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Immigration / L'Eglise : Foi

L’enracinement est la condition même de la civilisation : le mondialisme n’est pas un vrai universalisme

L’enracinement est la condition même de la civilisation : le mondialisme n’est pas un vrai universalisme

Laurent Dandrieu, journaliste à Valeurs Actuelles, a été interrogé dans Politique Magazine à propos de son ouvrage Rome ou Babel, pour un christianisme universalité et enraciné. Extrait :

Mon livre cherche en réalité à étudier les rapports entre mondialisme et universalisme chrétien – rapports qui devraient, selon la théologie catholique, être pensés sous la forme de la contradiction, mais que l’évolution récente du discours de l’Église et de la mentalité de nombre de chrétiens obligent malheureusement à penser sous l’angle de la confusion. L’histoire biblique de Babel et de sa fameuse tour, racontée dans le livre de la Genèse – l’humanité, alors encore unifiée, en conçoit un orgueil qui la pousse à défier Dieu par la construction d’une tour qui percera les cieux – fournit un bon symbole du mondialisme actuel, qui pense, par une unification techniciste et matérialiste du genre humain, libérer l’homme du “péché originel” de l’identité, des frontières, de la division entre nations et cultures particulières. Mais Benoît XVI nous en avertit : « L’homme ne peut absolument pas faire advenir par lui-même l’unité du monde car la division lui est imposée par la volonté souveraine de Dieu. »

À l’unité de Babel, qui vise la puissance par l’uniformité, s’oppose le modèle de l’universalisme chrétien, unité spirituelle du genre humain qui est profondément respectueuse de la diversité des peuples et des cultures. Les deux premières manifestations en sont l’incarnation de Jésus dans le peuple d’Israël – Jésus est venu annoncer aux hommes l’universalité du salut, mais il le fait en s’adressant aux hommes d’une nation particulière et en épousant leur culture ; et la Pentecôte, où les disciples du Christ, saisis par l’Esprit saint, s’adressent aux hommes de différents peuples présents à Jérusalem qui les entendent chacun dans sa langue : c’est-à-dire qu’ils reçoivent l’annonce de la Bonne nouvelle chacun dans sa culture.

Par suite, l’évangélisation des peuples se fera suivant le principe d’inculturation, que Jean-Paul II a défini ainsi : « L’incarnation de l’Évangile dans les cultures autochtones, et en même temps l’introduction de ces cultures dans la vie de l’Église. » C’est cet universalisme romain que désigne la “Rome” de mon titre. Il n’a utilisé le vecteur de la Rome impériale qu’autant qu’il lui a permis de gagner rapidement des peuples divers, mais n’est jamais rentré dans une logique d’uniformisation. L’universalisme de Rome, ce n’est pas la fusion des identités particulières dans une nouvelle identité commune, c’est la communion de ces identités préservées dans la conscience d’une destinée spirituelle commune.

Votre livre cherche à réconcilier civilisation et enracinement, mais est-ce que ces deux notions n’ont pas déjà été discréditées par la modernité, la société industrielle et la mondialisation ?

Je ne cherche pas à réconcilier civilisation et enracinement, mais à montrer que l’enracinement est la condition même de la civilisation. Il n’y a de culture qu’enracinée, et c’est cette culture enracinée qui permet à l’homme de devenir pleinement humain, et à cet animal social de construire la société ordonnée à une communauté de destin qu’on appelle la civilisation. Sans cet enracinement, sans cette tension d’une société vers la forme singulière de bien commun qui incarne sa vocation particulière, il n’y a pas de civilisation possible. Le mondialisme, en arrachant l’homme à tous ses ancrages et à toutes les identités qui lui permettent de se construire et de s’humaniser, prétend libérer l’homme, mais il ne libère en réalité que le “gros animal” dont parlait Platon, l’homme réduit à la bestialité de ses appétits matériels. En privant l’homme de ses enracinements dont pourtant, nous dit Simone Weil, « il a besoin de recevoir la presque totalité de sa vie morale, intellectuelle, spirituelle », la mondialisation n’accouche en réalité que d’une anticivilisation. Le fait qu’elle progresse à grande vitesse masque le fait qu’à cause de cela, elle est perpétuellement en crise. Comme le dit Christopher Lasch : « Le déracinement déracine tout, sauf le besoin de racines. »

[…]

En réalité, c’est Babel qui est eurocentrée : le mondialisme n’est pas un vrai universalisme, mais la seule généralisation au monde entier du relativisme occidental. C’est à juste raison que beaucoup, dans le reste du monde, le dénoncent comme un néocolonialisme. Mais le paradoxe est que cette occidentalisation est destructrice aussi pour l’Occident, car ce relativisme postmoderne est négateur de sa vraie identité. Rome, en revanche, parce qu’elle s’appuie sur le principe défini par saint Thomas d’Aquin selon lequel « la grâce ne détruit pas la nature mais la couronne », peut prêcher un message universel au monde entier sans risquer d’abîmer les cultures particulières en ce qu’elles ont de plus précieux. Par l’universalité de la grâce annoncée à chaque culture, « l’histoire de toutes les nations est appelée à entrer dans l’histoire du Salut », écrit Jean-Paul II dans Mémoire et identité. Si la culture européenne a une place centrale dans l’identité chrétienne, c’est uniquement parce que c’est elle qui a mis en lumière l’universalité de la nature humaine. Mais ce faisant, elle a offert aux autres cultures une précieuse voie pour s’universaliser. […]

Commentant l’ouvrage de Laurent Dandrieu, l’abbé Roy souligne sur Claves :

[…] Il nous semble toutefois important de rappeler – comme le fait d’ailleurs l’auteur dès le premier chapitre – que l’on ne peut recevoir l’enseignement de l’Eglise des seules déclarations faites par ses représentants devant des journalistes. Plus encore, il nous paraît délicat de voir émerger dans les différentes prises de position des responsables ecclésiastiques sur le sujet des mouvements de personnes un véritable « magistère » ou une « théologie migratoire. » Il ne semble d’ailleurs pas que ce soit la volonté de l’auteur, qui comprend certainement bien la complexe notion de magistère, à manier selon la précision du vocabulaire théologique. Le magistère se caractérise ainsi par son sujet (le pape, le pape et les évêques, les évêques en communion avec le pape) et son objet (l’explicitation du dépôt révélé par le Christ et transmis par l’Eglise, sur les matières de foi et de moeurs). Faisons donc remarquer que l’on ne voit pas de manière évidente que la question des migrations entre directement dans l’objet du magistère. Quant au sujet du magistère, son engagement varie selon divers degrés, suivant des modalités précises, auxquelles toutes les expressions récentes sur le sujet des migrations ne semblent pas correspondre. La réception et l’interprétation du magistère proprement dit ne peut donc se concevoir sur le plan de l’analyse du discours politique. Son interprétation authentique n’a été confiée par le Christ qu’à l’Eglise. L’obéissance et l’assentiment du chrétien ne suppose pas de faire taire son intelligence, elle doit cependant s’inscrire dans une attitude filiale et bienveillante a priori envers l’enseignement du Saint-Siège, qui peut être complétée a posteriori par un jugement prudentiel posé sur les arguments utilisés, en particulier lorsque le degré d’autorité engagé est faible ou inexistant. […]

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