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Bioéthique

Révision de la loi de bioéthique. La question de l’implantation post-mortem

Révision de la loi de bioéthique. La question de l’implantation post-mortem

L’implantation post-mortem est le transfert d’embryons post-mortem pour des femmes veuves ou une PMA pour ces mêmes femmes si du sperme de leur mari a été conservé. C’est actuellement interdit en France.

La possibilité de son autorisation a été débattue lors des auditions menées par la commission parlementaire de révision de la loi de bioéthique (Assemblée nationale).

Partons d’un cas d’école  évoqué par le Professeur Nisand, gynécologue et président du Forum européen de bioéthique de Strasbourg, plein d’empathie pour son sujet :

« Voilà un homme et une femme de trente-neuf ans : ils se sont rencontrés tard mais c’est le grand amour. Le sperme de l’homme ne contient aucun spermatozoïde. Les tests nous laissent entendre qu’une biopsie testiculaire nous permettrait de trouver quelques spermatozoïdes à l’intérieur de ses testicules. Malheureusement, ils sont tout petits et une ablation partielle pourrait lui causer des troubles d’érection. Mais il est tellement important pour lui de faire un enfant avec cette femme qu’il accepte. Nous procédons à la biopsie et il la paie de troubles de l’érection. Toutefois, nous trouvons dix spermatozoïdes vivants. Nous les mettons au contact des œufs de sa femme et nous obtenons quatre embryons. Nous échouons à réimplanter le premier embryon. Le même scénario se reproduit pour le deuxième embryon. L’homme et la femme estiment qu’ils sont trop tendus et qu’ils doivent faire une pause. Ils partent en vacances. Grands skieurs, ils se rendent à Chamonix : en haut du glacier d’Argentière, l’homme manque le premier virage, chute de cinq cents mètres et meurt sur le coup. »

Le Pr Nisand continue :

« Vous imaginez la suite. Deux mois plus tard, je revois cette femme tout à son deuil qui me dit la chose suivante : « Monsieur, j’aurais pu venir avec la carte d’identité du frère de mon mari qui lui ressemble comme deux gouttes d’eau. Vous n’y auriez vu que du feu et j’aurais pu obtenir la réimplantation des deux embryons mais je n’ai pas voulu vous tromper. Mais qui a le droit de me dire quoi que ce soit du sort de ces embryons ? Qui peut s’immiscer dans l’intimité des conversations que j’ai eues avec mon mari et des décisions que nous avions prises ? ». Je lui ai répondu que toute ma pratique au sein du CHU était adossée à la loi. « Que dit la loi, monsieur ? » me rétorque-t-elle – elle le savait, bien sûr. Et moi de lui répondre : « Madame, elle vous donne deux choix : détruire ces embryons ou les donner à une autre femme ». J’appelle cela des propositions obscènes. Qui a décidé en 1994 que l’implantation post-mortem revenait à faire des petits orphelins ? Encore une fois, on a fait passer les grands principes devant le pragmatisme. Ah ça, on est propres sur nous ! Mais cela a des conséquences odieuses.

Pensez donc : je n’ai même pas le droit de mettre les embryons dans une thermos pour permettre à cette femme d’aller à l’étranger pour les faire réimplanter. Totalitaire, en plus ! Nous ne pouvons pas en rester là. C’est une simple question d’humanité. La loi doit être conforme à ce que souhaite la population.Quand je raconte cette histoire, tout le monde me dit que ce n’est pas normal. Qu’il faille encadrer par des décrets la réimplantation d’embryons en fixant des bornes – pas avant six mois, car la femme est dans son deuil, mais pas après dix-huit mois –, qu’il faille un accompagnement psychologique – un enfant ne doit pas être une pierre tombale : tout cela, je l’entends. Mais devoir dire « Non, madame, définitivement non, vous n’avez plus qu’à les donner à une autre femme », ce n’est pas acceptable ».

Voilà. Certainement ce qu’on appelle solliciter l’émotion. Douloureux ? Assurément. Doit-on changer la loi pour autant ? Le Pr Mattei, président du Comité d’éthique de l’Académie de médecine, rappelle : « L’enfant n’est pas un médicament».

L’implantation post-mortem apparaît pour beaucoup comme une conséquence « inéluctable » de l’ouverture de la PMA sans père. C’est ce qu’expose le rapporteur M. Jean-Louis Touraine :

« J’estime que la réimplantation embryonnaire post-mortem s’imposera naturellement lorsque la procréation médicalement assistée sera étendue aux femmes seules ou aux femmes homosexuelles en couple. Si une femme seule a droit à la PMA, on ne saurait l’interdire à une femme qui vient de perdre son mari et dont les embryons ont été congelés » ;

De même que le Dr Faroudja, président de la section Ethique et déontologie du Conseil de l’Ordre des médecins :

« Imaginons que l’on autorise l’extension de l’AMP : en ce cas, une femme seule pourrait concevoir avec les spermatozoïdes d’un donneur inconnu mais une veuve ne pourrait pas utiliser ceux de son mari mort ? »

Le Pr Jacques Testart, biologiste et considéré comme le père scientifique du premier bébé-éprouvette né en France ajoute un élément :

« Le risque eugénique n’existe pas dans le cas de l’insémination post mortem – puisque c’est le sperme du partenaire masculin qui sera utilisé. Ce sujet ne pose pas à mes yeux de problème fondamental, sinon qu’il peut être débattu avec les psychologues, dans la mesure où il peut être traumatisant pour l’enfant d’être né d’un mort, mais je n’ai aucune compétence pour en juger ».

En cas d’autorisation, trois autres questions resteraient ouvertes

  • Comme toujours, la question des limites : quels délais  pour l’insémination d’une veuve après le décès de son mari ? Le CCNE et le Conseil d’Etat suggèrent la possibilité d’une insémination post-mortem entre six et 24 mois  après le décès (soit la possibilité d’une naissance près de trois ans après le décès du père). Autre limite, combien de grossesses seraient autorisées dans le délai défini ?
  • Ensuite vient la question considérable du risque d’une incertitude juridique d’une succession liée à une fécondation post-mortem, comme exposée par les notaires auditionnés : «Les notaires sont les artisans de la sécurité juridique. Le décès implique une succession, et donc l’intervention du notaire…. L’article 725 du code civil nous indique que, pour succéder, il faut exister à l’instant de l’ouverture de la succession, ou, ayant déjà été conçu, naître viable. Tant que l’enfant n’est pas né viable, il n’est pas héritier. Au cours de la grossesse, l’enfant à naître est donc potentiellement héritier. Pour nous, notaires, la succession actuellement est d’une certaine manière « gelée » jusqu’à la naissance de l’enfant. Comme le processus de gestation est en cours, le délai d’attente se situe entre un et neuf mois environ.
    C’est pourquoi la question de la filiation posthume nous semble essentielle. L’enjeu est de faire apparaître une filiation après le décès. Qu’un héritier se révèle après une insémination posthume et se posera la question de la période intermédiaire, dont nous ne saurons que faire… Qui nous dira s’il est possible qu’un héritier supplémentaire se révèle ? Si un fait est caché, les peines du recel seraient-elles applicables ? Le conjoint n’ayant pas dit qu’une insémination avait eu lieu, y aurait-il donc recel, avec un héritier volontairement caché ? Quant aux héritiers, faudra-t-il leur dire que la succession ne pourra être réglée avant deux ans ? Nous risquons la paralysie ».
  • Troisième question : insémination artificielle à partir d’un embryon congelé seulement ou bien insémination aussi à partir du sperme congelé du mari défunt ? Quelle différence, alors même que les audités qui préconisent la première, très généralement s’opposent à la seconde ? M. Israël Nisand : « J’ai omis de vous dire que je n’étais pas favorable à la réutilisation des gamètes post mortem. Je fais une situation tout à fait différente aux spermatozoïdes et à l’embryon. Le spermatozoïde est un objet, l’embryon est un sujet, c’est un être humain ».

Comme toujours, la position du rapporteur est maximaliste. Il propose dans son rapport :

  1. Proposition n° 5 du rapporteur : Lever l’interdiction de la procréation post mortem, qu’il s’agisse de l’insémination ou du transfert d’embryon.
  2. Quand il ajoute « Nous souhaitons qu’elle soit très fortement encadrée. Cela relèvera en partie du domaine réglementaire, mais il faut exclure certaines conditions et certains moments. En premier lieu, lorsque c’est un homme qui décède, il ne faut pas que la famille du mari défunt impose à la belle-fille une procréation », on se demande même s’il ne pense pas à une possibilité de GPA dans le cas où ce serait la femme qui décède ?  Par ailleurs, si la pratique est « fortement encadrée », cela signifie qu’il y aura des limites. Qui, dans certains cas se révèleront inadéquates par rapport à une situation particulière. Et le professeur Nisand reviendra nous dire : « la loi doit être conforme à ce que souhaite la population ».

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3 commentaires

  1. “La loi doit être conforme à ce que souhaite la population”. J’aie envie de tuer tous ceux qui ne pensent pas comme moi. Je dois bien pouvoir réunir de nombreuses personnes autour de ce projet. Pétitions, lobbying et hop un projet de loi. Il sera mis des “gardes-fous” (mais qui sont les fous) mais cela sera vite contourné. Décidément, l’homme du XXIème siècle ayant abandonné Dieu, a perdu son intelligence comme Adam et Eve ont perdu la Grâce.
    Non Messieurs Nisand et consorts, la loi est faite pour le bien commun et non pour les caprices, ne serait-ce d’une importante partie de la population. La démocratie n’est que la dictature du plus grand nombre (en principe, car les dernières pseudo-lois sociétales auxquelles nous avons le devoir de désobéir ne sont le fait de groupuscules nombrilistes).

  2. Passer les laboratoires au lance roquette et les débats des malades mentaux seront clos.

  3. M. Israël Nisand : « (…) l’embryon est un sujet, c’est un être humain. »
    Extraordinaire. Je n’aurais pas dit mieux. Et il ne parle même pas du fœtus, mais de l’embryon !
    On va en faire un héros pro-vie si ça continue !

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