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France : Laïcité à la française / Histoire du christianisme

L’Eglise et le pouvoir politique

De l'abbé Guillaume de Tanoüarn dans Monde & Vie :

L "Lorsque la Première épître de Pierre enseigne: «Soyez soumis à toute autorité, même difficile», eh bien ! on peut dire que l’Église, à travers le premier pape, affirme qu’elle sera toujours du côté de l’autorité, quelle qu’elle soit. L’Église, si je puis dire, s’est toujours déclarée «légitimiste», en enseignant à ses ouailles que «la vraie vie est dans le Ciel». Le Pacte Républicain? En soi, ce n’est pas un problème pour elle. Avec l’empereur Théodose (380), et la chute de Rome (prise par Alaric en 410), une nouvelle époque commence pour l’Église. Elle ramasse le principe de légitimité politique, dont les Barbares ne peuvent se charger. Le monde occidental était romain. Il devient chrétien. Saint Ambroise, issu d’une famille de haute noblesse, et saint Augustin, ex-président de l’Académie impériale à Milan, ont tous deux une conscience aiguë de la situation et de ses difficultés. Tous deux enseignent que dans le chaos qui se dessine, l’autorité de l’Église est plus haute que le pouvoir de l’État. Ont-ils fragilisé l’ordre laïc par cet enseignement? Sans doute. Mais ils ont épargné au monde le chaos. Désormais dans la mémoire de l’Europe, l’Église mérite le beau titre de Mater et magistra, que lui redonnera Jean XXIII dans une de ses encycliques. Les évêques, un peu partout en Europe, sont les sauveurs du peuple.

Un partage s’effectue, qui durera jusqu’à la Révolution française. A l’État, le jeu politique, les alliances, les guerres et des pouvoirs régaliens pour assurer la justice et la sécurité. A l’Église, le domaine mouvant de la société civile, à propos duquel l’autorité politique lui doit des comptes, « en raison du péché » ainsi que l’enseigne saint Thomas, repris au XXe siècle par Jacques Maritain dans Primauté du spirituel. C’est ainsi que sous l’impulsion de l’Église se développent un droit de la guerre, une assistance vers les malades et les pauvres et un enseignement complet. L’Église, en quelque sorte, invente le social! L’État lui laisse le champ libre, à condition que réciproquement, elle n’intervienne pas dans le domaine politique. Ce partage des tâches, on peut l’appeler « laïcité » si l’on veut. C’est un pacte social.

A partir de la Révolution française et précisément au moment où l’Assemblée nationale publie la Déclaration des droits de l’homme, ce vieux commodat entre la puissance spirituelle et la puissance temporelle se trouve remis en cause. Désormais, l’État, supprimant les corporations et édictant toutes sortes de règlements collectifs, entend s’occuper du social et même, on le verra, se l’annexer. L’Église est mise en demeure d’avoir à se replier sur son domaine immédiat de compétence, à savoir la spiritualité et la conscience individuelle. La laïcité au sens moderne du terme trouve dans ce nouveau partage des tâches, opéré au détriment de l’Église institutionnelle, son domaine général de définition. Mais concrètement, ce que l’on appelle « laïcité » variera selon les époques et les États. Une seule revendication, qui est à l’origine de la modernité politique: l’espace public (ou le champ sociétal) appartient naturellement à l’État. Il faut reconnaître que la Liberté chrétienne, acquise depuis des siècles, a du mal à se résigner à cette annexion, qui, jusqu’aujourd’hui, n’est ni totale, ni définitive. Et puis, cette histoire a une suite. Les rapports de force s’inversent. Aujourd’hui ce sont les États-nations qui se trouvent en danger, alors que le Pouvoir est de plus en plus économique, c’est-à-dire planétaire. L’Église a très tôt entrevu cette nouvelle faiblesse des États. Pie XII, là dessus, avait cinquante ans d’avance. Son oeuvre en Italie a été de fortifier la puissance de l’État, malgré la ruine du fascisme et en sacrifiant la monarchie. D’une certaine façon, aujourd’hui, Jean Paul II et Benoît XVI, passant par dessus l’inertie politique de Jean XXIII et de Paul VI, continuent la politique de Pie XII, en l’universalisant. Qu’allait faire Benoît XVI à Westminster hall, en 2010, sinon soutenir l’État anglais, en soulignant que l’Église catholique – grande nouveauté pour l’Angleterre – fait partie des instances publiques non gouvernementales régulièrement consultées par l’État sur les décisions à prendre pour l’avenir du Pays? Elle a ainsi – dernier lambeau de « Doctrine sociale de l’Église » – un rôle public, qui, en réalité, est purement consultatif. La politique dite des « racines chrétiennes de l’Europe » participe de cette nouvelle praxis, foncièrement laïque: il s’agit pour l’Église de défendre les États, dont la légitimité est de plus en plus problématique et dont la fonction se cantonne désormais à servir de banque d’appoint en cas de crise économique ou de flux migratoires importants. Gageons que cette stratégie laïque et très institutionnelle n’aura qu’un temps. Mais l’Église a raison de désigner à l’avance l’adversaire: ce magma sociétal, qui est le Gros animal dont parlait Platon. Gros animal ? Platon voulait dire : le retour inéluctable de l’homme collectif à son animalité primale, animalité mécanisée, animalité technicisée, mais animalité irrépressible. Face à cette animalisation ou à cet ensauvagement, face à cette décérébration matérialiste, l’Église et les États doivent sans doute aujourd’hui faire cause commune pour sauver quelque chose de la civilisation humaine: une autorité transcendante, un pouvoir séparé : au moins un zest, un reste de raison commune. Cette guerre purement défensive des États – à grand renfort de démonstration médiatique – semble elle-même parfaitement vaine. On se demande, d’ailleurs – à part l’homme en blanc – qui a vraiment quelque chose de positif à opposer à la marée montante du consumérisme sociétal mondialisé."

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