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France : Société

Loin des yeux, loin du cœur

Réflexion de l'abbé Hyacinthe-Marie Houard :

HJe ne connais plus le visage d’un seul pauvre ». C’est la réponse de Vincent de Paul à la reine Anne d’Autriche qui le félicite du succès de ses œuvres de charité.
Belle réflexion sur l’illusion des moyens réputés faciliter les relations entre les hommes. Ainsi a-t-on cédé partout et dans tous les domaines à une sorte de frénésie de l’organisation, pensant gagner en efficacité et surtout  en rentabilité. Ce que la générosité des uns ou la foi chrétienne des autres laissait aux initiatives personnelles, persuadés de faire mieux les pouvoirs publics s’en sont emparés peu à peu. Ils en ont fait des machines qui remplacent les volontaires par des mercenaires. Les dimensions de ces « engins » sont telles qu’elles les paralysent et allongent leur temps de réponse aux besoins du terrain.

Il faut voir un signe de cette coûteuse paralysie dans la multiplication des ONG (organisations non gouvernementales), capables de pallier les insuffisances des «machines» officielles. Ces ONG sont comme un retour à la case départ. Mais trop souvent, hélas, elles sont elles-mêmes gagnées par le virus de la croissance. Alors leur «appareil» grandit et ne tarde pas à s’interposer à son tour entre la requête qui leur est adressée et la réponse qu’elles peuvent donner. Formulaires, dossiers, enquêtes, commissions et statistiques se succèdent : le demandeur a le temps de renoncer à sa requête avant d’avoir satisfaction. On répétait naguère « small is beautyfull », on avait raison. La sclérose qui gagne tout organisme qui grandit tendrait à le prouver.

Peut-on expliquer ce phénomène  alors que ses conséquences sont connues ? Il semble que ce soit la distance qui s’établit  progressivement entre le sujet et son objet, une distance qui engendre la méfiance et fait oublier les visages.

S’agissant d’une personne, on dit qu’à la mesure où elle s’élève dans la hiérarchie, elle atteint son niveau d’incompétence : c’est le principe de Peter. De même, en grandissant une organisation risque-t-elle d’atteindre son niveau d’impuissance. On a moins de cœur à l’ouvrage car on ne sait plus pour qui l’on fait ce que l’on fait. Le chef d’atelier qui réussit à la faveur des relations qu’il entretient avec ses collaborateurs, risque d’échouer quand il devra faire appel à des intermédiaires. On peut sans doute en tirer une règle générale : quand le lien interpersonnel se détend, la méfiance s’installe et les précautions s’imposent, allongeant inévitablement le temps de réaction.

N’allons pas imaginer que les nouvelles techniques d’information et de communication puissent  porter remède à cette situation. Elles l’aggravent plutôt car elles placent le sujet et l’objet dans une trompeuse et même pernicieuse proximité virtuelle."

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8 commentaires

  1. Oui !! et bien souvent, meme dans les ONG “chrétiennes”, la philantropie et le vocabulaire humanitaire ont remplacé la charité .
    Notre existence ne se limite pas à ici bas .

  2. Pour travailler dans le domaine des rapports entreprises-ONG, je ne suis tout de même pas d’accord. La professionnalisation du secteur associatif permet non seulement un gain d’efficacité mais aussi de sortir de clivages idéologiques sclérosants, malheureusement très présents chez les kto. On a un peu progressé et un certain nombre d’asso commencent à se rendre compte que les entreprises ne sont pas le diable.
    Les personnes fragiles attendent surtout qu’on les traite comme des personnes normales et de pouvoir s’insérer dans la société. Pas une approche misérabiliste qui les enferme sous couvert de charité.
    La charité n’est pas antinomique avec l’organisation et le professionnalisme, loin de là. Après, je rappelle que la dimension affective de la charité peut s’exercer pleinement pour ceux qui ont besoin d’un contact plus personnel avec les personnes handicapées (c’est la grande force de l’Arche: faire vivre ensemble des perosnnes handicapés et leurs assistants comme dans une famille), les malades à l’hôpital ou les enfants. Pdc

  3. Quelle est la source de ce beau texte?
    [L’abbé Houard pour le SB. MJ]

  4. Il faut tenir les deux bouts de la corde ; saint Louis recevait des pauvres à sa table, et il créait aussi des institutions plus “modernes”, comme les Quinze-Vingt.

  5. Soyons francs : la différence entre l’époque de Saint Vincent de Paul et l’actuelle réside dans le fait qu’à l’époque du grand saint, nous étions en Monarchie, et que la Monarchie, régime du long terme et de la continuité, laissait toute sa place à la Chrétienté, la France royale ayant à sa tête un Roi Très-chrétien, alors que la république est un régime anti-chrétien et laïciste. La révolution française a détruit tout ce qu’elle pouvait comme couvents, lesquels s’occupaient des pauvres et des orphelins. C’est la laïcité qui s’occupe désormais des pauvres, et l’on voit ce que cela donne : un échec total !

  6. L’abbé Houard commente magnifiquement les avantages que présente la subsidiarité et la perversité de son omission. Bravo et merci. ” Tenir les deux bouts de la chaîne ” ne me semble pas l’expression qui correspond à la réalité. Elle pourrait faire croire que l’organisation idoine résulte du mélange de deux principes opposés. Au contraire, rien n’empêche une progressivité dans la subsidiarité. C’est même très exactement ce que ce mot recouvre.

  7. Un texte juste, mais surprenant de la part de l’Abbé Houard, fondateur de l’IRCOM, puisque ce même IRCOM est le seul établissement à proposer un Master en humanitaire, destiné à gérer ces fameuses organisations qu’il critique…
    Ses critiques me font penser, en outre, à certaines autres organisation, comme l’Eglise de France ou l’enseignement dit catholique, qui sont englués dans des organisations qui verrouillent la liberté de leurs membres.

  8. Bravo pour la clairvoyance de l’Abbé Houard. Que Dieu lui prête longue vie, afin qu’il écrive et parle encore longtemps.

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