Rajapaksa, mais on peut tout aussi bien dire j’étais proche de son prédécesseur, Mme Chandrika Kumaratunga (1994-2005). Je me dois d’être en contact avec les institutions du pays et ceux qui les président. Si je n’agissais pas ainsi, les mêmes qui me critiquent aujourd’hui me critiqueraient pour être indifférent au sort de mon peuple.

Dans ce pays, vous ne pouvez pas exercer des responsabilités dans l’Eglise sans devenir, d’une certaine manière, un politicien vous-même. J’en veux pour preuve que, ces jours-ci, en pleine campagne électorale, le candidat de l’opposition, Mithripala Sirisena, a demandé à me rencontrer. Je vais le recevoir bien sûr, mais il ne fait pas de doute que le président sortant va immédiatement demander à me voir. Et je le verrai, lui aussi.

Récemment, les pêcheurs de Negombo, une région où les catholiques sont très nombreux, sont venus me voir pour se plaindre amèrement des prix du fuel. Ils m’ont demandé d’intervenir. Je suis allé voir le président car c’est ainsi que les choses se passent ici. Pour autant, est-ce pour régler des questions de prix du pétrole que je suis devenu prêtre ? Non, mais si je refuse d’intervenir au motif que ce n’est pas de mon domaine, alors autant remettre ma démission au pape. Pour le bien de mon peuple, je ne peux faire autrement que d’être impliqué dans la vie de ce pays."

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