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Synode : les confusions du père Garrigues

Le père Jean-Miguel Garrigues, théologien de renom et dominicain de Toulouse, répond dans le dernier numéro de la revue des Jésuites de Rome, La Civiltà Cattolica, aux questions d’Antonio Spadaro, dans une démarche de préparation au deuxième épisode du synode de la famille. Largement relayé dans les médias, et pas toujours de manière exacte, l’entretien donné en italien a été publié ans France-Catholique dans une traduction réalisée par le P. Garrigues lui-même. Le titre – comme tout bon titre – dit tout : « “Eglise de purs” ou “nasse mêlée” ? » Jeanne Smits estime qu'il y a des confusions dans ce texte :

"Je résume à ma façon : il s’agit en somme de dire si au nom de la pureté de la doctrine, il faut opposer aux pécheurs – et spécialement ceux visés par les discussions les plus controversées, ou plus exactement les manipulations du synode extraordinaire – une rigueur toute janséniste. Ou si au contraire, le souci de se pencher « avec compassion sur les blessés de la vie familiale », où le pape semble au P. Garrigues «  renouer de fait avec une vieille tradition romaine de miséricorde ecclésiale envers les pécheurs », qui conduit à refuser avec l’Eglise « l’Eglise des purs » au profit de la « nasse mêlée de justes et de pécheurs », n’exige pas une autre attitude.

Avec tout le respect que je dois au père dominicain et à son savoir qui dépasse très largement le mien, je me permettrais de répondre en tant que journaliste, en posant notamment quelques questions sur des points qui me semblent ici mélangés à tort.

Notons d’abord que pour le P. Garrigues, le pape François s’appuie sur le raffermissement des « principes doctrinaux et moraux » par « les deux grands papes qui l’ont précédé », et s’il bouscule un peu les fidèles, c’est dans l’objectif d’aider les âmes « dans la situation concrète ou le Seigneur les appelle »« ne voulant plus fermer les yeux devant les détresses de tant de ces enfants ». On comprend et on serait mal venu de ne pas approuver, à ceci près que la formulation suggère que les prédécesseurs du pape François n’avaient pas ce souci, qu’ils « fermaient les yeux »…

Le pape « fait confiance à la dynamique ecclésiale pour trouver, peu à peu et parfois laborieusement, l’articulation entre la vérité des fondamentaux de la foi et la miséricorde pastorale pour les personnes », écrit le P. Garrigues.

On est au cœur de ce qui a « fait problème » à propos du synode : c’est la question des rapports entre doctrine et pastorale, que le P. Garrigues cherche ici à résoudre de manière orthodoxe en montrant qu’il n’y a pas de « gradualité de la loi », une « finalité morale qui varierait selon les situations du sujet », mais appel aux personnes « à sortir progressivement du mal en commençant par faire la part de bien (encore insuffisante mais réelle) dont elles sont capables ». Il n’y a là rien de révolutionnaire. Mais sur cette notion du « bien » accompli dans une situation de péché grave, il faut apporter quelques remarques…

Quoi qu’il en soit, le fait d’éviter une « pastorale du tout ou rien », comme le suggère le P. Spadaro, ne conduit pas au relativisme, assure le P. Garrigues : « Il serait insensé de confondre la “loi de gradualité”, qui vise un exercice progressif et toujours finalisé de l’acte libre vers la vertu, avec le relativisme subjectiviste d’une “gradualité de la loi”. » Le P. Garrigues prend alors l’exemple du GPS, qui donne le but à atteindre – et qui ne varie pas – mais qui en fonction des erreurs ou des routes barrées, recalcule « aussitôt un itinéraire alternatif à partir de la situation où nous nous trouvons » sans nous dire de retourner au point de départ. De même Dieu, après chaque chute, « nous réoriente vers Lui-même en nous traçant un nouveau chemin vers Lui » ; un chemin que nous suivons, ou non… Un chemin où le pasteur a pour rôle d’« aider les âmes ».

C’est aussi une réalité qui exige pour celui qui se croit « juste » de renoncer à l’orgueil : d’éviter les « motivations non évangéliques » dont « la plus grave serait se poser en parangon arrogant de vertu familiale pour les autres, en jugeant implicitement ceux qui n’arrivent pas à faire comme eux et en étant incapables de voir et d’accueillir la part de bien qu’il y a néanmoins dans la vie de ceux-ci, au lieu de les aider à porter leur fardeau comme le demande saint Paul ».

A ce sujet, répondant à une question à propos de ceux qui se disent inquiets « pour le respect de la doctrine » parce que le synode insiste sur ce souci pastoral, le P. Garrigues répond :

« Il est en effet significatif que l’un des points qui a suscité le plus de trouble, c’est l’affirmation qu’il peut y avoir du bien humain chez des personnes qui sont dans des unions de fait qui, soit ne sont pas assimilables au mariage comme les unions homosexuelles, soit ne réalisent qu’imparfaitement ses réquisits comme les unions civiles, unions comportant un ou deux divorcés remariés. On mesure là combien un certain jansénisme risque de se glisser chez les tenants d’une “Église de purs”. »

Le P. Garrigues invoque saint Thomas d’Aquin qui note l’existence de bonnes actions chez les personnes infidèles, et poursuit : « Pour saint Thomas, même si sans la grâce nous ne pouvons pas faire “tout le bien” qui est dans notre nature, car elle est blessée en n’étant plus ordonnée à sa fin ultime, nous pouvons néanmoins poser des actes moralement bons dans tel ou tel domaine de notre vie, sans que celle-ci devienne pour autant moralement bonne dans sa finalité personnelle. Cela permet de comprendre par exemple le paradoxe de ces criminels qui peuvent se comporter parfois ponctuellement en bons pères de famille. »

Chez les pécheurs, répète le P. Garrigues à la suite de saint Thomas, les actes bons « sans être méritoires puisque non encore mus par la charité, maintiennent par la miséricorde de Dieu des pans de bien naturel dans les personnes, les familles et les sociétés ».

On le suit pas à pas, sans avoir d’ailleurs l’impression que cette manière de voir soit contestée par ceux qui s’inquiètent à propos du synode. Il y a là une sorte de glissement, d’inexactitude, me semble-t-il, qui accuse les « purs » de la doctrine d’êtres « durs » de cœur – tout simplement parce que l’affirmation du « bien » qui se trouve chez chacun, même le pire pécheur, a pris lors d’un synode un tour qui n’est pas celui que met en avant le P. Garrigues, avec des conséquences précises pour la doctrine. Le P. Garrigues parle avec justesse de la « gradation des péchés mortels » – les plus « avancés » des pères synodaux ne parlent plus de péchés, mais de valeurs et de reconnaissance.

Soit dit en passant, si un Kasper ou un des autres partisans de cette pastorale que nous appellerons de la tolérance ou de l’inclusion, avait demandé que nous voyions du bel héroïsme chez un dictateur ou du dévouement chez un « extrémiste », le message serait beaucoup moins bien passé…

Il me semble à la réflexion qu'il y a dans cette dénonciation de l'excessive dureté de ceux qui refusent de voir le bien chez les pécheurs – alors qu'ils sont eux-mêmes pécheurs – des choses très justes, mais aussi une confusion : de quoi parlons-nous exactement ?

Le point d'achoppement précis des discussions en cours n'est pas en effet de savoir si les « pécheurs publics » que sont les concubins, les divorcés remariés et les homosexuels vivant en couple ou, si je puis dire, visiblement actifs, sont des monstres horribles qui ne sont pas susceptibles de la miséricorde de Dieu – je crois que personne ne pense cela ! – mais de savoir s'ils peuvent obtenir l'absolution sacramentelle de leur péché mortel, puis accéder à la communion.

Et, plus précisément encore, de savoir quel est le but de la pastorale : éviter au pécheur de se sentir exclu pour que l’envie de revenir dans le droit chemin ne lui « passe » pas ? En faire un absolu ? Ou tout faire, selon les circonstances et dans la charité, pour que celui qui risque son salut éternel en prenne conscience et puisse obtenir l’infinie miséricorde de Dieu que le pire des criminels peut encore espérer recevoir ?

Ce n’est pas sur ce point que les "manipulateurs" du synode ont fait porter le débat, mais sur l’accès aux sacrements sans la conversion et sans les engagements nécessaires. Ceux qui s'y opposent ne sont pas des « purs » : ou alors saint Jean-Paul II, Benoît XVI, une bonne quantité de cardinaux et bien des saints de l'histoire du catholicisme en sont.

Dès qu'une personne engagée dans une union illicite, adultère, ou illégitime, ou dans une union « contre nature », pour stable qu’elle soit, n’est pas dans la ferme résolution (ce qui suppose d'en prendre les moyens) de ne pas poursuivre dans ce mode de vie qui la coupe de la grâce, de l'amitié avec Dieu, elle ne peut pourtant accéder aux sacrements.

Dire cela ne correspond pas au fait d’affirmer qu'elle ne puisse pas se trouver sur un chemin pour y arriver. Personne n'aurait, me semble-t-il, contesté que l'Eglise, ses ministres et à leur plus modeste mesure, les fidèles eux-mêmes ont le devoir urgent d'attirer, d'aider, de soutenir ces personnes sur ce chemin.

Mais c'est un devoir de charité de ne pas le faire dans le mensonge, qui consisterait à « rassurer » en quelque sorte les personnes en question en soulignant les actes objectivement bons de leur vie, sans leur rappeler que la perte de la grâce est le pire des malheurs. Si l'on avait dit que leurs actes objectivement bons peuvent être le chemin qui les conduit à pouvoir s'ouvrir de nouveau à la grâce, il n’y aurait pas eu la confusion que l’on constate aujourd’hui parmi les fidèles, ni la confrontation à laquelle on assiste aux sommets de l’Eglise.

Il faudrait tenir compte également du fait que le soulignement du bien chez ces personnes, précisément dans le cadre de leur relation désordonnée, peut être cause de scandale chez une masse de jeunes en les incitant à croire que ces formes de vie elles-mêmes sont bonnes ou en tout cas pleinement excusables. Or c’est ainsi qu’il est formulé, c’est ainsi qu’il est compris et répété par les médias, ce qui conduit à penser que cela a tout, dans l'état actuel, de la provocation.

Toutes ces choses – concernant la grâce sanctifiante, la marche vers la conversion – ne sont pas dites avec clarté par Kasper, Marx et d'autres moins radicaux – et je ne parle même pas des propositions de faire reconnaître d'une certaine manière par l'Eglise les unions homosexuelles. Ni même par certains enthousiastes du pape François qui interprètent ses propos comme une « ouverture » non aux pécheurs, mais aux péchés.

Quant à la gradation des péchés dont parle à juste titre le P. Garrigues, il me semble aussi que l'on passe totalement sous silence la gravité spécifique de l'acte homosexuel (d'autant plus quand il s'inscrit dans un « style de vie » homosexuel), et que la manière dont en parlent les « progressistes » vise précisément à le disculper.

En poursuivant la lecture de l’article du P. Garrigues, où le souci de juste pastorale ne fait pas de doute, ainsi que la volonté de préserver l’orthodoxie, on est surpris de trouver deux exemples de cas particuliers où l’Eglise pourrait se montrer « indulgente » à l’égard de divorcés remariés. C’est dans la résolution de ces cas que l’on perçoit le glissement que fait opérer une volonté « pastorale » insuffisamment bordée par la vérité : il ne s’agit plus d’aller chercher les gens là où ils sont, afin qu’ils puissent prendre le bon chemin, mais de saluer leur bonté là où ils se trouvent, quitte à ce qu’ils y restent. Nous en reparlerons peut-être sur ce blog !"

Addendum : un jésuite et un dominicain répondent également au père Garrigues. Extrait de celle du dominicain, qui répond aux 2 cas "particuliers" cités par le père Garrigues :

"Avec ces deux exceptions, on finit par couvrir tous les cas : que le mariage sacramentel soit valide ou pas, ce sont de bons chrétiens, donc on leur donne accès à l’eucharistie, sans plus se demander si la situation dans laquelle ils vivent n’entre pas en contradiction avec la parole du Christ qui nous dit que celui qui vit avec une personne qui n’est pas son conjoint légitime est adultère, et que les adultères n’ont pas part au Royaume. Ils n’ont pas part au Royaume, mais on leur donnera part au sacrement du Royaume, ils mangent et ils boivent leur propre condamnation d’après l’Apôtre, mais tout va bien.

On rappelle dans l'article de "La Civiltà Cattolica" que le Saint Office a condamné en 1690 le "tutiorisme". Mais on oublie de dire que la congrégation pour la doctrine de la foi a condamné ces deux propositions en 1994, avec la "Lettre aux évêques sur l’accès à la communion eucharistique des divorcés remariés", par le cardinal Ratzinger, et en 1998, "À propos de quelques objections à la doctrine de l’Eglise concernant la réception de la communion eucharistique de la part des fidèles divorcés remariés", toujours par le cardinal Ratzinger. Sans parler de "Familiaris Consortio" n. 84 du 1981, de "Sacramentum Caritatis"  n. 29 du 2007, du Code de droit canonique, du Catéchisme de l’Église catholique, etc…

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