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Institutions internationales

Le Pen et Zemmour pourraient-ils appliquer leur programme sans sortir de la CEDH ?

Le Pen et Zemmour pourraient-ils appliquer leur programme sans sortir de la CEDH ?

Nicolas Bauer, chercheur associé au European Centre for Law and Justice (ECLJ), tente de répondre à cette question, dans Valeurs Actuelles :

[…] Alors que la CEDH est totalement absente du programme d’Éric Zemmour, Marine Le Pen consacre deux pages de son programme à démontrer qu’il n’est pas nécessaire d’en sortir.

Le 22 mars, Jean-Paul Garraud, député européen et porte-parole de Marine Le Pen, a même salué une décision des juges européens : Johansen contre Danemark. Il faut dire que cette décision, qu’il qualifie d’« historique », est encourageante pour les candidats de droite. La CEDH a réaffirmé la possibilité de déchoir de leur nationalité les terroristes binationaux et de les expulser vers leur pays d’origine. Elle a également incité les États à garder une « position ferme » face aux terroristes. C’est une victoire pour l’ECLJ, qui était intervenu dans l’affaire.

Une autre décision récente est marquante. Le 15 mars, la CEDH a rendu son premier jugement concernant les restrictions générales de libertés en temps de Covid. Elle a condamné la Suisse pour avoir interdit les manifestations publiques au printemps 2020.

Les juges européens ont en particulier critiqué la « durée considérablement longue » de cette interdiction (deux mois et demi), l’absence de débat parlementaire et de contrôle juridictionnel, ainsi que les sanctions pénales prévues en cas de violation. Le juge belge à la CEDH, Frédéric Krenc, a salué ce jugement comme posant de « salutaires balises » concernant les restrictions Covid. Après les renoncements de nombreuses juridictions, c’est donc la CEDH qui a défendu les libertés.

Cela dit, une hirondelle ne fait pas le printemps et deux décisions ne doivent pas éluder les dérives actuelles à la CEDH. Sur les sujets dits « sociétaux », les juges européens sont allés bien au-delà de l’intention initiale des États membres. C’est d’ailleurs en raison de jugements sur la GPA que François Fillon avait en 2017 menacé de quitter la CEDH s’il était élu.

En 2022, la position d’Éric Zemmour et de Marine Le Pen est l’objet d’une critique récurrente de la part des souverainistes, comme Florian Philippot qui soutient la candidature de Nicolas Dupont-Aignan : « Rester dans la CEDH, c’est avoir la garantie que rien ne changera ». Autrement dit, il serait impossible d’appliquer un programme de droite nationale.

Certaines mesures proposées par Éric Zemmour et Marine Le Pen sont en effet contraires à la jurisprudence de la CEDH. C’est par exemple le cas du rétablissement de la peine de perpétuité réelle incompressible pour les criminels les plus dangereux. La Grande Chambre de la CEDH a jugé en 2013 qu’une telle peine était un traitement inhumain et dégradant, interdit par le droit européen.

De même, la suppression du regroupement familial, prévue par les deux mêmes candidats, est considérée comme contraire au droit au respect de la vie familiale. Pour la CEDH, le regroupement familial doit être accordé au cas par cas ; il n’a pas besoin d’être systématique, mais il ne peut pas être systématiquement refusé.

Il n’est pas exceptionnel que le droit ou la pratique des États se révèlent contraires à la jurisprudence européenne. Entre 2017 et 2021, la CEDH a condamné la France 44 fois. C’est ensuite le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe qui surveille la bonne exécution des arrêts.

Généralement, la non-exécution d’un jugement n’a pas de réelle conséquence pratique. Actuellement, 33 arrêts contre la France sont considérés comme non-exécutés ou partiellement exécutés, dont quatre rendus il y a plus de cinq ans. C’est pire pour la Pologne, et plus encore pour l’Italie, la Grèce et la Hongrie. Un quinquennat Zemmour ou Le Pen ne trancherait donc pas avec ce bilan français et avec la pratique de nos voisins.

Cependant, même sans qu’il y ait un recours à la CEDH, les juridictions françaises peuvent d’elles-mêmes écarter l’application d’une loi qui est contraire à la jurisprudence européenne. En effet, c’est avant tout les juridictions nationales qui ont pour rôle de mettre en œuvre la Convention européenne des droits de l’homme.

Une personne peut par exemple invoquer, devant les juridictions françaises, son « droit » européen à avoir accès à un réexamen de sa peine de prison ou à une procédure de regroupement familial. Les juridictions françaises pourraient alors refuser, au nom de la CEDH, d’appliquer une loi rétablissant la perpétuité réelle incompressible ou supprimant le regroupement familial.

Jean-Luc Mélenchon, s’il était élu, aurait la même difficulté qu’Éric Zemmour ou Marine Le Pen à faire appliquer son programme, sur d’autres points. Dans cette hypothèse, le candidat de gauche souhaite répondre par une « stratégie de confrontation » : « désobéir à chaque fois », car « notre logique est simple ».

Il faut cependant se méfier d’une logique trop « simple », qui pourrait vendre du rêve. Un État « désobéissant » aux règles convenues avec d’autres États sans solide justification perd en crédibilité sur la scène internationale. Une stratégie révolutionnaire n’est jamais bien perçue sur le plan diplomatique, surtout par des États voisins.

Des possibilités plus raisonnables s’offrent à Éric Zemmour ou Marine Le Pen, si l’un des deux était élu. Ils peuvent déjà compter sur le fait que la CEDH sait être sensible aux préoccupations légitimes des gouvernements et des peuples. Les décisions récentes sur l’expulsion des terroristes et sur les règles Covid en témoignent.

La CEDH est une juridiction, mais aussi un objet politique. Sa jurisprudence évolue et s’adapte. Enfin, un Gouvernement nommé par Éric Zemmour ou Marine Le Pen pourrait se positionner sur deux débats en cours en Europe : la hiérarchie des normes juridiques et la réforme de la CEDH.

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