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Culture de mort : Avortement

Les autorités de l’université catholique de Louvain sont embarrassées d’avoir à s’exprimer sur l’avortement

Jeanne Smits a interrogé Stéphane Mercier, le professeur de philosophie qui s’est retrouvé au centre d’une polémique à l’Université catholique de Louvain-la-Neuve (UCL) pour avoir invité ses étudiants à réfléchir sur un argumentaire philosophique contre l’avortement. Il vient d'être purement et simplement licencié. Extrait :

Stéphane Mercier, vous vous êtes montré très clairement provie. Aujourd’hui, cela vous vaut accusation. Assumez-vous cette qualité ?

A 100 %, et cela fait ma fierté : ma fierté à la fois comme être humain de prendre ainsi la défense, à ma modeste mesure, d’autres êtres humains, et ma fierté comme philosophe parce que j’ai l’impression que philosophiquement, le droit à la vie est indiscutable. Et plus profondément encore, comme catholique romain, parce que comme le disent les saints, la gloire de Dieu, c’est l’homme vivant.

Quel est votre âge ? Et quelle a été votre formation, puisque votre raisonnement ne ressemble pas beaucoup à celui de certains nouveaux philosophes ? Quels sont vos philosophes de prédilection ?

J’ai 34 ans. Ma formation, je l’ai faite tout entière ici à Louvain-la-Neuve, puisque, contrairement à ce que certains médias avaient suggéré, je ne suis pas un nouveau dans la maison. J’ai commencé mes études ici, en philosophie, en 2000. Quand j’ai eu ma licence – le Master d’aujourd’hui – en 2004, j’ai été nommé assistant à la faculté de philosophie pendant 10 ans. J’ai eu mon doctorat en 2010 et je suis devenu chargé de recherche à l’équivalent belge du CNRS en France pendant quatre ans. Depuis 2014, je suis de nouveau chargé cours de dans le département de philosophie. Et ce jusqu’à cette année… et vraisemblablement, pas au-delà. Quant à mes philosophes de prédilection, j’ai travaillé sur saint Thomas qui est bien sûr un incontournable. J’ai essentiellement fait ma thèse et mes recherches sur la philosophie romaine, sur Cicéron, sur Sénèque, et je travaille aussi en philosophie comparée sur le stoïcisme et le confucianisme. Je ne suis pas très sensible aux choses contemporaines que je trouve souvent un peu verbeuses et jargonnantes, alors que les philosophes latins, antiques et médiévaux ont toujours un beau souci de clarté que j’apprécie beaucoup. […]

Comment s’est passée votre convocation, très rapide, par les autorités de l’université ?

Grossièrement ! Le jour où l’affaire est sortie dans les médias, le 21 mars, j’étais en cours toute la matinée et j’avais reçu un coup de téléphone de la part du cabinet du recteur qui m’a demandé un rendez-vous. Comme j’ai un agenda un peu occupé j’ai essayé de voir à quel moment c’était le plus pratique. À ce moment-là un des vice-recteurs – ou plutôt « vice-rectrices » – a pris le téléphone et m’a dit : vous avez rendez-vous jeudi à 15 heures, point barre. La réunion a donc eu lieu. Elle s’est passée de façon fort civile. J’ai rencontré deux personnes du cabinet du recteur, deux de ses proches collaborateurs qui m’ont posé une série de questions. A mon avis – ce n’est que mon interprétation de l’affaire – le rectorat et les autorités de l’université sont extrêmement embarrassés parce que l’affaire les a mis en quelque sorte au pied du mur. Ils sont mis en demeure de répondre à une question très simple : quelle est la position de l’UCL sur la question de l’avortement. Evidemment, ils entretiennent traditionnellement une certaine nébulosité, une certaine confusion, pour ne pas prendre position, et ils sont extrêmement gênés de se retrouver tenus de dire ce qu’ils pensent. Il y a eu un refus de la clarté de leur part. Ils ont essayé de voir s’il n’y avait pas moyen de me coincer en me demandant si ce que j’avais fait étais correct du point de vue de la légalité, de la déontologie, du public auquel j’avais parlé, des enjeux, etc. Il y avait comme une tentative de trouver un lieu à partir duquel ils allaient pouvoir dire que j’avais agi de façon inconsidérée. Comme j’avais bien réfléchi à la question, et que j’étais sûr de mon coup, ils n’ont pas pu trouver une critique claire à me formuler.

Le jour où l’information est sortie dans les médias ils ont eu une réaction stupide, parce qu’émotive : ils se sont fendus d’un communiqué dans lequel ils parlent de l’avortement comme « un droit inscrit dans la loi belge » et ce n’est pas tout à fait vrai non plus. (NDLR : l’accès à ce communiqué est désormais refusé sur le site d’UCL et on n’y accède plus que via le « cache » de Google.) Ils se sont trompés sur la nature de ce qui est écrit dans la loi belge, en l’interprétant de façon beaucoup trop libérale. Ils ont également dit que l’enseignement que j’avais proposé était en contradiction avec les valeurs de l’université. Du coup, maintenant tout le monde leur demande quelles sont ces valeurs de l’université et ils sont sommés de donner une réponse. […]

Avez-vous le sentiment d’avoir touché à un tabou ?

Ah oui ! En tout cas du point de vue des médias. Leur espèce d’hystérie un peu pathétique montre qu’il y a clairement une corde sensible qui a été touchée et un refus de l’argumentation puisqu’on est tout de suite dans la dénonciation, avec des slogans qu’on répète en boucle pour neutraliser toute discussion possible. On est clairement dans une manifestation de pensée unique avec tout ce que cela peut avoir d’idéologique et de totalitaire. Un tabou, à mon avis, oui – hélas.

Avez-vous constaté la même chose auprès de vos étudiants ? Ont-ils partagé cette analyse hystérique dans leur ensemble ?

Non, justement. Les étudiants, dans la plupart des cas, m’ont paru faire preuve de plus de maturité intellectuelle que les médias et de plus d’ouverture d’esprit que les autorités de l’université. Les étudiants ont bien compris, me semble-t-il, pour la plupart, que c’était mon opinion. Ils ont parfaitement compris que je ne la leur imposais pas – de toute façon je n’en ai même pas les moyens – et que c’était véritablement un traitement philosophique d’une question importante que je leur demandais de discuter. On m’a reproché de ne pas permettre le débat dans mes cours. Il est clair que lorsque j’ai 300 personnes devant moi il est impossible d’organiser un débat. Quand je parle de faire le débat, cela ne veut évidemment pas dire « faire débat pendant le cours ». Les étudiants avaient l’occasion de poser quelques questions. Ils l’ont fait, et de façon pondérée et intelligente, même pour dire qu’ils n’étaient pas d’accord. Et là, je salue le courage intellectuel parce de certains d’entre eux qui, devant deux ou 300 de leurs condisciples ils n’hésitaient pas à dire : « Monsieur je ne suis pas d’accord là-dessus », ou encore : « Je ne comprends pas la logique de l’enchaînement. » Je vois que les étudiants se prennent au jeu. Et les nombreux messages que j’ai reçus depuis l’éclatement de l’affaire me confirment que bon nombre d’étudiants, qu’ils soient d’accord ou non avec moi, ont bien compris quel était l’enjeu et ont bien compris que je ne les manipulais pas, mais que je leur proposais un exercice en faisant droit à leur intelligence. […]

Quels sont les rapports entre l’église catholique et cette université dont elle a donc le contrôle ?

C’est cela qui reste nébuleux et qui gêne beaucoup les autorités de l’université. Précisément, le rapport exact – rapport de force, rapports institutionnels – entre l’Eglise et l’UCL a quelque chose d’un peu vague, un peu flou. Évidemment, la discussion qui est en cours actuellement expose ce flou sous le feu des projecteurs et semble les contraindre à clarifier une situation dont ils auraient préféré qu’elle reste nébuleuse, telle qu’elle était, avec des évêques qui interviennent peu, voire pas du tout, et qui maintenant sont mis devant le fait accompli d’une université qui exprime que ses valeurs sont différentes de celles qui sont de toute évidence celle de l’Eglise catholique. […]"

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