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L'Eglise : Foi

Les fins dernières, un sujet en souffrance

Les fins dernières, un sujet en souffrance

En ce début d’année civile, il est opportun d’évoquer les fins dernières. Dans Res Novae, l’abbé Barthe souligne que :

l’intégration des fins dernières dans la prédication au sens plus large du terme – enseignement parlé, prêché, écrit – est aussi importante du point de vue de la pastorale concrète, du fait de la théologie qui la sous-tend, qu’est le retournement de l’autel en liturgie. À cette inflexion de la pastorale sont liés entre autres le sens du péché, le respect de la morale du mariage, la perception de la nécessité d’appartenir à l’Église, de la nécessité des « œuvres » (messes pour les défunts, indulgences), du baptême des petits enfants. Ce qui sera une réhabilitation de la pastorale, au sens authentique du terme, d’une pastorale catholique.

Et Mgr Christophe J. Kruijen, auteur d’une thèse de doctorat à l’Université de l’Angelicum publiée sous le titre : Peut-on espérer un salut universel ?, écrit :

1.  Un sujet négligé et mal transmis depuis longtemps

Depuis des décennies, l’enseignement des fins dernières est négligé dans l’Église. Ainsi, Paul VI constatait-il en 1971 : « On parle rarement et peu des fins dernières[1]. » S’appuyant sur une analyse de 280 homélies sur les fins dernières publiées entre 1860 et 1990, Michael Ebertz a mis en évidence l’érosion, puis la dissolution progressive du code eschatologique traditionnel, en sorte que de la tripartition ciel / purgatoire / enfer, il ne reste pratiquement que le ciel[2]. Ebertz relevait en particulier le lien entre cette mutilation des fins dernières et l’abandon d’une image de Dieu contrastée au profit d’une représentation d’un Dieu mou qui a pitié de tout, aimant et doux[3].

2.  Typologie des déficits majeurs dans la présentation des fins dernières

Les graves négligences sur le plan de la présentation des fins dernières dans la catéchèse, la théologie et la prédication ont contribué à la diffusion de nombreuses opinions erronées parmi les fidèles. Le P. Philippe-Marie Margelidon, o.p., a relevé les quatre points problématiques suivants[4] : en premier lieu, les discours sur l’âme, son immortalité et sa distinction d’avec le corps sont évacués ou minorés. En second lieu, la disparition ou la négation de la crainte de Dieu, du jugement et des peines éternelles de l’enfer, conséquence de l’abandon ou de la relativisation de la notion de péché mortel. En troisième lieu, l’oubli de la relation entre le péché et la peine, de même que celui de la nécessité de la réparation et de la pénitence, ce qui rend incompréhensible l’idée de purgatoire. En quatrième lieu, l’universalisme eschatologique, sur lequel nous reviendrons : on pense qu’il n’y a pas d’enfer ou que l’enfer est vide ; les damnés et les démons, s’ils existent, seront sauvés à la fin (apocatastase).

Ajoutons deux autres erreurs. La première concerne la résurrection qui est parfois située immédiatement après la mort, faute d’une juste anthropologie chrétienne comprenant la permanence de l’âme au cours du temps intermédiaire entre la mort et la résurrection à la fin des temps (cf. CEC, no 1001). Ainsi le P. Gregory Gay, Supérieur général de la Congrégation de la mission, annonçait-il en 2009 la célébration de « l’anniversaire de la mort et de la résurrection de nos fondateurs saint Vincent de Paul et sainte Louise de Marillac[5] ». Les corps de ces deux saints étant encore présents sur terre, ces propos aberrants présupposent qu’il n’existe aucun lien d’identité entre le corps historique et le corps ressuscité. Or, ceci est contraire à la définition dogmatique du concile de Latran IV (1215), selon laquelle « tous ressusciteront avec leur propre corps qu’ils ont maintenant, pour recevoir […], les uns un châtiment sans fin avec le diable, les autres une gloire éternelle avec le Christ » (chap. 1 : DzH, no 801).

La seconde erreur consiste à penser que l’homme pourrait encore opter pour ou contre Dieu après la mort. Contre cette option finale[6] qui relativise les choix posés ici-bas, il faut affirmer que « la mort met fin à la vie de l’homme comme temps ouvert à l’accueil ou au rejet de la grâce » (CEC, no 1021). De fait, chacun est jugé sur les œuvres accomplies « pendant qu’il était dans son corps » (2 Co 5, 10). Sachant qu’« avec la mort, le choix de vie fait par l’homme devient définitif[7] », « c’est […] pendant sa vie qu’il faut se repentir. Le faire après ne sert à rien[8] ». Cette doctrine implique que le purgatoire ne doit pas être conçu comme une sorte de seconde chance pour passer de la perdition au salut : « L’état de purification n’est pas un prolongement de la situation terrestre, comme si, après la mort, était donnée une autre possibilité de changer son propre destin[9]. »

3.  Le problème de l’automatisme du salut

Toutefois, aujourd’hui le problème majeur menaçant la doctrine catholique des fins dernières est la présomption du salut. Par le passé, il était admis comme une évidence que tous les hommes ne seront pas sauvés, sans que soit ignoré ou nié pour cela que Dieu veut le salut de tous. Le Docteur commun écrivait ainsi lapidairement : « “Dieu veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité.” [1 Tm 2, 4] Mais cela ne se passe pas ainsi[10]. » Les débats ne portaient donc pas sur le fait de la réprobation, mais sur le nombre qui en ferait l’objet, ou plutôt sur la proportion entre les élus et les réprouvés. Ainsi, ce n’est qu’au cours du XIXe siècle que la position du petit nombre (relatif) des élus, jusque-là prépondérante parmi les théologiens, vint à décliner[11].

Remarquons que la doctrine d’un salut seulement partiel se trouve également dans des textes du magistère. Le concile de Trente déclare ainsi : « Bien que lui [le Christ] soit “mort pour tous” [2 Co 5, 15], tous cependant ne reçoivent pas le bienfait de sa mort, mais ceux-là seulement auxquels le mérite de sa Passion est communiqué[12]. » De son côté, le Catéchisme romain de 1566 affirmait : « Si nous en considérons la vertu, nous sommes obligés d’avouer que le sang du Seigneur a été répandu pour le salut de tous. Mais si nous examinons le fruit que les hommes en retirent, nous comprenons facilement que beaucoup seulement, et non pas tous, en ont profité[13]. » Un catéchisme célèbre publié en 1905 enseignait à son tour : « Jésus-Christ est mort pour le salut de tous, mais tous ne sont pas sauvés parce que tous ne veulent pas le reconnaître, tous n’observent pas sa loi, tous ne se servent pas des moyens de sanctification qu’il nous a laissés[14]. »

Le consensus autour d’un salut partiel s’est effrité à partir du milieu du XXe siècle. Trois jésuites peuvent figurer ici comme précurseurs de la position qui réduit la damnation à une hypothèse : Teilhard de Chardin (vers 1926-1927), Otto Karrer (en 1934) et Henri Rondet qui demandait en 1943 : « Il y a des démons en enfer, mais y a-t-il des hommes[15] ? » Depuis lors, notamment Karl Rahner et Hans Urs von Balthasar – là encore des jésuites – ont diffusé l’opinion dite de « l’espérance pour tous », d’après laquelle il serait non seulement permis, mais il faudrait espérer le salut de tous les hommes, sans pouvoir l’affirmer. Cette position a été qualifiée de « largement dominante chez les plus grands théologiens d’aujourd’hui[16] », encore que des auteurs importants tels les cardinaux Charles Journet et Leo Scheffczyk, le dominicain Jean-Hervé Nicolas ou le jésuite Cándido Pozo ont maintenu que, de fait, des hommes se damnent.

En réalité, la position de « l’espérance pour tous », qui sert au moins tendanciellement à contourner la doctrine de l’enfer, même si elle maintient verbalement la possibilité de la damnation, est dépassée chez nombre de théologiens – sans parler des prêtres et des fidèles du rang – en direction d’une exclusion de la damnation (les groupes conservateurs ou traditionalistes, sans parler de l’islam, dérogent toutefois à cette tendance). Le théologien Bernhard Lang concluait ainsi : « Celui qui prend au sérieux le message du pardon ne peut croire à aucun enfer[17]. » Le salut devient par là un acquis pour tous, avec pour corollaire la négation théorique ou pratique de l’enfer comme, de fait, chez Yves Congar[18]. Pour le moins, l’hyper-accentuation contemporaine de la miséricorde divine au détriment de la justice réduit à l’extrême la probabilité de la perdition, comme chez Gustave Martelet écrivant : « Jamais l’Évangile ne nous présente un pareil refus [du salut] comme une virtualité plausible et dont Jésus pourrait se montrer satisfait. […] Celle-ci nous semble relever […] de ce qu’on peut appeler l’impensable ou l’absurde[19]. »

4.  Conséquences de cette position

Il est évident que la présomption du salut a des conséquences désastreuses sur la totalité du christianisme, dégradé de ce fait en une religion sans enjeu, donc inutile. On songe, entre autres, à la suppression d’un frein puissant au péché grave, la ruine de la notion d’état de grâce, l’inutilité de la conversion et de la pénitence, le naufrage de la discipline sacramentelle, la diminution du zèle et des vocations pour la mission et la conversion des âmes, etc. Cette problématique a été reconnue depuis longtemps au plus haut niveau, sans que les pasteurs y apportent malheureusement de réponse adéquate. Ainsi, Paul VI observait-il déjà : « Aujourd’hui, la sécularisation nous fait perdre la conscience du terrible risque dont notre sort futur est l’enjeu[20] », tandis que Benoît XVI déplorait que « beaucoup de nos frères vivent comme s’il n’y avait pas d’au-delà, sans se préoccuper de leur salut éternel[21] ».

5.  Brève esquisse de quelques remèdes

Contre l’automatisme du salut et du pardon divin, il convient tout d’abord de rappeler que ceux-ci sont liés à des conditions, notamment la fidélité aux commandements (cf. Mt 6, 14-15 ; 7, 21 ; 19, 16-17). Alors que l’idée d’un Dieu ‟automate du pardonˮ le fait ressembler à « un chat qui ronronne sur le radiateur[22] », il serait ensuite urgent de retrouver une image de Dieu plus équilibrée, alliant bonté et sévérité (cf. Rm 11, 22), comme le prônait déjà le concile de Trente : « Parce que “nous péchons tous en bien des choses” [Jc 3, 2 ; can. 23], chacun doit avoir devant les yeux non seulement la miséricorde et la bonté, mais aussi la sévérité et le jugement[23]. »

En outre, il faut faire savoir que la séparation entre sauvés et damnés, opérée par le jugement, est une vérité révélée. La thèse de l’espérance d’un salut universel peut et doit donc être réfutée, tandis qu’il est possible de répondre aux objections majeures contre l’existence de la damnation[24].

Pour terminer, il est indispensable de restaurer enfin l’orthodoxie doctrinale de la prédication à l’occasion des funérailles, aujourd’hui affligeante, en mettant notamment fin à la ‟canonisationˮ quasi systématique des défunts.

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