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L'Eglise : Foi / L'Eglise : Vie de l'Eglise

N’ayons pas l’âme citadine, celle qui préfère l’efficacité à la pertinence, le progrès à l’enracinement

Voici le sermon prononcé par le chanoine Alban Denis dimanche dernier en la basilique de Saint Laurent-sur-Sèvre à l'occasion de la 27ème université d'été de Renaissance Catholique sur le thème de la Révolution Silencieuse (version enregistrée à la fin de ce post).

62eXFbQp_400x400Frères très aimés,

Chers amis universitaires,

Chers amis des larmes et du fouet,

du silence intérieur et de l’action missionnaire !

Qu’il est bon mes frères de se retrouver ensemble – malgré l’heure matinale – dans cette basilique placée sous le patronage de Saint Louis-Marie Grignion de Montfort, l’apôtre breton du Grand Ouest et le compagnon chantant de Notre-Dame. Oui, cela est bon. Bon, parce que c’est Dimanche. Bon, parce qu’il s’agit du 1erjour de la semaine, le jour du Seigneur. Son jour à Lui.

Quelle grâce aussi, à l’aube de notre 27èmeuniversité d’été, de prier ici en Vendée. Ah… « la Vendée » chers amis. S’il vous plaît, ne me dites pas que vous avez pas le cœur habitué ! S’il vous plaît, dîtes-moi que vous sentez, tout comme je le sens, la puissance évocatrice de ces trois syllabes.

Attention, je n’ai pas dit « la charge émotionnelle » de ces trois syllabes. Une « charge » a pour vocation de dynamiter, ou de faire sentir son poids. Et ce sont là, entre nous soit dit, les fruits amers et fréquents du sentimentalisme. Au contraire, loin de nous écraser, l’histoire tragique de la Vendée nous rappelle non seulement que des géants nous précèdent, mais encore que « rien n’est plus invincible qu’un sentiment généreux dans le cœur de l’homme » [1]. Cette terre de martyrs nous invite à sortir de nous-mêmes et à nous mettre à leur suite, comme pour attester à ces héros anonymes que leur sacrifice n’a pas été vain. Et prions fort mes frères, pour que ce soit véritablement notre état d’esprit au sortir de cette université.

Après la bonté  et la grâce,quel bonheur enfin ! Oui chers amis, quel bonheur d’être en vacances. De nous extraire de nos obligations quotidiennes. De goûter l’air de la vie. Quel bonheur, entendez-bien, de ne pas presser le pas pour aller plus vite et « gagner du temps ». Car pour gagner quoi au juste ? La dictature de l’optimisation à tout crin, bien au contraire de nous faire gagner quoique ce soit, nous fait souvent perdre le sens du réel, pour ne pas dire celui de l’essentiel. C’est-à-dire le sens de Dieu. La sainteté n’est pas affaire de calculs de fonctionnaire. Pour avancer dans la vie spirituelle vous le savez, plus que de gagner du temps, il s’agit de savoir le prendre, et même parfois d’accepter d’en perdre.

Unknown-14Chers amis, n’ayons pas l’âme citadine, celle qui préfère l’efficacité à la pertinence, le progrès à l’enracinement. « Toute sagesse commence dans l’émerveillement » notait Socrate. Avancer tête baissée pour réussir au lieu d’ouvrir les yeux pour découvrir, voilà le danger qui guette l’homme de ce siècle. A nous de prendre le temps durant nos vacances de contempler la beauté du monde qui nous entoure. De retirer, des joies qui jalonnent notre existence, et des peines aussi, tous les trésors de vie qui y résident.Gagner du temps reste probablement le plus subtil des artifices pour tenter de lui échapper et de fuir les réalités qui lui sont attachées. Le grand drame de l’empressement, c’est de nous contraindre à ne pas considérer ce à côté de quoi l’on passe. Et cette négligence a valeur de poison pour l’âme.

Alors oui, quel bonheur de partager ensemble cette petite parenthèse de chrétienté ! De savourer les conférences qui nous sont offertes, de nous imprégner des vérités qui s’en dégagent. Et, parce que cela n’est pas interdit, quel bonheur grâce à la pédagogie de ceux qui nous instruisent de nous sentir quelques instants intelligents. (Ou moins bête qu’à l’accoutumé – c’est une question de point de vue je vous l’accorde !).

Mais surtout, il faut nous arrêter là-dessus, quelle délicatesse. Oui mes frères, quelle délicatesse de la part de la Sainte Liturgie de nous transporter aux portes de Jérusalem. Quelle délicatesse de l’Eglise en ce petit matin de juillet de nous offrir les textes de ce 9èmedimanche après la Pentecôte qui sont en mesure, me semble-t-il, d’apporter un éclairage au thème de notre université : « La révolution silencieuse ».

 Replantons le décor. Un décor grave mes frères. Notre Seigneur s’approche de Jérusalem. Saville. Sa ville qu’il aime tant. La foule a beau crié, des palmes à la main : « Hosanna Fils de David », « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! » (Lc 19, 38)… Il sait Lui, Il sait que le triomphe des Rameaux n’est que le négatif photographique de cette même foule qui l’insultera et lui crachera au visage sur le chemin du Calvaire à l’heure du Vendredi Saint. Et dans cette masse humaine, quelques Pharisiens maugréent et l’enjoignent de faire taire toutes ces personnes qui l’acclament comme un Dieu… « En vérité, en vérité je vous le dis, si ceux-ci se taisent, les pierres crieront. » (Lc 19, 40) Quelle puissance dans cette réponse du Divin Maître ! « Les pierres crieront ! »

Mais attendez ! Attendez, ce n’est pas fini. Ce qui est tout à fait saisissant, et c’est là où je veux en venir, c’est l’attitude du Christ lorsqu’il aperçoit au loin la façade ouest du temple de Jérusalem, majestueuse ! Malgré la clameur de la foule, Notre Seigneur habité d’un silence intérieur CONTEMPLE la cité sainte. IL PREND LE TEMPS de contempler Jérusalem.

Dom Delatte dans son commentaire débordant de Sagesse sur la Règle de Saint Benoît nous avertit : « S’il y a trop de bruits dans l’âme, quelque chose qui ressemble à une dispersion de l’attention, la voix de Dieu, ordinairement « douce comme un souffle de bise » (III Re 19, 12) n’est pas entendue. Il faut écouter ajoute-t-il. Prêter l’oreille ne serait pas assez. Saint Benoît nous invite très joliment à « incliner l’oreille de notre cœur »[2].

Ah mes frères ! Il me plaît d’imaginer notre Bon Seigneur à cet instant même qui a dû magnifiquement incliner l’oreille de son Cœur vers son Père. Et de ce dialogue silencieux, intense, profond, poignant et mystérieux va naître des larmes. Il pleure sur sa ville. Cependant les larmes du Fils de Dieu ne sont pas « tétanisantes » et submergées d’émotion, non ! Elles sont, comme toujours chez lui, compatissantes et principes d’action.

Voyez-vous pour une très large partie aujourd’hui, le BRUIT représente un univers dont ils ne savent se défaire. A l’inverse, l’âme de tout apostolat fécond se nourrit du silence. Pour nos contemporains, le passage du vacarme au silence s’apparente bien souvent à un dépaysement quand le passage de la contemplation à l’action missionnaire relève pour le chrétien d’un esprit de conquête.

Dépaysement / Esprit de conquête : nous sommes dans une posture d’âme bien différente.

L’homme moderne est angoissé par le SILENCE. Le disciple du Christ y puise de l’énergie pour mener droitement son combat afin de gagner son Ciel. Le chrétien contemple pour transmettre. Les démons hurlent pour nous réduire au silence. Le bruit nous rend barbare. / Le silence nous élève.

Ah chers amis, comme Pascal avait vu juste en affirmant que « tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne pas savoir demeurer en repos dans une chambre [3] ». Rien ne vaut en effet de passer un bon moment avec soi-même à parcourir les rayonnages de sa bibliothèque intérieur en tenant la main de Dieu.

Or depuis 50 ans, depuis 50 ans mes frères, à quel grand vacarme assistons-nous pour mieux nous endormir !

Si l’on peut définir l’Histoire comme la somme des tragédies qui auraient pu être évitées, au bout d’un demi-siècle l’Histoire est en mesure de livrer ses leçons sur les acteurs de Mai 68. Leçons parfois impitoyables. Souvent pleines d’ironie. Car en fin de compte que reste-t-il de leurs promesses ? Le monde qu’ils avaient souhaité sans barrière réclame aujourd’hui davantage de frontières. Leur rêve d’univers sans classe avait pour modèle Mao Zedong dont ils portaient l’effigie en larges pancartes avant que la vérité historique révèle qu’il est l’homme aux 80 millions de morts, le dictateur le plus sanguinaire de l’Histoire vous le savez. La jouissance sans entrave année après année se heurte dans nos sociétés modernes à une réalité statistique de suicides et de dépressions inconnue jusqu’alors. En réalité, ils voulaient davantage défaire le monde ancien qu’en construire un nouveau.

Alors que la pensée moderne, de Descartes au XVIIIème siècle, se proposait de reléguer Dieu à la sphère privée, le monde post-moderne, celui dans lequel nous vivons chers amis, a pour ambition d’arracher aux hommes le désir même de Dieu ! « Le vacarme » A faire en sorte comme l’explique très bien Saint Paul dans l’épitre de ce jour : « Que le peuple s’assoit pour manger et pour boire, puis qu’il se lève pour se divertir » (I Co 10, 7)

Et Bernanos d’insister, vous connaissez la citation :

« On ne comprend absolument rien à la civilisation d’aujourd’hui si l’on n’admet pas d’abord qu’elle est une conspiration universelle contre toute espèce de vie intérieure. [4] »

Ce qui a déclenché la grande civilisation chrétienne, avec toutes ces œuvres de charité extraordinaires, c'est la contemplation de quelques grands saints qui les ont inspirées comme saint Bernard, saint Vincent de Paul, notre bon Saint Louis-Marie et tant d’autres. La vie secrète qui se nourrit de contemplation, de prière mes frères, a son rayonnement jusque dans l'action, jusque dans l'action apostolique… et jusque dans l'action temporelle. La vie intérieure n'est donc pas un abri, ou un refuge, mais pour reprendre la formule plaisante de Dom Gérard, elle est plutôt une « rampe de lancement ». Et c’est justement cette vie intérieure ineffable du Verbe Incarné qui Le pousse à s’armer d’un fouet et à entrer dans le Temple pour en chasser ses profanateurs. A ce propos, Léon Bloy fait très bien d’interroger :

« Que penseriez-vous de la charité d’un homme qui laisserait empoisonner ses frères, de peur de ruiner, en les avertissant, la considération de l’empoisonneur ? [5] »

Alors oui mes frères, si nous savons faire silence et ployer les genoux, nous aussi nous avons le droit à nos « Saintes Colères » [6].

Colère lucide parce que depuis 50 ans le Grand Printempsque l’on nous avait promis se fait attendre… (et je vous laisse imaginer du reste si l’on nous avait annoncé l’hiver…).

Sainte colère, parce que notre colère, comme celle de Notre Bon Seigneur chassant les marchands du Temple, est liée à l’espoir. Sainte colère parce que « si les choses vont certainement plus mal qu’on ne le croit, elles peuvent aussi aller mieux qu’on ne l’espère. [7] »

A nous donc d’écarquiller nos yeux, d’ouvrir nos intelligences, d’être des assoiffés du Ciel.

« On ne comprend rien si l’on ne cherche pas à comprendre tout [8] » enseignait Jacqueline de Romilly.

C’est pourquoi : il nous appartient, si nous persévérons à devenir des âmes intérieures, à tirer de notre vie quotidienne ces je ne sais quoi d’éclat et de sublime. Tout cela nous est possible. Possible, pourvu que notre que l’on regarde avec son cœur, et que notre cœur soit lumineux ! Les regards noirs et les idées sombres font malheureusement obstacles à notre appétit de lumière. Alors, à nous de lutter contre les uns et les autres afin d’être en mesure, soutenu par la grâce, de contempler un jour les richesses de Dieu.

C’est ce que je nous souhaite à tous,      Ainsi soit-il !

[1]Maître Tixier-Vignancourt, fin de la plaidoirie au procès du Général Salan.

[2]Commentaire sur la Règle de Saint Benoît, Dom Delatte p. 2-3

[3]Pensées, Blaise Pascal, éd. Gallimard (édition de Michel Le Guern), coll. « Folio classique », 1977, fragment 126, p. 118

[4]Georges Bernanos, La France contre les robots (1947), éd. Le Castor astral, coll. « Galaxie », 2017, p. 83

[5]Léon Bloy, Le désespéré, éd. Underbahn Ltd, 2005, p. 277

[6]Cf. l’essai de Michel de Saint Pierre « Sainte Colère », 1965

[7]Formule de Mathieu Bock-Côté prononcée en conclusion de son intervention sur le multiculturalisme lors de la soirée des Eveilleurs d’espérancele 15/12/2017

[8]Ce que je crois, éd. Le livre de poche, 2012, p. 33

Ecouter l'homélie du 9e dimanche après la Pentecôte

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