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L'Eglise : Foi / Religions : L'Islam

L’islam face au prophète Jonas

De Gérard Leclerc dans Le Figaro :

"La destruction spectaculaire par les djihadistes du tombeau de Jonas à Mossoul a replacé brusquement au centre de l'actualité l'étonnant épisode biblique rapporté par l'Ancien Testament. Episode qui ne pouvait manquer de ranimer la mémoire des fidèles des trois monothéismes. Autant juifs, chrétiens que musulmans ont médité de tout temps sur la figure de ce personnage un peu décalé de la révélation et dont Dieu semble s'être joué pour mieux mettre en évidence sa volonté de salut et sa miséricorde infinie. De ce point de vue, il y a un contraste saisissant entre la leçon de Jonas et la violence extrême de ceux qui s'en sont pris à son tombeau. Certes, dans l'esprit des djihadistes, il ne s'agissait nullement d'effacer ou de stigmatiser une figure vénérée par l'islam. Leur intention était de mettre fin à un scandale idolâtrique qui détournait de la vraie piété musulmane. N'empêche que cette violence est significative en elle-même d'une orientation générale incompatible avec ce que Jonas dit de la personnalité de Dieu: «Je savais en effet que tu es un Dieu de pitié et de tendresse, lent à la colère, riche en grâce et se repentant du mal.» En l'espèce ce repentir divin concerne la volonté de châtier l'inconduite de la cité de Ninive!

Au cœur de l'Irak d'aujourd'hui, en pleine tourmente, nous est-il possible d'imaginer la splendeur de cette cité, qui fut capitale de l'Assyrie et dont l'archéologie nous détaille les incroyables richesses? Splendeurs éphémères, puisque Ninive fut détruite en 612 avant J.-C., alors qu'elle était à son apogée. Libre nous est possible de penser que, pour un enfant d'Israël de l'époque, elle constituait le mythe même de la ville, avec son immensité (il fallait à Jonas trois jours pour la parcourir), mais aussi le trouble attrait de ses parfums de cité païenne. Voilà le pauvre Jonas envoyé d'autorité par Yahvé, pour annoncer aux Ninivites que leur ville sera détruite dans quarante jours, s'ils ne se repentent pas de leurs fautes. On comprend qu'il ait voulu se dérober à une telle impossible mission et qu'il ait pris la fuite par la mer à destination de Tarsis.

Bien mal lui en a pris puisque le bateau où il a pris place se trouve au milieu de la tempête déchaînée et que les marins qui l'ont accueilli découvrent qu'il est la cause de la malédiction qui s'est portée sur eux. Jeté au fond de l'abîme, il a pourtant la chance insigne d'être recueilli dans les entrailles d'une «baleine». Le court récit biblique est soulevé par un lyrisme étonnant, qui façonne un vrai chef-d'œuvre littéraire: «Tandis qu'en moi, mon âme défaillait, je me suis souvenu de Yahvé et ma prière est allée jusqu'à Toi en Ton Saint Temple. Ceux qui servent des vanités trompeuses, c'est leur grâce qu'ils abandonnent. Moi, aux accents de la louange, je T'offrirai des sacrifices.»

Et Jonas est vomi sur le rivage, depuis le ventre du poisson. Il ne peut plus se dérober. Il affronte l'immense ville, son peuple, ses autorités, le roi lui-même! Nouveau miracle: il est entendu et compris, alors qu'Abraham n'avait pas trouvé les dix justes nécessaires pour sauver Sodome. «On se couvrira de sacs, on criera vers Dieu avec force, et chacun se détournera de sa mauvaise conduite et de l'iniquité que commettent ses mains […] Aussi Dieu se repentit du mal dont il les avait menacés, il ne le réalisa pas.»

Jonas est furieux de ce retournement, il désire même sa propre mort! C'est vrai que cette découverte d'un Dieu qui se repent du mal qu'il voulait faire est plus que surprenante. Etonnant encore le fait que le salut soit ouvert aux païens d'une ville idolâtre. C'est l'immense horizon de la miséricorde divine qui se dévoile, avec l'universalisme qui englobe l'humanité entière, y compris les plus farouches ennemis d'Israël. Oui, décidément, ce tout petit texte biblique n'est pas anodin. Son style singulier, son propos didactique le mettent à part des livres prophétiques auxquels il est pourtant associé. C'est que sa leçon est forte, son symbolisme extraordinairement parlant. Le Christ lui-même se référera, selon l'Évangile de saint Matthieu, au seul signe de Jonas, alors qu'on lui réclame un signe décisif pour attester du caractère de sa mission. Il est vrai que Jésus désigne par là sa Résurrection à travers le séjour dans le ventre de la baleine et le retour à la lumière du jour. Il rappelle aussi la repentance des gens de Ninive.

Les djihadistes de Mossoul ont-ils quelque idée de la miséricorde divine et de l'universalité du salut? On se pose la question, non sans quelque frayeur, sachant le sort qu'ils réservent aux chrétiens, aux femmes et même aux fidèles de leur religion suspects d'idolâtrie. On ne les voit pas du tout dans le rôle de Jonas, et la terreur qu'ils font régner est à l'opposé d'un Dieu de pitié et de tendresse. On s'interroge aussi sur leur féroce entreprise iconoclaste qui se déchaîne contre les chefs-d'œuvre de l'art et les monuments témoins du plus insigne passé. Cette politique de la terre brûlée se rapporte à une certaine conception du divin, qui ignore que l'épiphanie de la transcendance peut briller dans des œuvres faites de main d'homme. Cette épiphanie est d'abord celle du visage humain, créé, selon la Genèse, à l'image de Dieu. Il faut craindre un régime de pensée où l'alliance entre Dieu et l'humanité ne se reflète plus dans cette beauté qui, selon Dostoïevski, sauvera le monde."

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