Partager cet article

France : Société / Liberté d'expression

Le mépris envers les généraux et les militaires est palpable depuis de nombreuses années dans une partie de la classe politique

Le mépris envers les généraux et les militaires est palpable depuis de nombreuses années dans une partie de la classe politique

Extrait d’un article du général (2S) François Chauvancy publié sur Theatrum Belli, à propos de la tribune qui donne de l’urticaire à l’exécutif :

[…] Qu’y-a-t-il donc dans ce texte adressé « aux gouvernants» , donc à ceux qui sont en place aujourd’hui, qui justifierait une telle virulence et désormais une attitude répressive contre les quelques lampistes d’active ? Faut-il condamner cette position collective citoyenne d’experts finalement agissant comme des lanceurs d’alerte et exprimant une inquiétude largement partagée par la majorité des citoyens : émeutes dans les banlieues, attaques contre les forces de sécurité (gendarmerie, police, pompiers…), terrorisme islamique mais surtout des lois qui existent et ne sont pas appliquées avec l’exemplarité attendue pour la sécurité de tous… Si demander que les lois soient appliquées représente un signe d’extrémisme de droite, cela pose question.

Le politique voudrait donc que ces citoyens français investis hier ou aujourd’hui d’une parcelle d’autorité au service de l’État se taisent alors qu’ils voient par exemple soir après soir dans les journaux télévisés la société française se déliter ? Le personnel militaire d’active et en retraite appartient à une institution dont la caractéristique est de garantir en dernier recours le fonctionnement optimal de l’État, d’un État qui protège et qui permet à une société dans son ensemble de vivre dans la paix. Est-ce une atteinte à la neutralité politique des Armées ?

UN RAPPEL SUR LA LIBERTÉ D’EXPRESSION DANS LES ARMÉES

Je rappellerai l’article L4121-2 du code de la défense issu du statut général du militaire voté par nos élus en 2005.

« Les opinions ou croyances, notamment philosophiques, religieuses ou politiques, sont libres. Elles ne peuvent cependant être exprimées qu’en dehors du service et avec la réserve exigée par l’état militaire. Cette règle s’applique à tous les moyens d’expression. (…) Indépendamment des dispositions du code pénal relatives à la violation du secret de la défense nationale et du secret professionnel, « les militaires doivent faire preuve de discrétion pour tous les faits, informations ou documents dont ils ont connaissance dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions. En dehors des cas expressément prévus par la loi, les militaires ne peuvent être déliés de cette obligation que par décision expresse de l’autorité dont ils dépendent. »

Or, à la lumière de ce texte, en quoi la Tribune dite « des généraux » laisse-t-elle apparaître une quelconque faute des signataires justifiant une sanction surtout à une époque où tout un chacun ou presque peut déposer un recours jusqu’à la Cour européenne des droits de l’Homme…

La « grande muette », terme redevenue d’actualité, n’existe plus depuis longtemps mais les politiques ne le savent pas encore. Tout a été fait pour que les militaires puissent s’exprimer depuis leur professionnalisation mais aussi pour préserver les valeurs républicaines au sein des armées afin d’éviter les dérives extrémistes de droite, une grande obsession des politiques qui dissimule les vraies menaces. Les officiers sont incités à écrire et à publier depuis bien longtemps.

Pour ma part, avec quelques camarades et à mes différents grades, commandant, lieutenant-colonel puis colonel, j’ai subi au cours de ma carrière ces attaques contre les écrits d’officiers qui évoquaient simplement des réflexions différentes de celle des « sachants » y compris sur les questions de sûreté intérieure sinon sur les rapports entre les politiques et les militaires. Je pensais révolu aujourd’hui cette restriction de la liberté d’expression qui ne vise jamais la remise en cause de l’État, encore moins de la République. Paradoxe, la haute hiérarchie militaire et l’École de guerre, étape incontournable pour devenir colonel, sinon général après un concours sélectif, ne cessent de proclamer depuis une quinzaine d’années que les officiers d’active doivent s’exprimer.

UNE SITUATION D’EXCEPTION, SINON DISCRIMINATOIRE POUR LES MILITAIRES AYANT REJOINT LA VIE CIVILE ?

Derrière l’argument qu’on a été officier « un jour », faut-il faire taire à vie ceux qui ont quitté le service actif, c’est-à-dire qui sont redevenus citoyens civils ? Si oui pour quelles compensations face à cette restriction des libertés individuelles auxquelles chaque citoyen peut normalement prétendre en démocratie ? Ne serait-ce pas une discrimination de plus dans une société qui ne cesse de les combattre ? Deux poids, deux mesures ?

Un régime d’exception reste de fait en vigueur pour les militaires ayant quitté le service actif. D’aucuns évoqueront pour les généraux (2S) les rares avantages qui disparaissent de toute façon à 67 ans. Et à part cela ? Les généraux « Terre, Air, Mer, Gendarmerie » sont poussés à la retraite avant 60 ans et donc contraints à trouver un nouvel emploi dans le civil alors que leur expérience aurait pu être profitable dans nos administrations, à la différence de ces hauts cadres installés dans les rouages du pouvoir jusqu’à un âge bien plus avancé ? En activité, les généraux sont-ils associés réellement à la gouvernance de l’État, bien souvent plutôt en poste d’« adjoint » d’un civil dans les grandes directions ? Non. Cette exclusion conduit donc à la normalisation du comportement des militaires dès qu’ils ont quitté l’institution. En effet, pourquoi s’imposer des contraintes sans compensation réelle comme d’ailleurs cela fonctionne dans la société civile en général ? Au nom d’un statut dont on comprend mal alors l’intérêt à la retraite ?

Ce manque de respect, sinon ce mépris notamment envers les généraux et les militaires, est palpable depuis de nombreuses années dans une partie de la classe politique sauf en temps de crise bien entendu. Ce déclassement du positionnement social de l’officier général voulu par le politique a conduit au délitement progressif de cette adhésion au « système ». D’ailleurs qui communique pour les armées sauf pour les opérations ? La confiscation de la parole s’accroît depuis 1998. Désormais un porte-parole civil auprès de la ministre des Armées s’ajoute depuis 2021 au service officiel de communication du ministère des armées dont c’était la mission, certes aussi dirigé par un personnel civil depuis 1998. Une armée respectée, protégée, associée raisonnablement à la gouvernance, traverse le temps politique, assure la permanence de nos institutions et reste neutre pour être légitime lorsqu’elle s’exprime.

En outre, au sein des armées, hier et aujourd’hui pour une partie des plus anciens « vieille école », se taire parce que l’on a été un « grand » serviteur de l’État justifiait, justifie une soumission au nom d’un loyalisme total à l’État. Hier, cela se concevait sans difficulté. Aujourd’hui, ce déclassement notamment des officiers généraux a affaibli un lien érigé jusqu’à présent comme un dogme anachronique qui s’effrite donc au grand désarroi des politiques.

En revanche, constatons qu’année par année le sondage annuel CEVIPOF place toujours les armées parmi les deux institutions les plus respectées par les Français. Les élus et les policiers appellent à l’aide à chaque difficulté les militaires spécialistes de la gestion de crise et des organisations en situation intérieure dégradée sauf bien sûr en temps de pandémie, comme nous avons pu le constater jusqu’il y a peu.

Reste la question des sanctions demandées par la ministre des Armées au général Lecointre, chef d’état-major des armées. Pour les officiers d’active, il sera intéressant de lire le motif d’une telle mesure déjà tellement difficile à obtenir d’un fonctionnaire en temps normal lorsqu’il a commis une faute avérée. Un militaire n’ayant commis aucune faute objective serait donc plus facile à sanctionner au moins publiquement. N’oublions pas cependant les sanctions internes discrètes qui existeront de toute façon : mutation, affectation à des postes marginaux, notations, avancement…

Quant aux généraux (2S), attendons de voir. Compte tenu des prises de position d’un certain nombre d’entre eux qui s’expriment déjà mais pas dans le cadre de la « Lettre aux gouvernants », toute mesure disciplinaire pourrait s’avérer délicate. Caisse de résonance potentielle, quel serait alors leur poids sur le débat public ? Interdire le port de l’uniforme ? Cela sera au détriment des cérémonies patriotiques, seules réelles occasions de porter son uniforme pour la plus grande satisfaction des élus et au profit du lien entre l’Armée et la Nation sur un territoire militairement désertifié. D’aucuns verraient bien aussi l’interdiction de toute référence à son grade militaire en cas de prise de position. Sans doute applicable alors à tout « ancien » président de la République, Premier ministre, député, présidents d’associations les plus diverses ? « Avoir été » donne la légitimité de s’exprimer et d’avoir une position, n’en déplaise à certains.

POUR CONCLURE

Je ne pense pas que le pouvoir politique sortira indemne de cette crise. L’affaire du général de Villiers en juillet 2017 avait déjà profondément heurté les armées et l’opinion publique qui semble aussi partager en grande partie la Tribune des généraux. […]

Partager cet article

Nous utilisons des cookies pour vous offrir la meilleure expérience en ligne. En acceptant, vous acceptez l'utilisation de cookies conformément à notre politique de confidentialité des cookies.

Paramètres de confidentialité sauvegardés !
Paramètres de confidentialité

Lorsque vous visitez un site Web, il peut stocker ou récupérer des informations sur votre navigateur, principalement sous la forme de cookies. Contrôlez vos services de cookies personnels ici.


Le Salon Beige a choisi de n'afficher uniquement de la publicité à des sites partenaires !

Refuser tous les services
Accepter tous les services