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L'Eglise : Vie de l'Eglise

Mgr Müller “dans le collimateur des machinations et des mensonges de ceux qui abusent du concept de réforme de l’Église en faveur de leur programme anti-catholique.”

Mgr Müller “dans le collimateur des machinations et des mensonges de ceux qui abusent du concept de réforme de l’Église en faveur de leur programme anti-catholique.”

Entretien avec le cardinal Müller, 26 août 2022

Avec l’aimable autorisation de la Correspondance Una Voce, kath.net publie cette interview initialement parue dans Una Voce. (Traduction d’une religieuse pour Le Salon beige)

Martin Lohmann : Éminence, on rapporte qu’au cours des derniers mois, vous avez accepté l’invitation de deux communautés de droit pontifical à effectuer des ordinations dans le rite traditionnel. Vous étiez à l’abbaye bénédictine du Barroux dans le midi de la France et à l’Institut du Bon Pasteur près de Chartres. Était-ce votre première expérience de l’ancienne liturgie en tant que célébrant ?

Cardinal Gerhard Müller : J’ai accepté l’invitation à conférer les ordinations, non pas à cause de la liturgie dite ancienne, mais à cause du mandat du Christ aux apôtres et à leurs successeurs d’établir des évêques, des prêtres et des diacres comme ministres de l’Église. Au sujet de la mission et de l’autorité des évêques dans la succession apostolique, nous pouvons tous relire [les assertions qui figurent] déjà dans la première lettre de saint Clément, 42-44, ou dans Hippolyte de Rome, Tradition Apostolique 2 ; 7 ; 8.

Mais c’était aussi la première fois que je célébrais la liturgie dans la forme universellement utilisée dans l’Église latine jusqu’en 1967, qui a été établie par Benoît XVI comme rite extraordinaire et peut encore aujourd’hui être valablement et licitement célébrée sous certaines conditions. Je ne suis donc pas passé dans un quelconque camp liturgique, car je refuse, en tant que catholique, évêque et théologien, une logique partisane, laquelle est d’entrée de jeu absolument anti-catholique.

Je ratifie avec une pleine conviction les principes de la « Liturgie renouvelée » selon les normes données par la Constitution liturgique de Vatican II, avant tout la participation pleine, consciente, active et pieuse de tous les fidèles au culte de Dieu et à la médiation de la grâce, selon « Sacrosanctum Concilium » 2, 14. Mais même François, malgré la restriction de la célébration de la sainte messe selon le rite antérieur, a pointé les abus dévastateurs de ceux qui transforment la Divine Liturgie en divertissement fantaisiste et en autoportrait.

Lohmann : Le pape Benoît XVI avait, par son motu proprio « Summorum Pontificum » du 7 juillet 2007, clairement fait voir qu’il ne pouvait y avoir de conflit entre les liturgies. Et, en tant que bâtisseur de ponts, il avait clairement fait voir que la liturgie dite ancienne devait être tout aussi normale que la nouvelle liturgie, célébrée dignement. Les deux ordinations que vous venez d’accomplir ont eu lieu après que François eut publié le motu proprio « Traditionis Custodes ». Pour le dire poliment, celui-ci entretient bien une certaine tension par rapport à « Summorum pontificum ». Qu’est-ce que cela signifie pour vous en tant que célébrant ? Et : Comment faut-il interpréter authentiquement « Traditionis custodes » ? Les deux ne sont guère possibles ensemble. Dans notre entretien en vue du livre « La vérité, l’ADN de l’Église » de 2020, vous avez honoré la sagesse du pape Benoît ainsi que sa capacité d’être un bâtisseur de ponts particulièrement dans ces questions tellement essentielles.

Cardinal Müller : Avec son puissant jugement théologique et sa formation humaniste complète, le pape Benoît a fait la sage distinction entre le rite ordinaire et le rite extraordinaire. Il a ainsi sauvé pour le présent toute la richesse spirituelle et la profondeur de l’histoire liturgique latine. Par contre, chaque fois que l’on se laisse guider par des préjugés et des ressentiments, des décisions sont prises qui ont des conséquences négatives pour la communauté ecclésiale, son unité et le service de la foi. La forme liturgique extérieure – au-delà de la forme et de la matière immuables remontant au Christ et aux Apôtres – est modifiable, et elle s’est acquis une riche expression culturelle dans les nombreux rites légitimes de l’unique Église catholique (« Sacrosanctum Concilium » 2). Je pense que les conseillers qui ont poussé le pape François à [publier] « Traditionis Custodes » étaient davantage guidés par un fanatisme idéologique que par une vision plus profonde de la doctrine catholique des sacrements et de la théologie dogmatique catholique en général. [L’argument d’un] lien entre la préférence pour l’ancienne forme de la liturgie, préférence manifestée par un groupe important de catholiques – en particulier des jeunes – et un rejet de Vatican II, n’est pas crédible. En effet, à Rome, du côté des responsables, on laisse subsister les hérésies du chemin synodal allemand [tracé par] les fonctionnaires laïcs et des évêques, hérésies qui contredisent diamétralement, dans son ensemble et dans le détail, l’enseignement de Vatican II sur la sacramentalité de l’Église, le sacerdoce, le mariage et la morale sexuelle.

Ici, on voit davantage la paille dans l’œil du frère, et on ne remarque pas la poutre dans son propre œil. En cette heure dramatique de l’Église universelle, mon conseil serait de se soucier de l’essentiel de la foi et de ne pas se disperser dans des questions d’ordres variables. Et de créer la réconciliation au lieu de susciter encore et encore de nouveaux troubles. Car « l’évêque de Rome, en tant que successeur de Pierre, est le principe et le fondement permanent et visible de l’unité de la multitude des évêques et des croyants » (« Lumen Gentium » 18, 23).

Lohmann : Il est vrai que vous avez clairement critiqué « Traditionis Custodes », très rapidement après sa publication. Vous êtes considéré, si l’on peut dire, davantage comme un homme de la raison, comme un « penseur à froid » et moins comme un homme « d’émotions ». Puis-je vous demander si, après avoir célébré cette liturgie, vous comprenez plus facilement pourquoi tant de catholiques sont de tout cœur attachés à cette « forme » de célébration de la messe ? On me rapporte régulièrement que surtout des jeunes trouvent accès à la foi à travers cette liturgie. Ce n’est donc probablement pas une question de nostalgie.

Cardinal Müller : Ce qui importe toujours, c’est l’accord entre la pensée, le sentiment et l’action. L’opposition se trouve plutôt entre une idéologie politisante produite par l’homme, qui conduit à l’intolérance, et la théologie, qui n’est rien d’autre qu’une démarche pour comprendre la foi révélée avec la raison, sans soumettre la foi à notre raison limitée et sans enfermer l’inépuisable mystère de Dieu dans nos catégories selon la devise : Dieu ne peut faire que ce que je peux imaginer. Je célèbre moi-même la liturgie avec conviction sous la nouvelle forme ; mais je comprends aussi que face aux abus absurdes et à l’auto-sécularisation des prêtres dits progressistes, il y a le désir d’une liturgie digne et de prêtres pieux et croyants – spécialement chez les jeunes, qui ne veulent pas appartenir superficiellement à une Église de fonctionnaires, mais dans un profond amour pour le Christ veulent appartenir à l’Église comprise comme Maison de Dieu, Corps du Christ et Temple du Saint-Esprit. La mesure de la liturgie est l’adoration de Dieu, le sacrifice et le don de soi, et non pas la popularité auprès des fidèles comme celle d’une vedette auprès de son public.

Lohmann : Les deux communautés que vous avez visitées étaient à l’origine étroitement liées à Mgr Lefebvre. Pendant le temps où vous étiez évêque de Ratisbonne, vous aviez le séminaire de Zaitzkofen pratiquement à votre porte, et comme préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, vous vous êtes occupé du « dossier ». Les ordinations récentes étaient-elles des contributions à la construction de ponts ? Et après ? Comment les choses peuvent-elles continuer dans une Église qui doit se préoccuper de la confession du Fils de Dieu ressuscité et qui célèbre dans sa liturgie le noyau le plus sacré de son existence ? Dans notre conversation pour le livre, vous avez dit : la liturgie est quelque chose de sacré, la rencontre avec le Dieu saint qui nous fait participer à sa vie. On pourrait dire que toute la vie de l’Église se concentre et culmine ici. Pour l’Église, tout provient de là. D’où ma question : Comment cela peut-il, comment cela doit-il, comment cela devrait-il continuer ? Quelle est l’importance de la construction de ponts liturgiques ?

Cardinal Müller : La séparation d’avec la pleine unité de l’Église des personnes autour de Mgr Lefebvre est enveloppée dans le nuage de la tragédie. L’ordination de quatre évêques sans la permission de Rome et même contre l’interdiction expresse ne peut être acceptée en aucun cas, étant la violation la plus grave possible de l’unité des évêques cum et sub Petro (avec et sous le pape romain). Mais d’autre part, il ne peut être exigé par Rome plus d’obéissance qu’il n’en découle de la vérité de l’évangile et [des exigences] de la communion visible de l’Église. Il ne faut absolument pas que tous se laissent assermenter sur une « nouvelle ligne » lorsqu’il y a un changement de pape. Nous ne sommes pas un parti politique et [notre] vision du monde n’est certainement pas totalitaire.

Ceux qui se revendiquent eux-mêmes comme des progressistes, qui ont lutté avec véhémence contre Jean-Paul II et Benoît XVI jusqu’à mettre hérétiquement en question l’institution divine de la papauté, voient maintenant en François « l’un d’entre nous », comme ils disent. Ce serait maintenant l’occasion de donner à leur fraction le pouvoir exclusif dans l’Église, en contraignant les « traditionalistes » et les « catholiques fondamentalistes » à l’obéissance, avec l’aide de la plénitude de la puissance pontificale rendue absolue, jusqu’au refus des vérités révélées de la foi contenues dans l’Écriture Sainte, [dans] la Tradition apostolique et [dans] les dogmes définis par le Magistère. C’est aussi l’arrière-fond de l’opinion, entièrement non-catholique, que le pape François pourrait introduire des réformes irréversibles du droit purement ecclésiastique. Sont irréversibles uniquement les décisions du Magistère, qui touchent à la foi révélée et à la constitution sacramentelle, de droit divin, de l’Église. L’astuce ici est qu’ils divisent les catholiques selon leur goût en amis et en ennemis du pape. Et ils définisssent, comme dans les états totalitaires, l’appartenance au bon camp, et liquident en toute légitimité les ennemis du système. Mais un chrétien libre n’a pas à se laisser intimider par les puissants de ce monde.

Lohmann : Jusqu’à présent, la critique du Novus Ordo – comme ce journal la pratique depuis des années – a été comprise par la plupart des évêques comme une critique du Magistère. Cependant, la critique de la liturgie préconciliaire n’a jamais été interprétée de cette manière. En tant que théologien, à quoi doit-on faire attention avant tout dans une relecture du problème des réformes liturgiques ?

Cardinal Müller : On ne peut jamais, en tant que catholique, critiquer la substance des sacrements, ou leur forme et matière, instituées directement par le Christ ou indirectement par les apôtres. Par exemple, nous ne pouvons remplacer l’eau dans le baptême ou le pain et le vin dans l’Eucharistie par d’autres signes matériels. Et nous ne pouvons pas transformer les sacrements, qui sont des moyens et des signes de la grâce sanctifiante, en symboles religieux pour une simple édification intérieure subjective. D’autre part, il ne serait pas correct d’absolutiser une forme développée de la liturgie et ses signes interprétatifs, ou, au contraire, de la reconstruire de manière rationaliste à partir du bureau du liturgiste sans tenir compte du développement de sa forme. L’alternative n’est pas ici entre un retour total à l’ancienne liturgie ou une absolutisation du Novus Ordo, qui peut également être modifié dans des éléments liturgiques particuliers. Il faut se méfier aussi bien du rubricisme tout extérieur que d’une manière superficielle [qui s’assimile à] du divertissement.

Lohmann : Vous avez inventé le terme « synodalité allemande ». Qu’est-ce qui s’est mal passé dans l’Église en Allemagne, pour que nous vivions aujourd’hui des situations comme en 1517 : la pré-réforme ! Et quel est le rôle de la liturgie dans ce contexte ? Ce n’est certainement pas un hasard si parmi les personnes attachées à la tradition on ne trouve aucun adepte de la voie dite synodale.

Cardinal Müller : Le parallèle [entre 1517 et maintenant] n’est pas dans le sérieux religieux qui a inspiré les « réformateurs » et également leurs critiques catholiques, mais dans le manque de formation théologique et dans le manque d’un esprit véritablement catholique de l’épiscopat d’alors et d’aujourd’hui. La motivation première des pasteurs de l’Église à cette époque n’était pas la vérité de l’évangile et la détermination de proclamer la parole de Dieu – qu’elle arrange ou non – mais plutôt la préservation de leur bénéfice épiscopal. A cette mentalité mesquine correspond aujourd’hui le désir de bien paraître dans les médias et dans l’opinion publique. Celui qui relativise la Parole de Dieu dans les Saintes Écritures, dans la liturgie et dans l’enseignement de l’Église, et qui fait de ce qu’on appelle la « réalité de la vie » et des thèses pseudo-scientifiques sur le caractère invivable et nocif de l’éthique sexuelle catholique la mesure de son action épiscopale, celui-ci devrait se laisser interroger par l’apôtre Paul qui dit : « Est-ce que je cherche l’approbation des hommes, ou est-ce que je cherche Dieu ? Est-ce que je cherche à plaire aux hommes ? Si je voulais encore plaire aux hommes, je ne serais pas un serviteur du Christ. » (Gal 1, 10)

Lohmann : Beaucoup ne parlent plus du tout de l’Église [catholique] en Allemagne, mais – ce qui est théologiquement erroné – de l’Église Allemande. Cela, disiez-vous, serait ou est un nationalisme hérétique. Vous parlez de provincialisme et de germanisme. On dirait parfois qu’il y a une nouvelle mentalité dominante au sein de l’Église en Allemagne. Est-ce vrai ?

Cardinal Müller : Vous avez raison : on parle à répétition – et même les évêques le font – de l’Église allemande. Pour une oreille théologiquement formée, cela sonne comme une frappe de marteau lors d’une retraite silencieuse. De fait, il serait correct de parler de l’Église catholique – aux États-Unis, en Pologne ou en Allemagne. C’est l’Église, une, universelle et catholique, présente « dans » un pays particulier. Si l’on parle consciemment de « l’Église allemande », alors c’est bien du germanisme. C’est une sorte d’arrogance nationaliste, comme si toute la foi chrétienne, la constitution de l’Église et toute la mission du Christ devaient passer par une germanité métaphysiquement chargée.

Lohmann : Mais ce serait une pure hérésie, n’est-ce pas ? Serait-ce hérétique ?

Cardinal Müller : C’est primaire et hérétique, et c’est aussi totalement provincial. Je trouve effrayant quand précisément les Allemands revendiquent d’une manière ou d’une autre la direction de l’Église universelle tout entière. Par quels [arguments] cela pourrait-il être justifié ? Par les gros porte-monnaies de notre Église en Allemagne ? Tout ce qui cultiverait un complexe de supériorité allemand devrait vraiment être évité. Sinon, ce serait de la plus niaise mesquinerie déguisée en mégalomanie. Nous n’avons pas besoin d’une arrogance allemande. Cela ne sert à rien.

Lohmann : Derrière cela se cache une image insuffisante, une fausse image de l’Église ?

Cardinal Müller : Oui. certes, on ne nie pas que l’Église soit en quelque sorte le sacrement originaire, mais on se comporte tout autrement dans la vie de tous les jours. Pensez aux Journées [des] Catholiques. Ce sont surtout les politiciens de certains partis qui jouent ici un rôle. Il y a un pré-filtrage conforme au courant dominant. Et lorsqu’un ancien président américain déclare lors d’un congrès eccésial que toutes les religions sont égales et que personne ne peut prétendre à la vérité, il reçoit un tonnerre d’applaudissements. Des chrétiens applaudissent à de telles affirmations et ils se relativisent eux-mêmes, ils renient le Christ et la vérité de Dieu révélée par Lui. Qu’on s’imagine : les chrétiens nient que le Christ est le seul médiateur entre Dieu et l’homme. Visiblement, beaucoup même parmi les chrétiens ne savent plus que le Christ ne peut pas être réduit au rôle d’un fondateur de religion parmi beaucoup d’autres, ou d’un homme religieux impressionnant qui a su donner une impulsion.

Lohmann : Vous avez dit un jour que c’était un gigantesque complexe d’infériorité chrétien.

Cardinal Müller : Juste. Et je répète volontiers : Quiconque se réfère au Christ et croit vraiment en lui n’a vraiment aucune raison d’avoir [ce complexe]. En tant que chrétiens, nous ne sommes assurément pas seulement une des parties prenantes d’un conflit politique. En fin de compte, c’est une forme d’autodiminution qui ne rend vraiment pas justice à Jésus-Christ.

Croire en lui, ce n’est pas faire du lobbying pour sa propre communauté, mais [la foi] nous conduit à la pro-existence, à l’être-pour-les-autres. Notre christianisme n’est pas une revendication de supériorité satisfaite, mais un service aux personnes dans leur recherche de la vérité et de la justice, que nous devons à notre foi en Dieu, [foi] que nous devons transmettre. Partout où les droits humains sont blessés, nous devons intervenir en paroles et en actes.

Lohmann : Vous avertissez à répétition du danger d’une perte de foi au sein également de l’Église. Ce danger est-il vraiment grand et est-il concrètement reconnaissable ? Peut-être par une adaptation au monde à trop bon compte ?

Cardinal Müller : Évidemment. La chose la plus importante serait de proclamer la foi et de donner aux gens le pain de l’évangile au lieu des pierres de l’adaptation. La sécularisation et la politisation ne rendent précisément pas plus attractif ‒ pour employer ce terme qui cependant ne convient pas à la réalité ecclésiale. L’Église ne devient pas plus attrayante quand elle dit ce que le monde sait déjà sans cela. Elle est là pour le monde, mais elle n’est pas du monde.

Lohmann : Nous sommes face à un synode sur la synodalité. Bien que ce terme soit sur toutes les lèvres, très peu de catholiques pourront en faire quoi que ce soit. À quoi s’attendre ? N’y a-t-il pas le danger d’un malentendu complet, comme pour beaucoup de termes après Vatican II ? A la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, vous aviez œuvré pour limiter les dégâts.

Cardinal Müller : La synodalité est une abstraction tirée de l’autorité de tout l’épiscopat réuni dans un synode, un concile, afin de délimiter le véritable enseignement révélé par rapport à l’hérésie. Maintenant, nous assistons à une inflation de ce terme [qui devient] un passe-partout pour se confondre avec une idée fausse du « sensus fidei fidelium » (« Lumen gentium » 12). Il ne s’agit pas du renouvellement de l’Église dans le Christ. Mais du remplacement de la vérité qui vient d’en haut, de l’autorité de Dieu qui se révèle, par la sagesse qui vient du peuple, la voix du peuple, l’esprit du peuple au sens romantique du terme – au moyen d’une démocratie guidée, guidée par la direction du synode, qui a déjà infiltré les résultats dans les discussions. Au final, il en sortira ce qui a été mis dedans.

Même si l’on est en contradiction avec la Parole de Dieu, le tout sera rendu inattaquable et irréversible par la référence au Saint-Esprit, référence en soi étrangère au système. Car ici, Jésus n’est plus la Parole du Père, qui s’est révélée définitivement comme la vérité. Il n’est que celui qui a donné une impulsion, il y a bien longtemps, et qui ne pouvait pas dépasser son horizon. Mais aujourd’hui, nous avons une conscience supérieure qui comprend mieux et de façon plus définitive la vérité sur Dieu et sur l’homme, suivant les inspirateurs universitaires des évêques à la manière catholique allemande. Après Jésus, les nouveaux prophètes parmi les professeurs de théologie progressistes, les évêques « prêts à la réforme » et les fonctionnaires du ZdK[1] ouvrent la voie à l’avenir d’une Église de catholiques qui se sont libérés de la tutelle de Dieu, du Christ et du magistère des apôtres, et qui s’admirent et s’adorent eux-même dans la certitude inébranlable et arrogante de l’autonomie de [leur] conscience.

Lohmann : Au cours des derniers mois, d’éminents ex-ecclésiastiques sont passés à l’« Église vieille catholique ». Depuis sa fondation, celle-ci a servi de bassin de rétention pour les prêtres ayant des problèmes de célibat. Un ancien vicaire général semble utiliser le fait de son célibat brisé pour promouvoir son livre de manière très médiatisée. Certains pensent qu’un [ancien] schisme est ici instrumentalisé afin de favoriser une autre scission. Est-ce de ce côté-là qu’on prépare le schisme ? Ou, autrement dit : Avons-nous depuis longtemps un schisme dans les faits, qui n’a plus « qu’à » être officiellement prononcé ?

Cardinal Müller : Une mise en scène médiatique réussie fondée sur la formule « Arrêtez le voleur ». L’art subtil de se styliser soi-même comme victime de [ce qui n’est que] sa propre hypocrisie [vécue pendant] de longues années, cet art apporte des applaudissements tonitruants et de riches profits. Derrière le masque de la réforme se cache bien l’apostasie de la foi catholique [et le rejet] du Dieu Trinité, de sa présence dans le Christ [grâce à] l’Incarnation et de sa médiation [à travers] l’Église et les sacrements. C’est la foi, reçue comme un don de la grâce, que nous avons professée au baptême et si souvent renouvelée dans la liturgie.

Lohmann : Revenons à la liturgie, accomplissement spécifique de l’essence de l’Église : Que conseillez-vous aux personnes, parfois découragées, qui sont attachées à la forme traditionnelle de la messe, et qui, après « Traditionis Custodes », tombent dans des détresses existentielles du point de vue liturgique ? Et que conseillez-vous à ceux des catholiques qui, dans leurs « paroisses Novus Ordo », souffrent de plus en plus des atrocités liturgiques et des caprices synodaux de leurs curés –  ou du moins sous leur surveillance – mais qui, selon « Traditionis Custodes », n’ont aucune perspective d’ouverture de nouveaux lieux où soit célébrée l’ancienne messe ?

Cardinal Müller : Il ne s’agit pas d’une alternative entre l’ancienne et la nouvelle forme de la liturgie du rite romain, mais de la vérité de la foi, de l’adoration de Dieu et de la médiation de la grâce, qui doivent être déterminantes pour les deux formes. Tout croyant a le droit et le devoir de vivre la foi catholique et d’en témoigner. En situation de détresse, il peut et doit signaler à son évêque ou à son curé les hérésies ou les abus dans la liturgie ou les abus du pouvoir spirituel. Il peut aussi aller là où il n’y a pas d’apostasie.

Nous savons que les catholiques pseudo-réformateurs autoproclamés, faute d’arguments, agissent de manière autoritaire et méprisante envers les gens, et que les évêques et leurs agents abusent du pouvoir clérical. Ils se rendent gravement coupables devant Dieu et devant l’Église lorsqu’ils contraignent les prêtres au blasphème et à la tromperie de la bénédiction [des unions] homosexuelles, lorsqu’ils exigent [d’eux] de donner la sainte communion aux non-catholiques, et bien plus encore.

Être objet d’hostilités, c’est le lot de ceux qui tiennent au Christ également là où il ne trouve pas les applaudissements des masses. Celles-ci rugissent aujourd’hui leurs Hosannas et le lendemain leur Crucifige à travers les larges rues. La foule ne s’arrête même pas devant un homme d’Église aussi pieux et cultivé que Benoît XVI. Il n’y a pas d’endroit sûr, comme saint Paul le savait déjà, face aux persécutions de l’extérieur et aux hostilités à l’intérieur de l’Église. Je peux le dire moi-même dans ma position d’évêque et de cardinal, qui depuis vingt ans se trouve dans le collimateur des machinations et des mensonges de ceux qui abusent du concept de réforme de l’Église en faveur de leur programme anti-catholique.

Ceux qui ont besoin de réconfort et ceux qui réconfortent jouent désormais un rôle interchangeable. Devant l’écharde dans la chair du Christ, que l’Apôtre ressent douloureusement également dans sa propre chair à travers toutes les persécutions à cause du Christ, l’Apôtre entend uniquement la réponse de Dieu : « Ma grâce te suffit ; car la force s’accomplit dans la faiblesse. » Je me glorifierai bien plus volontiers de ma faiblesse, afin que la puissance du Christ vienne sur moi. C’est pourquoi j’accepte mon impuissance, toutes les vexations et les détresses, les persécutions et les craintes que j’endure pour le Christ ; car quand je suis faible, c’est alors que je suis fort. (2 Co 12, 9s).

Lohmann : Monsieur le cardinal, merci beaucoup pour cet entretien.

 

Le journaliste MARTIN LOHMANN, né en 1957 à Bonn, a étudié l’histoire, la théologie catholique, la philosophie et les sciences de l’éducation. Il était directeur adjoint de l’association des « Entrepreneurs catholiques » (Cologne), dirigeait la rubrique  « Le chrétien et le monde » de l’hebdomadaire « Rheinischer Merkur », dont il fut à la fin le rédacteur en chef adjoint, et il dirigeait en tant que rédacteur en chef la « Rhein-Zeitung » (Coblence). Plus tard, il fut rédacteur en chef de la chaîne K-TV. Il appartient au « Nouveau cercle des étudiants de Joseph Ratzinger / Pape Benoît XVI ». Il a publié de nombreux livres sur l’Église et la société. En qualité de modérateur, il a animé une centaine de fois l’émission en direct « MünchenerRunde » de la Télévision Bavaroise. Lohmann est entre autres Chevalier pontifical du Saint-Sépulcre de Jérusalem ainsi que Chevalier Marial de la Vierge Noire de Jasna Gora à Czestochowa et membre de la Fraternité romaine Santa Maria dell’Anima. Pendant de nombreuses années, il a dirigé, à titre de président (bénévole), l’association « Droit à la Vie ». Il est le directeur de l’Académie pour la Vie de Bonn.

[1] « Zentralkomitee der deutschen Katholiken » (Comité central des catholiques allemands), organisme laïc, chargé, avec la Conférence des évêques, d’encadrer le Chemin synodal.

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