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France : Politique en France

Que les chrétiens s’engagent en politique

À l'occasion de la sortie de son livre Éloge de l'action politique, le théologien et philosophe dominicain Thierry-Dominique Humbrecht est interrogé dans Le Figarovox :

"[…] Depuis longtemps, ce sont des chrétiens -ou des personnes qui en ont conservé les cadres mentaux et la culture- qui font de la politique. La plupart sont contraints à ne pas paraître chrétiens, par intimidation ou par inhibition. C'est à ça qu'on les reconnaît.

Les chrétiens doivent-ils se déclarer comme tels en politique? Cela dépend. C'est un arbitrage délicat qui nécessite de jouer sur plusieurs claviers, en estimant que l'on peut débattre de certains sujets rationnellement -encore faut-il que les interlocuteurs d'autres obédiences acceptent de faire usage de leur raison-, et d'autres selon les diverses théologies. Les questions qui concernent la personne humaine doivent être abordées sous leur aspect sociétal mais aussi dans leur dimension religieuse. Il s'agit de problèmes philosophiques qui nous concernent tous en tant qu'hommes; mais refuser de dire que certaines choses relèvent d'un engagement religieux, c'est avoir pris position par omission. Tous ont une idée de Dieu. La laïcité elle-même est une religion, athée plutôt que neutre. Il n'y a finalement pas de neutralité: ce sont toujours des religions qui s'affrontent.

Vous affirmez que l'enjeu de la société se situe désormais entre la nature de l'homme et l'existence de Dieu. Qu'entendez-vous par là?

La plupart des débats actuels touchent à l'homme et à sa dimension religieuse. Le corps politique se saisit de plus en plus de ces problématiques et édicte des lois contraignantes. Alors que s'il était neutre, il devrait les laisser à la liberté des gens.

Si Dieu existe, l'homme a une nature et sa vie a un but. S'il n'existe pas, alors l'homme n'a pas de nature et peut s'inventer des buts terrestres. Sartre disait: «Il n'y a pas de nature humaine puisqu'il n'y a pas de Dieu pour la concevoir». On l'a vu pour le mariage homosexuel: l'argumentation pro mariage partait du principe qu'il n'y a pas de nature et que chacun fait donc ses choix. La liberté tient alors lieu de nature et il n'y a pas d'humanité à laquelle on est tenu de se conformer. La liberté sans nature règne sur fond d'athéisme.

Une certaine idée de l'homme est liée à une certaine idée du monde et à une certaine idée de Dieu, triangle vital. Notre rapport à l'un modifie notre rapport aux deux autres et il en existe plusieurs modèles de relation triangulaire. Le choix d'un modèle est lourd de conséquences dans les domaines économique, sociétal et politique.

«Mon royaume n'est pas de ce monde» dit Jésus. Pourquoi s'activer pour un chrétien si la victoire ne sera pas assurée ici-bas? 

Le chrétien se bat sur le plan politique parce qu'il est homme, citoyen et chrétien. C'est son rôle, il fait partie du monde. Certes, le succès politique n'a rien d'assuré, Jésus ne l'a d'ailleurs jamais promis. La politique est une affaire humaine et il faut rendre à César ce qui est à César, c'est-à-dire voter, participer autant qu'on le peut à la vie de la cité et défendre les idées auxquelles on tient. D'autant que nous avons perdu -ou sommes sur le point de perdre- nombre de combats humains et éthiques actuels, à cause d'une logique politique, financière et idéologique dont on ne mesure pas encore assez la puissance. Le mariage homosexuel était préparé depuis une quarantaine d'années et dans une optique de subversion antichrétienne du mariage.

Certains chrétiens ne seraient pas touchés par un certain défaitisme, qui les dissuaderait de s'engager en politique?

Ce n'est pas une raison pour ne pas agir, surtout s'il s'agit de combats qui touchent à la dignité humaine, à la nature, à Dieu. On ne se bat pas pour remporter des victoires terrestres, mais pour le Christ. Aujourd'hui le pouvoir politique musèle la foi chrétienne. Mais si la décision issue de ce combat ne nous est pas favorable, nous aurons tout de même sauvé notre honneur face au Christ, aux autres et à nous-même. Cela sera inscrit dans les cieux. Nous savons aussi que les statues aux pieds d'argile s'écroulent vite.

Vous désignez les catholiques français comme des «intermittents du réveil». Qu'est-ce qui explique cette tiédeur?

Plusieurs paramètres sont à prendre en compte. Nous sommes dans un pays d'histoire, civilisation et culture chrétiennes. Les chrétiens ont pris l'habitude de s'y croire chez eux et d'y vivre avec une relative passivité. C'est pour cela qu'ils dorment.

S'y ajoute une attitude passive au sein de l'Église elle-même, depuis quelques décennies: il s'agissait de se fondre dans la société, de ne surtout pas se dresser face à elle comme un adversaire mais comme un acteur absorbé dans la masse, surtout si celle-ci était de gauche. Agir sans apparaître comme des chrétiens. Il y a eu une force inhibitrice considérable qui se refusait à critiquer les décisions de la société pour ne pas paraître contre le progrès. Par désir de rester dans le coup. 

Aujourd'hui, la déchristianisation pousse à sortir de sa coquille. Le réveil est lent et douloureux mais nécessaire pour ne pas se laisser dévorer. Il est plus ardu encore pour les plus de cinquante ans qui ont pu vivre en chrétienté de manière confortable, en particulier dans le clergé. De nombreux clercs sont nés à une époque où les églises étaient pleines. Cette laïcisation sauvage les prend de plein fouet et les laisse un peu démunis face à un monde devenu féroce auquel ils n'ont pas été habitués. 

Le changement de mentalités s'impose, non pour créer une contreculture, mais pour oser prendre position comme partenaire actif, intelligent et critique. Et cela par la voie de moyens médiatiques, encore trop peu utilisés parmi les pasteurs: peur d'être piégés, mépris de s'abaisser à la communication, ou encore parce que l'essentiel est ailleurs -ce qui n'est pas toujours faux. Malheureusement, aujourd'hui, toute chose qui n'est pas connue n'existe pas, c'est une loi médiatique terrible mais réelle. Une phrase du concile Vatican II dit que la vérité doit rayonner par la force de la vérité elle-même. Cela reste vrai, mais ce rayonnement ne suffit plus s'il est recouvert. Les gens sont gavés de doctrines contraires, notamment par la télévision, et la vérité est noyée dans le brouillard.

Il faut donc courage et formation -pour parler il faut avoir des choses à dire- pour que les chrétiens se posent en acteur de notre société.

Outre la formation, vous déplorez que les jeunes catholiques s'engagent massivement dans des «métiers muets» au détriment des «métiers qui parlent». Pourquoi cette dépossession de transmission?

Elle n'est pas volontaire. Mais c'est assez étonnant: les catholiques ont le sens très vif de ce qui doit être transmis. Pourtant, proportionnellement, peu s'y engagent. La plupart font des écoles de commerce ou d'ingénieurs, alors que de très nombreux jeunes bobos athées et postmodernes embrassent les métiers de transmission, ils seront les agrégés de philosophie, les politiques ou les journalistes de demain. Ainsi, à égalité de talents et d'études supérieures, les jeunes catholiques font le choix de l'argent. Par prestige social, nécessité pour ceux qui désirent une famille nombreuse… Les métiers de transmission sont moins attractifs car méprisés et peu rémunérateurs. Tous n'ont certes pas à devenir professeurs mais un certain nombre est nécessaire. Au moins quelques-uns!

Nos jeunes grandissent avec la nouvelle évangélisation. Mais s'ils ne disent rien, ils n'évangélisent personne. Il ne s'agit pas seulement de témoigner mais aussi de transmettre. On ne dit pas assez à ces jeunes l'importance des métiers de transmission. Certains s'imaginent qu'une réserve est prête à se lever pour faire le travail. Il n'y en a pas. Je crois beaucoup en cette loi: «Tout peut être fait s'il y a des gens pour le faire». Si des courageux s'engagent, les choses avancent. Au fond, j'essaie de déclencher un déclic de cohérence: vous voulez transmettre? Transmettez! 

Les chrétiens se méfient souvent de l'ambition politique. Est-ce un tort?

Certains craignent de se salir les mains. S'il y a des compromissions à faire sur la morale, Dieu ou l'homme, il faut effectivement s'y opposer. On peut toujours dire non.

Il peut aussi s'agir de pusillanimité: on n'ose pas avoir de grands projets et on se contente de petits. Si des jeunes, qui ont fait de brillantes études et se destinent à une prestigieuse carrière, se cantonnent à leur paroisse, c'est dommage. Leur ambition elle-même n'est pas assez christianisée et manque de magnanimité, cette vertu qui consiste à faire de grandes choses. C'en est assez du misérabilisme des projets chrétiens! On veut aussi du grand! […]"

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