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L'Eglise : Vie de l'Eglise

Pâques et la miséricorde divine

Homélie de ce jour de Dom Coureau, père abbé de l'abbaye bénédictine de Triors :

"Avec fierté et émotion, la Mère Église nous livre le récit des premiers témoins du tombeau vide, de l'annonce de l'ange avant que le Ressuscité apparaisse enfin à eux : à sa sainte Mère sans aucun doute en tout premier lieu ; puis aux femmes mises à l'honneur dans l'évangile de ce matin, au premier rang desquelles il faut placer Marie-Madeleine ; à Pierre, puis aux disciples tout au long de ce Grand premier jour de la semaine (Mc. 16,2). Huit jours plus tard, il revînt encore pour aider Thomas à rejoindre docilement la foi en la résurrection, puis peu après il se fit voir sur le lac de Tibériade, pour s'en tenir aux apparitions décrites par l'évangile qui ne se veut pas exhaustif (Cf. Jn. 20,30 ; 21,25 & I Cor. 1,3-8).

L'étonnement des premiers témoins devant le tombeau vide nous étonne nous-mêmes, tant notre foi est enracinée sur ce pivot central. Mais chez ceux qui avaient suivi Jésus trois ans durant, le désarroi fut si grand après le drame du Vendredi qu'au petit matin de Pâque leur âme était tout engourdie et comme anesthésiée, leur confiance gisait dans un lourd sommeil. La résurrection ne s'imposa à eux qu'avec lenteur, alors qu'elle fait corps pour nous avec toute la Révélation. Jésus s'employa à leur ouvrir les Écritures sur la route d'Émmaüs, puis devant les apôtres (Luc 24,13 à 43). au matin de Pentecôte, l'événement inattendu devînt alors certitude crue de foi divine (et avec quel feu) au matin de Pentecôte, intégrée alors chez les apôtres, bien mieux que nous ne saurions le comprendre, dans le plan d'ensemble de la Révélation divine. Au sortir du Cénacle, psaumes et Prophètes furent cités en toute cohérence par Pierre (Act. 2,14-36. Cf. 3,12-26). Dieu est amour, dira S. Jean pour résumer la relecture de l'Écriture par Jésus. Les psaumes de la liturgie du Temple vantaient à satiété l'amour de Yahvé pour le peuple élu, rattachant la geste divine de la première Pâque avec la création elle-même, car sa miséricorde est à jamais (Ps. 135 ; Cf. 2 Chron. 7,4-6). À la sainte Cène d'ailleurs, le Hallel fut chanté, ce psaume pascal qui répète cinq fois avec solennité le verset, car éternel est son amour – quoniam in saeculum misericordia ejus (Ps. 117, 1-4 & 29).

Ce verset fut chanté ici même tout à l'heure, dans une mélodie somptueuse, avant l'évangile : Voici le jour que le Seigneur a fait, passons-le dans la joie et l'allégresse. Louez le Seigneur, car Il est bon, car éternel est son amour (Ps. 117,24 & 1). Amour et miséricorde sont ici synonymes, puisque Dieu qui est amour s'est abaissé jusqu'à notre misère. C'est bien là le secret de l'amour authentique. Pour que l'amour soit pleinement satisfait, il faut qu'il s'abaisse, qu'il s'abaisse jusqu'au néant et qu'il transforme en feu ce néant. La sainte de Lisieux qui écrivait cela (Ms B 3v° in fine ; Cf. Ms A 2v° & 3 r° ; P.O. 1269), a compris la profondeur de l'amour que nous révèle Pâques ; la Bible était pour elle un livre ouvert comme au matin de Pentecôte. L'amour arrache tout ce qui le contredit, il est l'antagonisme parfait de l'égoïsme qui s'y oppose. Trop sûre de ses connaissances techniques, l'humanité actuelle risque de perdre son ouverture à la transcendance, aussi se trouve-t-elle handicapée de l'amour dont elle a la nostalgie tenace. Seul le message pascal peut lui rendre l'aptitude à aimer : Pâques, c'est Dieu se penchant vers nous par l'incarnation rédemptrice, ou pour dire plus simple, par Noël et Pâques. Alors tout change pour l'homme face à Dieu, puis dans sa relation aux autres : Aimer, c'est donner sans mesure ; aimer, c'est tout donner et se donner soi-même, dit encore la petite Thérèse, un peu comme l'ange de Pâques invitant à regarder de plus près le mystère de ce jour.

Avant elle et évidement bien mieux qu'elle, Jésus nous l'a dit, prouvant ce message par sa vie toute donnée. S. Paul s'en fait l'écho en évoquant sa libéralité qui, de riche qu'il était l'a poussé à se faire pauvre pour nous afin de nous enrichir de sa pauvreté (2 Cor. 8,9). Ailleurs il voit en lui Dieu ne retenant pas jalousement sa prérogative confortable ; mais pour nous arracher à l'égoïsme et à l'orgueil, ces ennemis invisibles tapis dans notre cœur, il s'est abaissé vers nous, humilié dans la condition humaine jusqu'à mourir de la plus injurieuse des morts, celle de la croix, et c'est pour cela, poursuit-il avec un accent de triomphe qui montre qu'il tient là le secret de la victoire pascale, c'est pour cela même que Dieu l'a glorifié, en lui donnant le Nom au dessus de tout nom autour duquel s'organise désormais le vrai culte à la gloire de Dieu (Phil. 2,6-11).

La miséricorde dont nous bénéficions à Pâques permet désormais de louer Dieu comme Il le mérite, enrichissant au surplus de façon radicale nos rapports fraternels qui construisent la société elle-même. Dieu riche en miséricorde (Eph. 2,4) donne l'énergie intime pour l'imiter, ce en quoi S. Thomas remarque avec de riches nuances que la miséricorde est alors en nous la plus grande des vertus puisqu'elle permet d'imiter Dieu, selon le mot de l'évangile (IIa-IIae, Qu. 30, a. 4 ; Cf. Luc 6,36). La miséricorde a fait l'histoire chrétienne, depuis les apôtres jusqu'aux Pères de l'Église, depuis les martyrs jusqu'au beau Moyen Âge. La piété s'est ouverte alors à une tendresse plus marquée à l'égard du Sacré-Cœur, source de la tendresse divine descendue jusqu'à nous. Sainte Gertrude au XIII° s. ouvrit la route au message de Paray le Monial et à celui de Sainte Faustine ; et par cette dernière, la Providence s'est prodiguée, s'est penchée sur le XX° s. et ses ruines terribles.

Dans huit jours deux papes du XX° s. seront canonisés, dont la mort est liée au message pascal de la miséricorde ; Jean XXIII, mort aux alentours de la Pentecôte, a ouvert le Concile ; Jean-Paul II, qui l'a mis en œuvre, est mort en ouvrant le dimanche de la Miséricorde. Après S. Pie X à l'orée du siècle, le Concile prêche la miséricorde divine de Pâques ; il l'offre à ce monde meurtrier et malheureux pour s'en être éloigné, il l'invite à la faire passer dans ses mœurs. Ma fille, dis que je suis l'Amour et la Miséricorde. Cette parole fut citée par Jean Paul II en canonisant Sainte Faustine Kowalska, et il poursuivait : La miséricorde n'est-elle pas le second nom de l'amour, saisi dans son aspect le plus profond et le plus tendre, dans son aptitude à se charger de chaque besoin, en particulier dans son immense capacité de pardon ? (30 avril 2000 n°2). Puis il citait la parole de Jésus : L'humanité n'aura de paix que lorsqu'elle s'adressera avec confiance à la Divine Miséricorde.

Dom Guéranger a eu l'art de lire le Moyen Âge dans le sillage des Pères anciens. À Pâques, les rois chrétiens exerçaient le pardon dans leurs tribunaux et hâtaient les peines des prisonniers, en ces temps où la récidive était évité par l'impact social sur les consciences. Dans son Année Liturgique, il cite ce texte médiéval de l’Église d'Espagne qui résume la victoire pascale : Il est digne et juste que nous vous rendions grâces à jamais, Seigneur Jésus-Christ, qui régnez dans une même divinité avec le Père et le Saint-Esprit : vous nous avez créés avec un pouvoir si admirable, avant de nous racheter avec une si ample miséricorde. Créateur, ce labeur ne vous a pas fatigué : Rédempteur, la souffrance ne vous a pas anéanti. En ce jour pétillant de Pâques, vos amis accablés par la Passion tressaillent de joie. Marie-Madeleine apprend, par la remarque de l'Ange, à ne plus chercher parmi les morts celui qui est vivant. Pierre court avec Jean au sépulcre et reconnaît dans les linceuls les traces récentes du Maître ressuscité. Ce qui fut prophétisé du Fils de l'homme est accompli : livré pour nous aux mains des pécheurs, crucifié et mis à mort, pénétrant les enfers en vengeur redouté ; renversant les superbes et exaltant les humbles dans son immense miséricorde : voilà, il ressuscite d'entre les morts par un triomphe ineffable, et il règne enfin avec le Père et le Saint-Esprit, étendant sur tous les êtres sa domination toute-puissante et si douce (T.P. I p. 276, Illatio wisigothique). La joie de l’Église est ici un décalque de celle de Notre Dame, Regina caeli laetare, amen alleluia.

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