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Histoire du christianisme

« Le phénomène “Vatican II” apparaît comme un énorme spectacle de triomphalisme clérical. »

« Le phénomène “Vatican II” apparaît comme un énorme spectacle de triomphalisme clérical. »

Conférence donnée par Jean-Pierre Maugendre le 24 septembre, lors du colloque sur l’avenir de la Messe traditionnelle :

Tout avait bien commencé :

« Le concile qui vient de s’ouvrir est comme une aurore resplendissante qui se lève sur l’Eglise, et déjà les premiers rayons du soleil levant emplissent nos cœurs de douceur. Tout ici respire la sainteté et porte à la joie. Nous voyons des étoiles rehausser de leur éclat la majesté de ce temple, et ces étoiles, comme l’apôtre Jean nous en donne le témoignage (Ap 1, 20), c’est vous ! ».

Ainsi s’exprimait le 11 octobre 1962 le bon pape Jean dans son discours d’ouverture du Concile !

Le programme proposé était d’une simplicité…biblique :

« L’Eglise n’a jamais cessé de s’opposer [aux] erreurs. Elle les a même souvent condamnées et très sévèrement. Mais aujourd’hui, l’Epouse du Christ préfère recourir au remède de la miséricorde, plutôt que de brandir les armes de la sévérité, elle répond mieux aux besoins de notre époque en mettant davantage en valeur les richesses de sa doctrine. »

La méthode proposée était parfaitement claire :

« Il faut que [l’Eglise] se tourne vers les temps présents, qui entraînent de nouvelles situations, de nouvelles formes de vie et ouvrent de nouvelles voies à l’apostolat catholique. C’est pour cette raison que l’Eglise n’est pas restée indifférente devant les admirables inventions du génie humain et les progrès de la science, dont nous profitons aujourd’hui, et qu’elle n’a pas manqué de les estimer à leur juste valeur. »

Ces intentions au demeurant sans doute fort louables sur le fond aboutirent dans la réalité à ce que Jacques Maritain, peu suspect d’intégrisme, voire même, si j’ose dire, « imam caché » du concile Vatican appelait dans le « Paysan de la Garonne » : « L’agenouillement devant le monde ». (p 85)

En quelques années un héritage multiséculaire fut jeté à bas, des habitudes millénaires oubliées, daubées, fustigées et condamnées. Mme Michu qui n’avait pas lu les Actes du concile et n’avait pas l’intention d’y consacrer dix secondes observa cependant avec stupeur, dans sa paroisse :

  • La suppression de la chorale, c’était pourtant bien beau mais … plus long.
  • L’élimination du latin ; elle n’y comprenait rien, mais l’objectif était que Dieu comprenne.
  • L’apparition d’une table devant l’autel, c’est sa voisine qui l’avait fournie.
  • La célébration de la Messe face au peuple qui faisait que le célébrant tournait le dos au tabernacle ce qui paraissait incongru à Mme Michu, pas au célébrant.
  • La distribution de la communion dans la main ; Mme Michu avait vu des gamins mettre l’hostie dans leur poche.
  • Le bouleversement du calendrier et la suppression du saint protecteur de la paroisse. Elle apprit que même sainte Philomène, la sainte préférée du curé d’Ars, avait disparu dans la tourmente.
  • La destruction des confessionnaux,
  • L’interdiction des agenouillements,
  • La suppression de la Fête-Dieu,
  • L’abandon de la récitation du rosaire, etc…

Mme Michu fit comme une autre voisine, elle décida de ne plus remettre les pieds à l’église, hormis pour les mariages et les enterrements. On lui avait changé sa religion. Comme le rapporte Patrick Buisson dans son ouvrage capital La fin d’un monde, citant une brave mère de famille, épouse d’un mécanicien :

« La religion, ça ne devrait pas changer, puisque ce qu’on cherche, c’est d’être sûr de quelque chose. » (p 266)

De son côté Guillaume Cuchet note, en conclusion de son précieux travail Comment notre monde a cessé d’être chrétien :

« Cette rupture au sein de la prédication catholique a créé une profonde discontinuité dans les contenus prêchés et vécus de la religion de part et d’autre des années 1960. Elle est si manifeste qu’un observateur extérieur pourrait légitimement se demander si, par-delà la continuité d’un nom et de l’appareil théorique des dogmes, il s’agit bien toujours de la même religion. » (p 266)

Tout ceci fut imposé avec une brutalité inouïe. Brutalité certes en opposition avec le discours officiel sur l’écoute, l’ouverture, le dialogue, le respect de l’autre, l’accueil des différences, mais brutalité nécessaire car tous ces bouleversements ne répondaient en aucune façon aux demandes des fidèles catholiques. Un sondage du 13 août 1976, au cœur de l’été chaud ainsi nommé en raison de la canicule de cette année-là mais aussi en référence à la messe traditionnelle célébrée par Mgr Lefebvre, devant des milliers de fidèles, à Lille, publié par l’IFOP et le Progrès de Lyon révélait l’ampleur du malaise. Si 40% des pratiquants réguliers estimaient qu’il fallait continuer les réformes initiées par Vatican II, 48% estimaient que l’Eglise était allée trop loin dans les réformes. Chiffre auquel il faut sans doute rajouter l’immense majorité de ceux qui avaient cessé de pratiquer entre 1965 et 1976. Aujourd’hui encore tous les sondages menés par l’association “Paix Liturgique” le confirment. Globalement 30% des pratiquants réguliers assisteraient à la messe traditionnelle si elle était célébrée dans leur paroisse.

Alors qu’il est de bon ton de dénoncer le cléricalisme, les années qui suivirent le concile furent d’abord celles d’un cléricalisme effréné dans la continuité de ce que Mgr Schneider dans son ouvrage indispensable Christus Vincit analysait :

« Le phénomène “Vatican II” apparaît comme un énorme spectacle de triomphalisme clérical. » (p 164)

Le départ de sa paroisse de Madame Michu ne contrista pas son curé ; certes c’était contrariant pour la quête mais il avait bien intégré le postulat « mille fois rabâché, que l’évangélisation de ceux qui étaient loin de pourrait se faire qu’après l’éviction de tous ceux qui n’était que faussement proches », (p 256) selon la lumineuse synthèse de Patrick Buisson. Comme l’écrivait un évêque cité par la revue “Itinéraires” de Jean Madiran :

« L’Eglise passe d’un christianisme sociologique à un christianisme authentique ».

Le traditionalisme c’est d’abord cela. Une fidélité à des croyances, des habitudes, des comportements dont les années post-conciliaires prétendaient sonner le glas. Pendant des siècles la vie des campagnes françaises avait été rythmée par l’Eglise : pensons à l’Angélus de Milet, aux processions des rogations, prières publiques pour attirer sur la terre les bienfaits de Dieu. Le monde avait changé. Citons Monseigneur Paul-Joseph Schmitt alors évêque de Metz :

« La mutation de civilisation que nous vivons entraîne des changements non seulement dans notre comportement extérieur mais dans la conception même que nous nous faisons tant de la création que du Salut apporté par Jésus-Christ ». (L’hérésie du XXème siècle, Jean Madiran, p 130)

Ce qui se manifeste dans les propos de ce rapport épiscopal de 1969 :

« Au scandale ou à la risée de l’homme moderne, une partie, à vrai dire de plus en plus réduite de notre liturgie, continue à demander à Dieu ce que le paysan demande à l’engrais, un Salut cosmique qui fait de Dieu le suppléant de nos insuffisances ». (Cité par Rémi Fontaine in Présent No 7726, 10 novembre 2012, Les 30 ans du pèlerinage de chrétienté).

N’est-ce pas là confondre et opposer la cause première et les causes secondes ?

L’Eglise n’était plus l’unique arche du Salut, elle était seulement un moyen « pour l’homme de devenir pleinement homme », « une experte en humanité », selon les mots de Paul VI. Le « drame » est que cette expérience ne semblait pas susciter l’enthousiasme des décideurs politiques.

Fort logiquement cette révolution suscita des résistances : des prêtres refusèrent de célébrer le nouvel Ordo Missae, arguant de la bulle “Quo Primum” de Saint Pie V et de son indult perpétuel, faisant part de leurs doutes théologiques dans la continuité du Bref Examen Critique du Nouvel Ordo Missae des cardinaux Ottaviani et Bacci. Partout en France des laïcs se regroupèrent, soutenant les prêtres qui continuaient de célébrer la messe selon l’ “usus antiquior”. Citons, dans ma Bretagne natale : Le docteur Pacreau à Brest, le professeur Lozachmeur à Rennes. Des salons, des salles de spectacle, des salles de sport – la salle Wagram à Paris – accueillaient un nombre grandissant de fidèles désorientés, meurtris, blessés mais désireux de rester fidèles à la liturgie qui avait sanctifié leurs pères. Des prêtres restèrent fidèles à la messe de leur ordination ou y revinrent après quelques années de pratique réformée. Citons : Monseigneur Ducaud-Bourget, le père Reynaud, le Père Calmel (o.p.), le père Marziac, le père Réveilhac, l’abbé Montgomery, l’abbé Sulmont, le chanoine Porta, le chanoine Roussel, etc.

Une résistance intellectuelle se fit jour : citons les articles du père Bruckberger (o.p.) dans l’Aurore, ceux de Louis Salleron dans Carrefour et son livre La Nouvelle Messe. Surplombant le tout, la revue Itinéraires fondée en 1956, rappelle dans le style étincelant et précis de Jean Madiran, les raisons de cette résistance :

« Les enfants chrétiens ne sont plus éduqués mais avilis par les méthodes, les pratiques, les idéologies qui prévalent le plus souvent, désormais, dans la société ecclésiastique. Les innovations qui s’y imposent en se réclamant à tort ou à raison du dernier concile – et qui consistent en résumé à sans cesse retarder et diminuer l’instruction des vérités révélées, à sans cesse avancer et augmenter la révélation de la sexualité et de ses sortilèges – font lever dans le monde entier une génération d’apostats et de sauvages, chaque jour mieux préparés à demain s’entretuer aveuglément ». (Déclaration fondamentale de la revue Itinéraires)

Ces lignes n’ont pas pris une ride. Elles sous-tendaient une Réclamation toujours d’actualité alors portée dans l’ouvrage éponyme :

« Il est clair que l’ensemble du peuple chrétien et du clergé catholique ne peuvent guère avoir spontanément le courage ou le discernement de garder l’Écriture sainte, le catéchisme romain et la messe catholique ; ils ne peuvent avoir le courage ou le discernement de les maintenir coûte que coûte au centre de l’éducation des enfants.

Pour qu’ils aient ce discernement et ce courage, il faut qu’ils y soient positivement et suffisamment incités par l’autorité spirituelle que Dieu a établie pour cela.

C’est pourquoi, tournés vers les responsables de la hiérarchie ecclésiastique, nous faisons entendre une réclamation ininterrompue :

  • Rendez-nous l’Ecriture, le catéchisme et la Messe !

Nous sommes à genoux devant les successeurs des apôtres, c’est un agenouillement d’hommes libres, comme disait Péguy, les suppliant et les interpellant pour le salut de leur âme et pour le salut de leur peuple. Qu’ils rendent au peuple chrétien la Parole de Dieu, le catéchisme romain et la messe catholique. Tant qu’ils ne l’ont pas fait, ils sont comme morts.

Nous leur réclamons notre pain quotidien et ils ne cessent de nous jeter des pierres. Mais ces pierres mêmes crient contre eux jusqu’au ciel :

  • Rendez-nous l’Écriture sainte, le catéchisme romain et la Messe catholique !
  • “Notre Réclamation“, quand les hommes d’Église ne veulent pas l’entendre, nous la crions à la terre et au ciel, aux anges et à Dieu. »

Si cette réclamation, dont la première version date de 1972, ne fut pas pleinement suivie d’effet, il est cependant indéniable que peu à peu, ce qu’il faut bien appeler l’interdiction de célébration de la Messe fut levée jusqu’à la publication du funeste motu proprio Traditionis Custodes le 16 juillet 2021.

Cependant, rapidement la résistance traditionaliste se cristallisa autour d’un prélat prestigieux, Monseigneur Marcel Lefebvre, ancien archevêque de Dakar, délégué apostolique pour l’Afrique française, supérieur général des Pères du Saint-Esprit, fondateur en 1970 de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X, et du séminaire international d’Ecône. Alors que plus aucun prêtre n’était formé pour la célébration de la Messe traditionnelle, hormis le séminaire de Monseigneur de Castro Mayer au Brésil à Campos, Monseigneur Lefebvre porta les espoirs et les espérances du monde traditionnel. Il fut ainsi, pendant des années, le seul évêque, à former et ordonner des prêtres pour la messe traditionnelle, ce qui rapidement le mit en délicatesse avec les autorités romaines, de la déclaration du 21 novembre 1974 aux sacres sans mandat pontifical de 1988, en passant par la “suspens a divinis” de 1976.

Cette déclaration de 1974 est l’un des actes fondateurs de la résistance traditionaliste :

« Nous adhérons de tout cœur, de toute notre âme à la Rome catholique, gardienne de la foi catholique et des traditions nécessaires au maintien de cette foi, à la Rome éternelle, maîtresse de sagesse et de vérité.

Nous refusons par contre et avons toujours refusé de suivre la Rome de tendance néo- moderniste et néo-protestante qui s’est manifestée clairement dans le Concile Vatican II et après le Concile dans toutes les réformes qui en sont issues.

Toutes ces réformes, en effet, ont contribué et contribuent encore à la démolition de l’Eglise, à la ruine du sacerdoce, à l’anéantissement du sacrifice et des sacrements, à la disparition de la vie religieuse, à un enseignement naturaliste et teilhardien dans les universités, les séminaires, la catéchèse, enseignements issus du libéralisme et du protestantisme condamnés maintes fois par le magistère solennel de l’Eglise.

Aucune autorité, même la plus élevée dans la hiérarchie, ne peut nous contraindre à abandonner ou à diminuer notre foi catholique clairement exprimée et professée par le magistère de l’Église depuis dix-neuf siècles. »

Monseigneur Lefebvre n’était pas un homme de parti : il répondit aux demandes de prêtres que lui firent les laïcs, il soutint les communautés religieuses dont les fondateurs ou les fondatrices refusaient, en conscience, la nouvelle liturgie, le nouveau catéchisme et la “refondation” des constitutions de leur communauté dans le sens conciliaire voulu par le décret ”Perfectae Caritatis”.

Citons :

  • Dom Gérard Calvet, fondateur de l’abbaye bénédictine du Barroux.
  • Le père Eugène de Villeurbanne, fondateur des Capucins de stricte observance, dont la maison-mère est aujourd’hui à Morgon.
  • Mère Hélène Jamet, qui avec l’aide du père Calmel (o.p.) maintient les traditions des Dominicaines du Saint-Nom de Jésus à Brignoles.
  • Mère Anne-Marie Simoulin, qui, issue de la même congrégation s’installa à Fanjeaux.
  • Mère Élisabeth de La Londe, fondatrice de l’abbaye bénédictine du Barroux.
  • Mère Gertrude de Maissin, fondatrice de l’abbaye bénédictine sise aujourd’hui à Perdechat, etc…

Dans ce contexte émerge un mouvement d’apostolat, le MJCF, Mouvement de la jeunesse catholique de France, véritable pépinière de chefs et école des cadres de la Tradition d’où naîtront de multiples foyers chrétiens, un évêque, plusieurs Pères Abbés ou supérieurs de communautés religieuses (Le Barroux, Lagrasse, Morgon, les Missionnaires de la Miséricorde Divine), plusieurs mères abbesses ou supérieures de communautés religieuses féminines (le Barroux, Perdechat…).

De jeunes communautés émergent : la Fraternité de la Transfiguration à Mérigny (36), sous l’égide du père Bernard Lecareux, deux communautés dominicaines : la Fraternité Saint Dominique à Avrillé, constituée à l’origine de membres du MJCF, la Fraternité Saint Vincent Ferrier à Chéméré-Le-Roi avec le père de Blignières et le père Guérard des Lauriers (o.p.).

À partir de 1983, à l’initiative du Centre Henri et André Charlier, un pèlerinage draine des foules de plus en plus considérables à la Pentecôte de Notre-Dame de Paris à Notre-Dame de Chartres, sur les traces de Charles Péguy.

Le message autour duquel tous se rejoignent pourrait être résumé de la manière suivante :

« Laissez-nous pratiquer la religion de nos pères. Laissez-nous faire l’expérience de la Tradition. »

D’ailleurs partout où elle peut se développer, cette expérience s’avère concluante. Guillaume Cuchet, peu suspect d’intégrisme puisqu’il est membre du comité de rédaction de la revue des Jésuites Etudes, le constate honnêtement :

« Cette sortie de la culture du devoir et de l’obligation, chemin sur lequel l’Eglise a précédé, à bien des égards, le monde civil, notamment scolaire et éducatif, est un événement fondamental sur lequel il y aurait lieu de revenir. Dans les familles et les milieux où cette culture a été à la fois maintenue et modernisée, les taux de transmission ont souvent été meilleurs. »

Aujourd’hui les communautés traditionnelles représentent de 12 à 15 % des ordinations sacerdotales en France bien au-delà du poids numérique des “tradis” dans la démographie catholique en France. Le monde traditionnel dans son ensemble est jeune et missionnaire. Jeune par les familles nombreuses qui s’y constituent “ces familles cathos avec leurs enfants blonds”, gentiment moquées par Fabrice Luchini dans le film « Alceste à bicyclette ». Jeune, car les conversions y sont nombreuses, attirées par le triptyque : « transcendance, exigence, cohérence ». Pourquoi devant de tels faits la hiérarchie ecclésiastique persiste-t-elle dans un déni de la réalité à ce point criant ?

Mystère ! Mystère que l’on peut cependant se forcer d’éclairer à la lumière de deux analyses particulièrement pénétrantes :

« Il ne s’agit pas, comme l’écrit Paul Vigneron dans Les crises du clergé français contemporain, dès 1976, de se contenter de dire, comme un empereur épouvanté par quatre ans de guerre atroce : “Nous n’avons pas voulu cela !” Il faut avoir le courage de se poser l’inévitable question : “voici 30 ans que nous faisons des “expériences”, apostoliques ou autres, que nous sommes partis, sans jamais parvenir à les trouver, à la recherche de nouvelles méthodes de prière et d’ascèse. Après tant de tentatives, oserons-nous, enfin, en risquer une dernière ? Essayer tout simplement et loyalement ces méthodes d’apostolat et de spiritualité que nous avions rejetées, peut-être avec témérité, voici une trentaine d’années ! Et si, par hasard, ces méthodes, qui ont d’ailleurs fait leurs preuves, parvenaient – sait-on jamais ! – à nous rendre la joie du cœur aujourd’hui perdu, si elles remplissaient à nouveau nos séminaires devenus presque déserts, si elles redonnaient à notre prédication et à notre vie cette force que seuls possèdent les témoins sacrifiés, oserons-nous avouer enfin que nous nous sommes trompés !”

Mais voilà, précisément, le mot le plus dur à prononcer ! Après l’arrestation du Christ, des apôtres le renièrent parce qu’ils tremblaient pour leur propre vie. Aujourd’hui, c’est bien plus que leurs vies que risquent ceux qui avaient adhéré, parfois avec enthousiasme et sans en apercevoir forcément le caractère pernicieux, aux tendances novatrices apparues vers 1945. Ils sont maintenant parvenus à l’âge où on a de l’influence et, parfois, de hautes responsabilités. C’est leur amour-propre qu’il faudrait sacrifier en disant humblement : « Oui, peut-être avons-nous fait longtemps fausse route ! ». Leur vie, des hommes courageux peuvent, comme les premiers apôtres après leurs défaillances, la sacrifier finalement à Dieu. Mais l’amour-propre ! »

Pierre Chaunu, le célèbre historien protestant, écrivait, de son côté en conclusion de son ouvrage, paru en 1975, De l’histoire à la prospective :

« Avant le tarissement quantitatif du recrutement, c’est un tarissement intellectuel et spirituel des vocations qui affecte l’Eglise en France depuis en gros 1930. La médiocrité intellectuelle et spirituelle des cadres en place des églises occidentale au début des années 1970 est affligeante. Une importante partie du clergé de France constitue aujourd’hui un sous-prolétariat social, intellectuel, moral et spirituel ; de la tradition de l’Église, cette fraction n’a souvent su garder que le cléricalisme, l’intolérance et le fanatisme. Ces hommes rejettent un héritage qui les écrase, parce qu’ils sont, intellectuellement, incapables de le comprendre et, spirituellement, incapables de le vivre. »

Cette référence à la hiérarchie ecclésiastique est une des caractéristiques majeures du mouvement traditionaliste. Les sacres de 1988 ont partagé ce monde en deux composantes unies par la même foi, la pratique des mêmes sacrements, la volonté de ne pas rompre avec sa structure hiérarchique de droit divin de l’Eglise, le même souci de la Royauté sociale de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Un écosystème “tradi“ s’est bâti avec ses lieux de culte, ses publications, ses rassemblements, ses écoles, ses pèlerinages, etc.

Le risque serait alors de sombrer dans un communautarisme replié sur lui-même, oublieux des enjeux de l’Église universelle. De faire de la Tradition un astre mort, analogue à ce qu’est devenu l’orthodoxie russe dont le père Martin Jugie écrivait dans son ouvrage sur Joseph de Maistre et l’église Gréco-russe :

« Depuis de longs siècles, l’Orient s’est habitué à considérer la doctrine révélée comme un trésor que l’on garde, non comme un trésor que l’on exploite ; comment un recueil de formules immuables, non comme une vérité vivante et infiniment riche, que l’esprit du croyant cherche à toujours mieux comprendre et à mieux assimiler ».

Joseph de Maistre dans son ouvrage Du pape observait :

« Toutes ces églises séparées du Saint-Siège, au moment du XIIe siècle, peuvent-être comparées à des cadavres gelés, dont le froid a conservé les formes. »

Fécond avertissement pour ceux qui pourraient oublier que le combat pour la Tradition est d’abord une œuvre d’Eglise. Si l’Église ne commence pas avec Vatican II, elle ne se réfugie pas non plus, à partir de Vatican II, dans des structures qui seraient étrangères à l’organisation visible et voulue par Dieu de l’Eglise : le pape et les évêques.

Grand mystère. Parfois terribles dilemmes !

Appel à se laisser guider par saint Grégoire de Nysse: « Le juste milieu, c’est le chemin des crêtes

Rappel que selon Émile Poulat : « L’histoire de l’Église n’est pas un Reposoir de Fête-Dieu. » Si l’Église apparait occupée par une pensée mondaine qui lui est étrangère, il n’existe qu’une Eglise dont le siège est à Rome et dont le chef est le pape. Le drame majeur de notre temps est que la même Eglise nous distribue par le même canal et parfois en même temps, selon l’expression consacrée, les moyens et les paroles du Salut mais aussi des paroles insipides et insignifiantes, sentimentales et philanthropes, sans vigueur pour le bien ni contre le mal. Défigurée, parfois trop humaine ou mondaine, ni franchement catholique et anti-moderniste, ni franchement moderniste et anti-catholique, l’Eglise reste l’Eglise, unique arche du Salut.

Les difficultés du temps présent ne doivent pas être un motif de découragement, bien au contraire. Si nos anciens avaient pu craindre que le fil de notre tradition liturgique et doctrinale ne soit rompu, la situation n’est plus celle-là. Nous savons que l’avenir nous appartient car, par la Tradition, c’est aux apôtres eux-mêmes et donc au Christ que nous sommes rattachés. Les modes passent. La croix du Christ continue à nous protéger et nous éclairer de ses bras étendus. Enfin dans ce combat, car c’en est un, – toute vie chrétienne est un combat -, nous conserverons à l’esprit le si précieux conseil du père Calmel, défenseur intrépide de la messe traditionnelle :

« Soyons témoins de la foi, comme le furent nos frères les martyrs des premiers siècles en pleine persécution violente. Non seulement ils se montrèrent fort et courageux, mais encore doux et patients et cela parce que leur âme était ardente de charité. »

Jean-Pierre Maugendre

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