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France : L'Islam en France

« L’islam peut-il être tolérant ? ». Le courage de Me Malka n’est pas le gage d’une complète clairvoyance

« L’islam peut-il être tolérant ? ». Le courage de Me Malka n’est pas le gage d’une complète clairvoyance

Le FigaroVox a proposé  le 20 janvier un entretien avec Maître Richard Malka (avocat, entre autres, de Charlie Hebdo) et M. Rémi Brague, philosophe et érudit en langues et religions moyen-orientales. Le sujet ? « L’islam peut-il être tolérant ? ».

On ne peut douter du courage de M.Malka. A la question du FigaroVox

« vous citez dans votre livre Voltaire qui qualifie le christianisme de “religion la plus ridicule, la plus absurde, la plus sanguinaire qui ait jamais infecté le monde”. Est-ce qu’on pourrait dire ça de l’islam aujourd’hui ? »,

M.Malka répond :

« Ce serait très difficile d’avoir de tels mots dans le débat public aujourd’hui, mais c’est parfaitement licite. Personnellement, je n’ai aucun problème à ce que l’on tienne ces propos. Encore une fois, la critique des croyances est libre ».

Mais il reste, de façon intéressante, que cet entretien met clairement à jour les présupposés (on pourrait dire aussi bien les préjugés ou les idées-reçues) de M.Malka quant à la nature de l’islam et qui tous concourent étrangement à présenter l’islam sous un jour naïvement aimable.

Premier présupposé : l’islamisme, cépaçalislam. Me Malka :

« L’islamisme est le cancer de l’islam. Il faut dire les choses telles qu’elles sont. Depuis les débuts de l’islam, il y a toujours eu deux visions qui se sont affrontées. Il y a une vision plaçant la liberté de l’homme et la raison au centre de la religion, c’est l’islam des premiers siècles, du savoir, de la connaissance, des grands philosophes, pendant que l’Occident était, lui, dans l’obscurantisme. Mais il y a aussi un islam littéraliste, qui refuse l’interprétation des textes et pense que le Coran est incréé, qu’il s’agit des paroles de Dieu lui-même et non de son Prophète et dans ce cas, c’est une parole figée à tout jamais. C’est un islam de la soumission, de l’obéissance, du refus de la raison ».

Deuxième présupposé : on trouve toujours une secte [mot utilisé par les musulmans eux-mêmes] pour justifier de la bonté potentielle de l’islam. Dans le cas de Me Malka, ce sont les mutazilites :

« Vous mettez le doigt sur une controverse fondamentale, entre ceux qui considèrent que le Coran est immuable et ceux qui se laissent une marge d’interprétation. Les hanbalites, qui ont enfanté des wahhabites et des salafistes, avaient une conception figée des écritures saintes, alors que la première école de l’islam, les mutazilites, refusait de considérer le Coran comme incréé, puisque passé par la médiation d’un homme, Mahomet. Nous ne sommes jamais sortis de cette discorde initiale ».

Troisième présupposé : « le texte du Coran ne pose pas de problème » [sic] :

« Une religion n’est que ce qu’en font les hommes. Je ne crois pas du tout que ce soit le texte du Coran qui pose problème plus qu’un autre. »

Quatrième présupposé : à tout prendre, le christianisme, c’est à peine mieux que l’islam :

« Si l’on prend le christianisme, c’est une religion beaucoup plus pacifique que les deux autres monothéismes ; la Bible est un texte de paix et d’amour. Sauf que ça a quand même donné l’Inquisition, les guerres de Religion, l’évangélisation forcée… en partant d’un texte pacifique ».

Cinquième présupposé : il y a toujours quelque chose de bon à trouver dans le Coran :

« Concernant le Jihad comme obligation, il faut bien rappeler que le Coran dit tout et son contraire, et assume ces contradictions. Certes, il y a le verset de l’épée, mais il est aussi écrit “Il n’y a nulle contrainte en religion” et “Si Dieu avait voulu que tout le monde croie, tout le monde aurait cru, qui es-tu, toi, pour contraindre les gens à croire?”. Il y a donc deux corans, un coran plus pacifique, celui de la Mecque, et un plus belliqueux, celui de Médine. Ce sont les hommes qui sont à l’origine de ces contradictions. Et les musulmans peuvent se référer à une partie comme à l’autre. »

Sixième présupposé : il y a une possibilité d’un islam des lumières (dans son Traité sur l’intolérance, Me Malka oppose un islam des lumières et un islam des ténèbres).  Me Malka :

« C’est un espoir et il ne faut jamais abandonner l’espoir… Des millions de musulmans ne se sentent pas représentés dans cet islam littéraliste, rigoriste, des Frères musulmans ou des salafistes. On peut espérer, en France, pays universaliste et républicain, une petite étincelle qui réinventerait l’islam. Il suffit de choisir une autre lecture du Coran, comme beaucoup le font déjà ».

Reprenons chacun de ces présupposés à la lumière en particulier des précisions apportées par M.Brague :

  • l’islamisme, cépaçalislam. M.Brague répond :

« Je dois avouer un certain agacement lorsque l’on me dit «il n’y a pas un quelque chose, mais des quelque chose», c’est une manière de botter en touche et de se permettre un choix là où les choses sont bien plus compliquées. Si l’on parle des philosophes, c’est quand même Averroès qui a écrit «il faut tuer les hérétiques», et pas dans une œuvre juridique mais philosophique. Ibn Arabi semble partager dans ses écrits la vision édulcorée de l’islam que Richard Malka décrit, mais lorsqu’il est consulté en tant que juriste, il insiste pour que l’on applique de manière très stricte des règles qui ont explicitement pour but de maintenir les communautés non musulmanes vivant en territoire musulman dans une sorte d’humiliation permanente. Il n’y a donc pas deux conceptions hétérogènes… La différence est assez difficile à tracer entre islam et islamisme, c’est une différence de degré plutôt que de nature. L’islamisme est un islam impatient, et l’islam un islamisme patient. Mais je me demande si le but dernier ne serait pas le même pour les deux».

  • On trouve toujours une secte pour justifier de la bonté potentielle de l’islam. Il faut reconnaître qu’en général, ce rôle de « good cop» (le flic sympa) est joué par les soufis, [vision également recadrée par l’islamologue Mme Urvoy :

«la douceur du soufisme, souvent présenté comme « l’antidote à l’islamisme et comme le visage spirituel et tolérant de l’islam, où chacun peut se tailler un islam à sa mesure et qui pourtant tel qu’il a toujours été pratiqué, s’accorde parfaitement avec les préceptes coraniques qui prescrivent à la Umma, soufis y compris, de soumettre et d’inférioriser les non-croyants » (Marie-Thérèse Urvoy , Islam et islamisme. Frères ennemis ou frères siamois, Artège 2021 p.134)?]. Ici M.Brague pulvérise aussi la vision idyllique qu’a Me Malka des mutazilites : « Il faut préciser que les mutazilites n’étaient pas non plus des enfants de chœur, ils étaient partisans de la liberté métaphysique pour que l’homme puisse être récompensé et condamné justement. Mais ils n’hésitaient pas à envoyer leurs adversaires devant les CCS, les compagnies califales de sécurité. »

  • « Le texte du Coran ne pose pas de problème». M.Brague répond à M. Malka :

« Vous dites que le Coran assume lui-même ses contradictions, pourtant on lit à la sourate 4 verset 84: «S’il y avait des contradictions dans le Coran, cela prouverait qu’il ne vient pas de Dieu» Deuxièmement, pour répondre aux contradictions du Coran, on peut appliquer la théorie de l’abrogation qui donne l’avantage au verset révélé le plus tard. Donc l’existence de ces ambivalences ne pose aucun problème aux musulmans, il suffit d’appliquer ce principe. Il y a un verset qui dit «ce n’est pas bien de boire, ne venez pas ivre à la prière», un deuxième affirme «vous devriez ne pas boire», et enfin un troisième proclame «il est interdit de boire». Et c’est le dernier verset qui fait force de loi, les musulmans ne boivent pas d’alcool. »

  • A tout prendre, le christianisme, c’est à peine mieux que l’islam. M.Brague répond :

« On peut aisément montrer que l’inquisiteur Torquemada a trahi l’Évangile, mais bien moins facilement que Daechtrahit le Coran. Et il faut voir la difficulté qu’ont eue les gens d’al-Azhar [université au Caire, l’un des centres sunnites majeurs] à émettre une condamnation envers les djihadistes, parce que Daech leur disait «lisez la biographie du Prophète, c’est exactement ce que nous faisons». On peut citer l’exemple du malheureux pilote jordanien qui a été brûlé vif par Daech, et là il y a eu une discussion avec les gens d’al-Azhar qui ont dit «non, il fallait juste lui couper une main et un pied, seul Dieu brûle les pécheurs en enfer». Daech a donc répondu qu’un compagnon du Prophète avait brûlé vif ses adversaires, et que ça ne pouvait donc pas être entièrement mauvais. Au contraire, il est bien plus difficile de justifier les croisades par l’Évangile. De plus, les croisades sont un fait historique daté, alors que le djihad est une obligation permanente, qui n’est pas située dans le temps et peut prendre différentes formes, pacifiques ou non. C’est une obligation qui est censée venir de Dieu, car le Coran, pour les musulmans, a pour auteur Dieu. »

  • Il y a toujours quelque chose de bon à trouver dans le Coran. Là, c’est vrai. Dans les plus de 6000 versets du Coran, il faut reconnaître que la très large majorité ne sont pas des appels à la violence ni au meurtre ; et que certains peuvent même, pour ceux qui y seraient sensibles, avoir une certaine poésie. Mais le problème vient bien des versets ceux qui sont des appels à la violence voire au meurtre. Et c’est un phénomène étrange de constater comme ceux-ci sont facilement escamotés, alors qu’ils viennent concrètement et directement contaminer tout le reste. Un peu comme si, quand vous achetez un plateau de fruits au marché et qu’on vous en propose un avec des fruits sains et des fruits pourris, non seulement vous ne vous préoccupiez pas des fruits pourris mais bien plus vous vous sentiez obligé de vous extasier devant la beauté des fruits sains. Ou bien comme, au moment de signer un contrat, vous ne regardiez que les clauses favorables en fermant obstinément les yeux sur la petite clause en bas de page qui, à coup sûr, vous expose au sort le plus grave. A-t-on jamais vu faire ça ?

 

  • Il y a une possibilité d’un islam des lumières. Là, ce n’est même plus un préjugé, c’est un acte de foi total et irrationnel. Car, comme l’indique Me Malka lui-même :

« Mais l’évolution actuelle de l’islam est assez négative, du fait de l’influence du wahhabisme. L’Arabie saoudite et le Qatar financent beaucoup de mosquées et d’associations à travers le monde, avec une volonté d’interférer dans ces pays. On a, malgré tout, vu un basculement ces derniers mois en Iran, et on peut espérer que la première lueur d’espoir viendra de là. Cependant, on ne peut nier un raidissement de l’islam partout dans le monde depuis cinquante ans. »

Comme le remarque Me Malka, qui a l’argent ?

Reste une différence d’appréciation que nous avons avec M.Brague quant aux responsabilités des musulmans eux-mêmes face aux textes sacrés. M.Brague dit :

«On a tous les droits pour critiquer les religions et idéologies, mais pas les communautés à raison de leur religion… Quant à la situation actuelle, il y a effectivement quantité de musulmans qui regardent leur propre islam avec des yeux qui ne sont pas ceux de Chimène, et qui n’hésitent pas à critiquer les dérives radicales. Seulement, il faudrait que des non-musulmans les soutiennent au lieu de se taire par crainte d’être traité d’islamophobe. La balle est dans notre camp ».

C’est André Versaille qui, dans son livre Les Musulmans ne sont pas des bébés phoques remarquait :

“Edwy Plenel [ à l’occasion de la sortie en 2016 de son livre “Pour les musulmans”] parle des musulmans comme d’une masse compacte composée de victimes indistinctes qu’il est urgent de protéger comme une espèce zoologique menacée. On a le sentiment d’entendre Brigitte Bardot parler des bébés phoques…”

Et peut-être plus clairement encore, au moment du procès des complices des attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Casher ainsi que de l’affaire Mila, Aurélien Marq osait (dans Causeur le 16 septembre 2020) poser la question de la responsabilité du musulman face au contenu de sa religion, en partant du principe qu’

« il y a dans cette volonté de déresponsabilisation des musulmans un terrible mépris. Comme s’ils étaient ontologiquement incapables d’exercer leur liberté de conscience, incapables de choisir une religion, seulement bons à se plier passivement à celle qu’ils ont héritée de leurs parents…  Les musulmans ne seraient-ils pas responsables du choix de leur religion ?… Être musulman, choisir d’être musulman, c’est donc choisir consciemment d’adhérer à la seule religion au monde au nom de laquelle l’apostasie [et M.Marq aurait pu également parler du sort de tous les « corrupteurs », voir sourate 5 verset 33], l’athéisme, le blasphème et l’homosexualité soient légalement punis de mort. Être musulman en France, c’est choisir en toute connaissance de cause d’adhérer à la seule religion au nom de laquelle une de nos concitoyennes est soumise à des dizaines de milliers de menaces de viol et de mort. Interroger ce choix, critiquer ce choix et critiquer ceux qui le font ne doivent pas être des tabous. »

M.Marq en appelle donc aux musulmans :

« Faire aujourd’hui le choix de l’islam oblige au minimum à lutter contre tout ce qui dans cette religion en fait un danger pour le reste du monde: poison de la tentation théocratique et totalitaire, mais aussi poison plus insidieux de cette autre tentation que sont la fuite et le déni. Le “cépaçalislam” qui, mêlé à une forme de solidarité clanique, permet si facilement aux fanatiques de s’abriter au sein de l’Oumma. Dans la situation actuelle, le silence de la majorité silencieuse est un silence complice, et ce n’est plus acceptable. »

La balle semble bien être d’abord dans leur camp.

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2 commentaires

  1. Excellent, merci pour cette mise au point.
    L.B.

  2. Il y a un argument aussi qu’on peut faire valoir. Depuis 1200 ans c’est toujours la version violente et intolérante qui a gagné dans les discussions entre musulmans. Pourquoi cela changerait aujourd’hui ?

    Grosse différence avec les croisades qui sont un épisode bien particulier du christianisme (et dont on exagéré certains aspects. Par exemple on ne note pas que l’institution a parfois freiné une grande ardeur populaire).

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