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Institutions internationales

Suite au rapport de l’ECLJ, la CEDH modifie son règlement pour plus de transparence

Suite au rapport de l’ECLJ, la CEDH modifie son règlement pour plus de transparence

Le Rapport de l’ECLJ sur les relations entre plusieurs juges de la Cour européenne des droits de l’homme et des ONG continue de porter des fruits :

Ce 20 mars 2023, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a publié une version révisée de son Règlement, auquel elle a annexé une nouvelle «Instruction pratique» sur les tierces interventions. Dans une cinquantaine d’articles, la Cour précise à présent les finalités, modalités et conditions des tierces interventions.

L’ECLJ se félicite que la Cour européenne ait adopté certaines de ses recommandations formulées dans son rapport Les ONG et les Juges de la CEDH. Déjà en 2021, la Cour avait modifié sa résolution sur l’éthique judiciaire suite au rapport de l’ECLJ (voir nos explications ici).

Les tierces interventions sont des observations que la Cour accepte de recevoir « dans l’intérêt de la justice », dans une affaire dont elle est saisie, de la part d’États, d’organisations ou de personnes qui ne sont pas parties à l’affaire. Il s’agit du mode d’action privilégié des ONG auprès de la Cour. Cette procédure est très bénéfique, même si la neutralité et l’extériorité des intervenants ne sont souvent que de façade. En intervenant dans une affaire, l’objectif des ONG est d’éclairer la Cour et, ce faisant, de la convaincre d’adopter sa propre position. Il s’agit ainsi de contribuer à l’élaboration de sa jurisprudence, et à travers elle, à celle du droit européen. L’ECLJ est ainsi intervenu dans plus de soixante affaires depuis 15 ans.

Jusqu’à présent, cette procédure de tierce intervention était faiblement encadrée à la CEDH, ce qui a permis le développement de pratiques abusives de la part de quelques ONG. Dans son rapport sur les ONG et les juges de la CEDH (2020), l’ECLJ a exposé certaines de ces pratiques, en particulier les « fausses tierces interventions ». Celles-ci peuvent prendre plusieurs formes.

Il s’agit le plus souvent de « tierces » interventions soumises à la Cour par des ONG à la demande de l’une des parties principales, et parfois même rédigées par celle-ci.

Une autre pratique abusive consiste pour une ONG à introduire une affaire de façon officieuse, afin de pouvoir demander simultanément à y intervenir comme tierce partie, pour soutenir ainsi sa propre cause d’un point de vue prétendument neutre et extérieur.

Il est même arrivé qu’une ONG agisse simultanément et ouvertement comme représentant du requérant et comme tiers-intervenant dans la même affaire. C’est le cas par exemple du Comité Helsinki de Bulgarie dans l’affaire Neshkov et autres contre Bulgarie[1]. La Cour a accordé des dépens au Comité Bulgare en tant que représentant du requérant, alors même qu’il intervenait aussi comme tierce partie. Ce Comité Helsinki de Bulgarie a été fondé par l’actuel juge bulgare à la CEDH, Yonko Grozev.

Enfin, les ONG agissent souvent en groupe et de façon concertée, multipliant les tierces interventions sous la direction de l’ONG représentant le requérant. Dans ce cas encore, l’extériorité des tierces interventions est purement fictive et place le Gouvernement défendeur en situation de devoir se défendre non pas contre un requérant, mais une coalition, ce qui constitue un détournement de la procédure.

Face à ces pratiques, dans son rapport de 2020, l’ECLJ recommandait à la Cour :

« [d’] établir un formulaire de demande d’intervention dans lequel la personne physique ou morale demandant à intervenir devrait déclarer ses intérêts, l’origine de ses financements ainsi que ses liens éventuels avec les parties, notamment s’ils agissent en concertation. Le but n’est pas d’empêcher toute tierce intervention partisane, mais d’en améliorer la transparence, suivant en cela l’exemple du « registre de transparence » en usage au Parlement européen. »

Dans sa nouvelle «Instruction pratique», la Cour exige à présent, significativement, que toute demande de tierce intervention contienne « suffisamment d’informations sur : a) l’intervenant potentiel ; b) tout lien existant entre cet intervenant potentiel et les parties à la procédure ; c) les raisons pour lesquelles l’intervenant potentiel souhaite intervenir ».

L’ECLJ se réjouit de la publication de cette instruction pratique, mais constate que d’autres problèmes demeurent. Ainsi, il faudrait que la Cour impose l’obligation d’informer les tiers intéressés à une affaire portée devant elle, et leur assure le droit d’y intervenir. Il peut s’agir, par exemple, de « l’adversaire du requérant dans la procédure civile interne à l’origine de la requête individuelle introduite devant la Cour ou [de] l’autre parent dans les affaires de garde d’enfants[2]. » Les droits et intérêts de ces personnes peuvent en effet être directement affectés par le jugement de la Cour ; et il serait juste qu’ils soient associés à la procédure. Dans son Instruction pratique, la Cour reconnaît que, pour ces tiers intéressés, « ‘l’intérêt de la justice’ peut exiger qu’ils soient entendus avant que la Cour ne statue sur une question susceptible d’affecter leurs droits, même indirectement. » Mais encore faudrait-il que ces tiers intéressés soient informés de l’existence du recours. Or, tel n’est pas le cas à ce jour. Dès lors, bien souvent, la Cour statue sans entendre les arguments de ces personnes, sans leur permettre de se défendre. C’est là un défaut structurel de la procédure à la CEDH qui mérite d’être corrigé, même si cela occasionne une petite charge supplémentaire de travail pour la Cour.

Secondairement, la procédure de tierce intervention serait moins arbitraire si la Cour s’était imposé l’obligation de justifier ses décisions de rejet des demandes d’intervention.

L’ECLJ continuera de suivre avec attention le processus de réforme de la Cour afin que son indépendance et impartialité soient les plus exemplaires possibles. Vous pouvez nous y aider en soutenant notre rapport et les procédures institutionnelles qui ont été initiées à sa suite.

____________

[1] CEDH, Neshkov et autres c. Bulgarie, nos 36925/10, 21487/12, 72893/12, 73196/12, 77718/12 et 9717/13, 27 janvier 2015.

[2] La Cour évoque ainsi ces tiers intéressés dans l’Instruction pratique.

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