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France : Société / Liberté d'expression

Un militaire peut-il exprimer une opinion sur le plan tactique et stratégique ?

Un militaire peut-il exprimer une opinion sur le plan tactique et stratégique ?

En janvier 2018, le général François Lecointre, chef d’état-major des armées, incitait les militaires à s’exprimer, critiquant un mutisme confortable. Certains ne se sont pas fait prier.

Le colonel François-Régis Legrier, chef de corps du 68e Régiment d’artillerie d’Afrique, a publié un article dans le dernier numéro de la Revue Défense Nationale (RDN). Le colonel François Régis Legrier est déjà connu des lecteurs du Salon beige pour son ouvrage sur la guerre juste.

Le colonel Legrier commandait la Task Force Wagram en Irak, c’est-à-dire le détachement d’obusiers Caesar qui appuient la coalition. Son article de sept pages est un retour d’expérience sur l’engagement de l’artillerie dans le conflit actuel, avec un point particulier sur la bataille d’Hajin (Sept. 2018/Janv. 2019). La conclusion de l’article, bien documenté, a fait grincer des dents à l’état-major des armées comme au cabinet militaire du ministre. Au point que la revue a censuré l’article de son site internet, même s’il reste disponible dans la version papier et en pdf pour les abonnés.

Voici sa conclusion :

« Oui, la bataille d’Hajin a été gagnée, au moins sur le terrain mais en refusant l’engagement au sol, nous avons prolongé inutilement le conflit et donc contribué à augmenter le nombre de victimes au sein de la population. Nous avons détruit massivement les infrastructures et donné à la population une détestable image de ce que peut être une libération à l’occidentale laissant derrière nous les germes d’une résurgence prochaine d’un nouvel adversaire. Nous n’avons en aucune façon gagné la guerre faute d’une politique réaliste et persévérante et d’une stratégie adéquate. Combien d’Hajin faudra-t-il pour comprendre que nous faisons fausse route ? »

« La question qui se pose est de savoir si la libération d’une région ne peut se faire qu’au prix de la destruction de ses infrastructures (hôpitaux, lieux de culte, routes, ponts, habitations, etc.). C’est là, l’approche assumée sans complexe, hier et aujourd’hui, par les Américains ; ce n’est pas la nôtre  ».

Néanmoins, le fait d’avoir retiré l’article a provoqué un effet “Streisand”, c’est-à-dire que cela a provoqué sa diffusion plus massive. Ce texte, qui est dans l’espace Opinions de la RDN, un espace normalement réservé à une nécessaire expression libre et n’engageant pas l’institution, n’aurait normalement pas dépassé le cercle restreint d’une partie des lecteurs peu nombreux de la revue spécialisée. Or ce texte émeut le cabinet du ministère (mais peut-être plus bas dans la hiérarchie) qui exige la censure. Cet article, qui sans cela serait resté confidentiel, devient dès lors un événement et est repris par des blogs de défense, lus par plusieurs milliers de personnes chaque jour, qui apprennent l’existence, à la fois de l’article et de la censure dont il fait l’objet.

Michel Goya commente ainsi :

J’ai tendance à considérer, comme l’auteur, que c’est à nous de mener nos combats. En Irak et en Syrie, nous avons suivi les Américains et leur manière. Ce n’était pas forcément une bonne idée, ce qui était assez clair très rapidement. Maintenant la guerre n’est pas terminée, tant s’en faut. Il est plus que temps d’avoir une vision stratégique et une action autonomes, et ne pas se contenter de dire que nous faisons des choses formidables alors que nous imitons à petite échelle des manières discutables et d’annoncer régulièrement des dates de victoire finale toujours démenties (la dernière était…en février 2018), preuve que nous ne maîtrisons pas grand-chose.

Un papier qui n’aurait été lu que par quelques centaines de personnes, qui n’en aurait sans doute jamais fait état par la suite, le sera par plusieurs milliers. Une bonne partie des militaires et de nombreux civils apprennent ainsi que “la grande muette” dont on annonçait la fin est en réalité bien vivante, que les rubriques Opinions sont bidons, et que leurs chefs ne les défendent pas.

Addendum : le texte du colonel Légrier est accessible ici.

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