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Culture

Un prêtre devrait-il dire ça ?

Un prêtre devrait-il dire ça ?

À l’occasion de sa centième chronique dans Valeurs Actuelles, le père Danziec s’interroge sur le sens de ses contributions. Y a-t-il une légitimité pour un homme de Dieu à commenter l’actualité ?

En février 1997, dans un recueil qui se savoure comme un bonbon, Philippe Delerm remontait le fil de ses souvenirs d’enfants pour évoquer ses « premières fois », du bruit de la dynamo à l’odeur des pommes, de l’autoroute la nuit à la lecture sur la plage (La première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules, Gallimard, 1997). Une fois le livre en main, les chapitres s’égrènent comme un chapelet et les pages se tournent comme celles du mille-feuille mis en sketch par Devos. Autrement dit, on n’en perd pas une miette et on ne perd pas son temps.

Du sermon dominical à la chronique hebdomadaire

En mai 2019, Geoffroy Lejeune et Tugdual Denis m’invitaient à décrire l’actualité depuis les fenêtres de mon presbytère. Au service du Club VA, j’étais amené à troquer ma barrette de Don Camillo pour une casquette, plus mystérieuse, de chroniqueur en soutane. Au sermon dominical s’ajoutait dès lors l’exercice d’un papier hebdomadaire. Écouter les pulsations du monde avec un stéthoscope sacerdotal puis délivrer un diagnostic sur son état : l’enjeu était singulier et inédit. 30 mois après, il reste toujours aussi plaisant. Parce que l’heure devait finir par arriver, voici donc venue celle de rédiger un centième papier pour Valeurs actuelles. 100 chroniques. Presque 600 000 signes mis bout à bout. Quelques éditos. Pas mal de tweets. Et deux entretiens.

Depuis plus de deux ans, comme le chantait Jean-Pax, « j’observe, je note et puis j’écris ». Je conjugue la plume et le goupillon. Je passe de la récitation de mon bréviaire à la lecture des brèves. De l’oraison silencieuse dans ma chapelle à la cacophonie des débats à la télévision. Les visites des malades et des paroissiens se succèdent à celles du figaro.fr ou de VA+. Je fréquente des parents déboussolés, j’écoute des adolescents désabusés, je console des personnes isolées et recolle parfois des couples cassés. Je mesure, en miniature, les fractures qui traversent la société. À l’école des maîtres spirituels de l’Église, comme pasteur je médite quotidiennement sur ma mort. Parce que rien ne peut être absolument cloisonné, comme observateur, je me questionne sur la vie de mon prochain et comme chroniqueur, je m’interroge sur l’avenir de mon pays que j’aime tant. Les polémiques récurrentes qui animent la vie de la cité disent quelque chose de l’humanité en croisière. Et force est de constater qu’elle ne s’amuse pas.

Alors, avec ces 100 bougies et après Philippe Delerm, comment ne pas résister, à mon tour, de repasser ma mémoire comme on remonte une horloge. Non pas pour se regarder soi-même comme on s’examinerait le nombril. Ça, non. S’arrêter, certes. Mais davantage pour repartir de l’avant. Regarder en arrière, un peu. Mais seulement pour mieux fixer l’étendue de l’horizon, devant. François de Sales, le saint patron des journalistes – et fêté à la fin du mois de janvier –  observait dans son langage du XVIIe :

« Il n’y a point d’horloge, pour bonne qu’elle soit, qu’il ne faille remonter deux fois le jour, au matin et au soir ; et puis, outre cela, il faut qu’au moins une fois l’année, l’on la démonte de toutes pièces, pour ôter les rouillures qu’elle aura contractées, redresser les pièces forcées et réparer celles qui sont usées. Ainsi celui qui a un vrai soin de son cœur, doit le remonter en Dieu au soir et au matin ; et outre cela, il doit plusieurs fois considérer son état, le redresser et accommoder. Cet exercice réparera les forces abattues par le temps, échauffera le cœur, fera reverdir les bons propos et refleurir les vertus de l’esprit. »

À l’aube de 2022, et à l’approche d’une élection présidentielle sur fond de ce qui semble être une inextinguible crise sanitaire, on distingue dans les paroles du saint évêque des résolutions solides. Réparer les forces abattues, échauffer les enthousiasmes déçus, reverdir une parole politique abîmée et faire refleurir la réflexion : voilà qui tient tout d’un programme de reconquête, si ce dernier mot n’avait aujourd’hui une nouvelle acception.

Et après ces 100 articles ? Lancinante, la question revient, se pose et se repose quant il faut reprendre le clavier et rédiger un papier. Est-ce bien mon rôle de tenir ces chroniques régulières et de donner ainsi un avis sur des sujets qui apparaissent éloignés de la thématique d’une sacristie ? N’y a-t-il pas usurpation, perte de temps, dévoiement ou, tout simplement, une sorte de hors-sujet dangereux plus proche du hors-piste que du hors-jeu ? Et puis, comment ne pas redouter au détour d’un commentaire, l’avis lapidaire qui tombe comme un couperet : « Un prêtre ne devrait pas écrire cela » ?

L’actualité décrite à l’aune de l’Évangile

Grâce à la grande liberté d’écriture qui m’est offerte, j’ai pu traiter une variété de sujets que seule la vie des hommes est en mesure de fournir. Une actualité où se mélangent grandeurs d’âmes et turpitudes, à l’image du bon grain qui se mêle à l’ivraie.

Depuis plus de deux ans, j’ai tenté d’expliquer l’impossible « en même temps » de Macron avec les catholiques de France. J’ai essayé de montrer pourquoi, dès son apparition, l’expression « monde d’après » sentait déjà l’arnaque et la farce. J’ai présenté Stéphane Bern comme un apôtre au service du patrimoine et décrit Zemmour comme un homme de foi. J’ai disserté sur les tenues de Sibeth N’Daye et commenté les homards de François de Rugy. J’ai comparé le défilé du 14 Juillet avec la marche des fiertés pour mieux en exposer le contraste. J’ai parlé de Greta, de Neymar, de Bigard, d’Hanouna et, même, de Camélia Jordana. J’ai cité Cyrano, Jean Ousset, Thibon, le père Calmel, les Charles Péguy et Maurras et, même, Laurent Voulzy, Emmanuel Moire et Michel Sardou. J’ai donné mon point de vue sur l’affaire Griveaux et celle d’Obono. J’ai évoqué avec tendresse la cathédrale de Paris, le Vendée Globe, la bonne chère, les vertus du Moyen Âge, les traditions taurines, le Tour de France et la bataille de Lépante. J’ai rappelé qu’un voile islamique n’a rien à voir avec la guimpe d’une bonne sœur, pas plus que la prière des minarets avec le tintement des cloches, le ramadan avec le carême ou la loi coranique avec l’idéal évangélique. J’ai fustigé le piège de la doxa féministe, les mensonges du progressisme, la bêtise de l’écologisme et l’imposture de la révolution sexuelle. J’ai salué le carton de CNews, la victoire de la famille Lefèvre, la figure de Jeanne d’Arc, la sainte colère des forces de l’ordre, le dévouement du père Olivier Maire et le sacrifice des deux commandos marine Cédric de Pierrepont et Alain Bertoncello.

L’espérance d’en finir avec ce déclin qui nous entoure

Et maintenant ? Les graves enjeux d’ordre civilisationnel ne laissent, à vue humaine, que peu d’espoir. Les baptisés et les amoureux des racines chrétiennes de la France peuvent – et doivent – être infiniment tristes que le monde perde ainsi pied et s’affole. Cette tristesse cependant oblige au sursaut, au risque de devenir stérile sinon délétère. « À force de tout voir, à force de tout supporter, à force de tout tolérer, à force de tout accepter, on finit par tout approuver » écrivait saint Augustin. Que les hommes d’Église eux-mêmes se laissent aller à voguer sur le courant du monde relève d’une posture qui m’apparaît contre-nature et, pour le coup, gravement hors-sujet quant à leur vocation de lanceurs d’alerte. Il ne s’agit pas tant de réconcilier l’Église avec le monde que de réconcilier le monde avec le Christ, de manière in fine à permettre au monde de se réconcilier avec lui-même.

En commentant l’actualité et les affres d’ici-bas à l’aune de l’Évangile, je sais bien avec Soljenitsyne que je n’ai pas la force, tout petit individu que je suis, de m’opposer à l’énorme aveuglement ambiant sur les défis présents et à venir, mais je peux au moins faire en sorte de ne pas être un point de passage de cet aveuglement. Comment ? En disant, à l’invitation de Péguy, ce que je vois. En pressant mon prochain, chose plus difficile, à voir ce qu’il voit. En travaillant, soutenu par une inlassable espérance, à ce que l’on puisse enfin voir autre chose que ce qui nous est proposé de voir depuis trop d’années.

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