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Pays : Syrie

Les femmes en noir de Sadad

Les femmes en noir de Sadad

La nuit tombe à Sadad. L’obscurité gagne peu à peu tout le village. La lune est voilée ce soir, toutes les étoiles du ciel dévoilent leur éclat. En cette fraîche soirée d’hiver, nous sommes armés de nos manteaux et nos écharpes. Nous nous dirigeons vers une de ces familles dont la tristesse n’a d’égale que leur fierté. Dans une marche silencieuse, nous préparons nos cœurs à recevoir leur histoire et leurs souvenirs les plus durs.

Une petite porte en bois s’entrouvre, nous entrons. Au-dessus de nos têtes, une treille couvre la terrasse où sont encore accrochés des restes de vigne. Il nous suffit de fermer les yeux pour l’imaginer couverte de vigne, cachant par endroit le ciel. Devant la maison, nous recevons un accueil des plus chaleureux. Nous nous installons sur les matelas du salon les plus proches du poêle. Shamsa, habillée de noir, est en deuil. Il y a quelques années, deux de ses fils sont morts au combat. Nader, son troisième et désormais unique fils, est employé à l’usine. Autrefois salarié dans les chemins de fer, il a été contraint de changer de métier pour continuer à subvenir aux besoins de sa famille. Son fils, le petit Georges, âgé de deux ans, porte le même nom que son grand père, décédé deux ans plus tôt de problèmes respiratoires. Sa timidité le fait soudainement déguerpir vers un ballon en plastique. Nous venons de terminer la dégustation de succulentes oranges. Shamsa est prête à tout nous dire sur la tragique histoire de ses fils.

Le premier, Saafi, travaillait à Damas dans la filière électrique pour l’armée. Un jour comme un autre du mois de juillet 2013, alors qu’il se trouvait en haut d’un poteau électrique non loin de la Ghouta, des terroristes arment, visent et l’abattent de sang-froid. Il meurt sur le coup, il avait 29 ans. A l’annonce de ce décès prématuré, Shamsa prend peur pour son second fils, Kifah en poste à Alep. Elle obtient sa mutation pour Damas. Mais seulement deux mois plus tard, la tragédie frappe à nouveau la famille. Il est gravement blessé pendant l’un de nombreux bombardements qui frappent régulièrement le point de contrôle où il officiait. Conduit à l’hôpital, il perd progressivement la vie. Alors que sa famille est au chevet de Kifah, Shamsa est effondrée et se sent coupable. C’est elle qui a obtenu le transfert de son fils. Elle n’est pas à l’hôpital, sa douleur est trop grande. Elle entreprend de marcher pieds-nus de chez elle à son église tout en implorant le Seigneur de lui laisser son fils. Elle n’a pas passée le perron de la maison qu’elle apprend le cœur brisé le décès de son fils. Il avait 26 ans.

Commence alors pour Shamsa une longue période de colère contre Dieu, contre sa foi, contre tout ce qui lui rappelle ses enfants disparus. Avec le temps, elle reprend goût à la vie. Certaines mères ont aussi perdu tant et beaucoup plus encore. Saafi et Kifah ont eu droit aux sépultures qu’ils méritaient, contrairement à d’autres martyrs. Elle a de quoi louer et remercier le Seigneur de lui donner la force de continuer à vivre même en l’absence de ses fils. Sa fierté pour eux est telle, qu’elle est convaincue que, grâce à leurs sacrifices, le drapeau syrien continuera de flotter.

Ces moments difficiles qui appartiennent maintenant au passé ont fait grandir toute la famille dans la foi, si bien que Nader, le dernier fils, s’est marié en 2015. En dépit de la présence des terroristes aux portes de Sadad, qui allaient attaquer deux mois plus tard, ils ont posé cet acte d’union très fort et symbolique qui a affecté tout le village et surtout redonné de la force à leur mère.

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