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Valeurs chrétiennes : Culture

Répéter que le libéralisme serait un péché paraît anachronique

De Bernard Antony dans La Nef :

A"[…] Le vocable libéralisme a surgi au début du XXe siècle, défini dans les dictionnaires d’alors comme la doctrine des « libéraux » ; ces derniers étant définis comme… « les adeptes du libéralisme » ! Le mot récent se greffait sur celui de « libéral » remontant au XIIe siècle dans la signification positive de « généreux », de choses dignes d’un homme libre. Le mot et la valeur de « liberté » ne remontant pas à la Révolution mais à l’Évangile, étaient donc sémantiquement au cœur du libéralisme.

Nous nous souvenons qu’un vigilant doctrinaire, de tempérament un brin inquisitorial, nous écrivit un jour pour nous faire part de ce qu’il notait notre inquiétante habitude de trop nous référer à la liberté, valeur « maçonnique » selon lui. Nous lui répondîmes par une seule ligne : « La vérité vous rendra libre », évidence de ce que la liberté est une grande valeur chrétienne, et non maçonnique, si on ne la sépare pas de la vérité, de l’amour, de la charité.

Mais l’embêtant avec le libéralisme, celui des premiers libéraux, c’est qu’il n’a pas été fondé sur l’accouplement à la vérité mais au contraire à la doctrine de la relativité de la notion de vérité. Le libéralisme à ses débuts s’est donc lié philosophiquement au relativisme et pratiquement au déni du fait que l’intelligence peut accéder à la vérité. […] Le relativisme, très logiquement, a fait bon ménage avec l’individualisme et, sans paradoxe, avec l’étatisme, en tant qu’idéologie de l’État garant du « contrat social » passé entre les individus. On ne peut guère réfléchir sur tout cela sans revenir à Jean-Jacques Rousseau, sur la tombe duquel Napoléon Ier se demandait : « N’aurait-il pas mieux valu pour l’humanité que cet homme n’ait jamais existé ? » Car libéral et individualiste au départ, le libéralisme rousseauiste engendrant l’étatisme jacobin et impérial, s’est mué en machine à tuer les libertés.

[…] Certes le relativisme philosophique et religieux débouchant sur le nihilisme relève d’un péché contre l’esprit, il est un libertinage de l’intelligence. Mais le libéralisme n’est pas de nos jours, sauf par un tout petit nombre, généralement compris dans ce sens. En fait la difficulté c’est que faute d’un terme plus adéquat, il désigne le plus souvent la revendication des nécessaires libertés économiques et sociales face à l’étatisme socialiste ou libéral-socialiste et eurocratique. Il faut d’ailleurs observer que pour ne pas apparaître comme ennemi des libertés, la plupart des personnalités politiques non d’extrême gauche veillent à n’attaquer que « l’ultra-libéralisme », de même que la doctrine sociale de l’Église (comprendre « la doctrine politique ») ne condamne que « le nationalisme exacerbé ».

Reste d’ailleurs à se demander, en analysant les attaques contre « l’ultra-libéralisme » formulées par certains partis, s’il ne vaut pas mieux attaquer surtout plus précisément le carcan libéral-socialiste, étatique et eurocratique de nos institutions, destructeur de la vitalité économique, répressif de bien des libertés fondamentales.

Aussi, répéter aujourd’hui que le libéralisme en soi serait un péché, me paraît quelque peu anachronique, quelque peu « à côté de la plaque ». Car en fait de « péché », et certes sans oublier les perversions du capitalisme, avec le nazisme, le communisme et l’islamisme, on a tout de même connu et on connaît des péchés bien pires contre la vérité, la liberté, la dignité humaine.

Et puis l’intelligence politique ne consiste-t-elle pas tout de même à considérer les mots tels qu’ils sont communément compris faute de quoi on risque nous-mêmes de n’être pas entendus ?

En matière philosophique et morale, il nous semble qu’il vaut mieux attaquer le relativisme, concept bien plus explicite et de surcroît sans cesse brillamment dénoncé par Benoît XVI, alors que celui de libéralisme évoque encore très positivement pour certains à la fois la liberté et les libertés ou encore des activités libérales et peut-être une forme de sociabilité, et plus encore le maintien de ce qui doit demeurer libre. Et ce, en une époque où les institutions nationales et supranationales sont surtout bureaucratiquement socialistes, paralysantes des libertés d’entreprendre, imposant idéologiquement leur police de la pensée au service de la désintégration nihiliste, morale et sociale.

Aussi, le libéralisme étant tellement décrié de l’extrême gauche à l’extrême droite, nous éprouvons quelquefois l’envie réactive de le défendre au moins dans l’ordre économique. Mais certes, pour les raisons évoquées précédemment, le terme n’est pas satisfaisant. Hélas on n’arrive pas à bien le remplacer. Certains évoquent les courants « libertariens américains » (cela ne signifie pas libertaire), sympathiques à certains égards dans leur refus de l’omnipotence et de l’omniprésence de l’État. D’autres nous conseillent que plutôt que de nous dire « libéraux », avec toute l’ambiguïté du terme, nous pourrions à l’occasion utiliser le terme de « libertophiles » exprimant notre ferveur pour la liberté et les libertés fécondes ? Cela ne suscite pas non plus notre enthousiasme.

Mais l’important n’est-il pas surtout de réanimer sans cesse la doctrine catholique de la liberté qui procède de la vérité et dont découlent les devoirs, les droits et ces libertés si nécessaires à une civilisation du respect de la vie et de la dignité humaine ?"

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