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Rencontre entre le pape François et l’imam d’Al-Azhar : dialogue à sens unique ?

2016-05-23t115302z_1206890470_d1aetfrqywaa_rtrmadp_3_pope-vatican_0Atlantico interrogeait Jean-Baptiste Noé, historien et écrivain, et Alexandre Del Valle sur la rencontre au sommet entre le pape François et l'imam d'Al-Azhar, qui a eu lieu hier au Vatican.

Atlantico : Ce lundi, le pape François reçoit au Vatican l'imam de la mosquée Al-Azhar du Caire, la plus haute autorité de l'islam sunnite dans le monde. Quel est l'objectif affiché de cette rencontre historique entre les deux autorités et que peut-on en attendre ?

Jean-Baptiste Noé : Les relations entre le Vatican et Al-Azhar ont été rompues en janvier 2011. En effet, le 31 décembre 2010, un attentat dans une église copte avait causé la mort d’une trentaine de chrétiens. Benoît XVI avait vivement réagi à cet attentat et demandé aux autorités égyptiennes de prendre des mesures pour éviter que cela ne se reproduise. Al-Azar avait considéré cette réaction comme une offense à l’islam et avait dès lors cessé tout dialogue avec le Vatican. Cette rencontre est donc un moyen de renouer les contacts officiels et de retisser les liens du dialogue après cinq ans d’interruption.

Sur le fond, rien de nouveau ne sortira de cette rencontre. Il ne faut pas s’attendre à des transformations profondes. Les choses se font petit à petit. Cela tient aussi à la structure même de l’islam, qui est très divisé. Chaque autorité parle pour elle-même et non pas au nom de l’ensemble des musulmans. Mais pour les relations entre le Saint-Siège et l’Égypte, c’est une très bonne chose.

Alexandre del Valle : […] Déjà, le 3 décembre 2014, avait été organisée une grande réunion œcuménique au Caire à Al-Azhar entre religieux chiites, sunnites et chrétiens visant à dénoncer "l'extrémisme et le terrorisme". Ensuite, n'oublions pas qu'en Egypte, le Grand Imam est un fonctionnaire égyptien, porte-parole des autorités présidentielles. Or, Abdel Fatah Al-Sissi est en guerre avec les islamistes depuis 2013, notamment les Frères musulmans mais aussi les terroristes en Libye ou dans le Sud de l'Egypte.

De son coté, le Pape essaie d'améliorer l'entente entre musulmans et chrétiens et il semble bien moins attaché à parler des "choses qui fâchent" que son prédécesseur qui faisait primer la Vérité sur la diplomatie. François a certes condamné la violence terroriste, mais il n'a pas osé aborder la théologie musulmane sunnite anti-chrétienne comme Benoît XVI. Par ailleurs, François essaie depuis son arrivée de se rapprocher des instances musulmanes les plus raisonnables dans un souci de protection des chrétiens d'Orient, qu'il estime être les premières victimes en cas de mauvaise entente entre le monde musulman et la chrétienté. Il croit peut être sincèrement que son attitude ouverte calmera la haine antichrétienne en terre d'islam, mais rien n'est moins sûr hélas.[…]

[J]e ne pense pas que l'on puisse attendre grand chose de cette rencontre très diplomatico-politique, puisque les islamistes qui s'en prennent aux chrétiens en général – et aux catholiques en particulier – sont eux-même en guerre contre Abdel Fatah Al-Sissi et que, mis à part son imam aux ordres du président égyptien, Al-Azhar demeure un réservoir d'orthodoxie sunnite obscurantiste qui est très loin d'avoir entamé la "réforme" radicale de la religion qu'a appelé de ses vœux le courageux al-Sissi, bien incapable de faire bouger les lignes théologiques à lui seul. D'une certaine manière, j'ai même bien peur que la rencontre entre l'imam et le pape – pas du tout souhaitée par la plupart des juristes-théologiens d'Al-Azhar et dénoncée par les islamistes – renforce la haine des islamistes envers les chrétiens et les autorités égyptiennes accusées de "compromission" avec les "forces croisées", sachant qu'Al-Sissi a fait emprisonner et tuer de nombreux militants des Frères musulmans en guerre contre lui et ses alliés "mécréants" ou "apostats".[…]

Si la volonté de dialogue inter-religieux est unanimement saluée, la stratégie d'ouverture tous azimuts de François ne risque-t-elle pas d'isoler le pape au sein même de l'Eglise, à commencer par le Vatican ? Qu'en pensent les cardinaux ?

Jean-Baptiste Noé : Cette rencontre est organisée par le Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux, elle n’est pas le fait de la seule initiative du pape. À Rome, tout le monde s’accorde sur l’importance qu’il y a à avoir des échanges avec Al-Azhar. Il y a un consensus sur ce sujet.

Alexandre del Valle : Je ne pense pas que cette stratégie soit mal vue au Vatican. Depuis le concile Vatican II et la fameuse déclaration Nostra aetate, le Vatican est à fond impliqué dans l'œcuménisme, souvent d'ailleurs de façon assez naïve, souvent contre-productive et à sens unique. Tous les papes successifs depuis les années 1960, à l'exception peut-être de Benoît XVI – et encore –, ont déclaré leur grand attachement à l'oecuménisme et au dialogue souvent unilatéralement profitable avec les instances musulmanes. De ce fait, la pseudo "amitié islamo-chrétienne" ne représente rien de solide. Elle est fondée sur une diplomatie superficielle et des déclarations de principe et non sur la moindre réciprocité ou la vérité…[…]

Personnellement, je suis donc persuadé que cette rencontre s'inscrit tout à fait dans la tradition de dialogue interreligieux souhaité par le Vatican depuis une cinquantaine d'années, quitte à passer sous silence la persécution croissante des chrétientés en terre d'islam, dont la mémoire est sacrifiée en quelque sorte sur l'autel de l'oecuménisme béat et la "politique d'apaisement" d'essence capitularde.

En adoptant une telle politique de la main tendue à la branche sunnite de l'islam, aujourd'hui conquérante et liée à de terribles exactions dans de nombreux pays, le pape ne complique-t-il pas la situation des chrétiens d'Orient ? 

Jean-Baptiste Noé : Al-Azhar et son grand imam, le cheik Ahmed Al-Tayeb, ont prononcé une condamnation sans précédent contre l’EI. En février 2015, réagissant à la décapitation d’un pilote jordanien par l’EI, Al-Azhar a condamné l’EI en utilisant des mots très forts dans son communiqué : "[nous condamnons] cet acte terroriste lâche, qui nécessite la punition prévue dans le Coran pour ces agresseurs corrompus qui combattent Dieu et son prophète : la mort, la crucifixion ou l'amputation de leurs mains et de leurs pieds".

Ils ont également appelé à "crucifier et démembrer les membres de l’EI". C’est la première fois que l’université égyptienne prononçait une condamnation aussi violente à l’égard d’un groupe terroriste musulman. Il y a donc une convergence de vue entre le Saint-Siège et Al-Azhar dans la nécessité de lutter contre Daesh et le terrorisme. De même, c’est à Al-Azhar, devant le cheik et l’ensemble des dignitaires religieux de l’université, que le président Al-Sissi a prononcé en décembre 2014 un discours particulièrement vindicatif à l’égard des fanatiques. "Nous devons changer notre religion", a-t-il notamment dit. L’Égypte est un pays essentiel dans la lutte contre l’islamisme. D’où l’importance de la rencontre entre les deux autorités.

Alexandre del Valle : Je pense effectivement qu'il va la compliquer, même sans le vouloir, sauf peut-être en Egypte où Al-Sissi veut sincèrement combattre la persécution anti-chrétienne. En effet, du point de vue très différent et dissident des Frères musulmans et des islamistes en général qui détestent tout ce que fait et représente le président Al-Sissi, le fait que le pape François se rapproche de l'instance sunnite la plus proche et la plus contrôlée par le Raïs égyptien, bête noire majeure des islamistes avec Vladimir Poutine et Bachar el-Assad, ne risque pas d'améliorer le sort des chrétiens et de leur pape, qui va ainsi être perçu comme "ami" du pouvoir "apostat" égyptien qui massacre les Frères musulmans…[…]

Si le grand imam d'Al-Azhar est enclin à dialoguer avec le pape, rien n'indique en revanche qu'il ait ne serait-ce que débuté une nécessaire réforme de l'islam visant à changer l'enseignement du mépris théologique envers les chrétiens "trinitaires" et leur foi "associationniste". Or, ce travail de réforme théologique est la condition sine qua non sans laquelle les chrétiens seront toujours persécutés de façon "conforme" à la vision que donne d'eux la jurisprudence islamique orthodoxe, hélas jamais réformée depuis le Xème siècle. Tout le problème est là. Un vrai dialogue d'amitié islamo-chrétienne devrait, selon moi, aborder en vérité et en toute franchise, vrai gage d'amitié, cette question fondamentale pour ne pas dire fondatrice de la christianophobie islamique.[…]

Depuis 50 ans, le dialogue islamo-chrétien est demeuré hélas un dialogue de sourds, unilatéral. Il n'a globalement et objectivement profité qu'à la partie islamique qui s'étend en Europe avec l'appui de l'Eglise elle-même (elle fut la première dans les années 1970 à donner des terrains aux Frères musulmans pour construire des mosquées). Le dialogue "islamo-chrétien" autour des tasses de thé à la menthe est fort sympathique, mais il a trop souvent servi de cache-sexe et d'alibi pour les leaders musulmans désireux d'apparaître "respectueux de la tolérance" par des belles déclarations qui ne coûtent rien. Pendant ce temps, dans le monde musulman et leurs propres pays, les persécutions légales de chrétiens et de non-musulmans en général se sont accrues, intensifiées même, du Pakistan à la Turquie, en passant par les pays du Golfe, l'Egypte, l'Irak, et le Maghreb, et ces leaders musulmans ne les condamnent pas. Ils condamnent certes les cas extrêmes d'attentats terroristes anti-chrétiens, mais jamais les persécutions légales basées sur la loi islamique. Ces pays qui financent tant de mosquées en Europe au nom de la tolérance, renforcent chez eux des législations condamnant les conversions au christianisme. Ces lois condamnant le prosélytisme chrétien ont été partout renforcées au nom de la loi islamique… Etonnamment, on constate même que depuis 60 ans, plus les chrétiens dialoguent avec les musulmans de façon diplomatique et sans réciprocité exigée, plus les chrétientés d'Orient sont persécutées, tuées, bafouées, brimées, etc."[…]

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