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Bioéthique

Le marché de la fertilité est extrêmement lucratif : tous ces gens mentent aux mères porteuses

Le marché de la fertilité est extrêmement lucratif : tous ces gens mentent aux mères porteuses

Kelly, cette mère porteuse américaine venue témoigner en France, a été interrogée dans Le Figaro. Extraits :

[…] Comment s’est passée ensuite cette première gestation pour autrui?

Assez mal, je dois le reconnaître. Déjà parce que j’avais notifié à l’agence que je ne souhaitais pas porter un enfant pour un couple d’homosexuels parce que je voulais une femme qui m’accompagne pendant la grossesse, et que finalement ils m’ont quand même mise en relation avec un couple de deux hommes, vivant à Paris. On a cherché à me persuader, en me faisant comprendre que j’étais leur seul espoir… Et on ne m’a pas laissé le choix. Pas plus qu’on ne m’a laissé choisir le nombre d’embryons implantés: on en implante systématiquement deux dans l’espoir que l’un des deux au moins survive, et c’est ainsi que je me suis retrouvée enceinte de jumeaux. C’était d’ailleurs plus lucratif: comme dans n’importe quel marché, plus on travaille et plus on gagne d’argent, et pour des jumeaux, l’agence touchait plus d’argent et moi j’étais mieux payée que pour un seul embryon.

Ensuite, on m’a forcé aussi à mettre mon nom sur l’acte de naissance alors que ce n’était pas ce qui était prévu dans le contrat initialement. Ce n’est d’ailleurs qu’en invoquant cette condition que j’avais réussi à persuader mon mari de me laisser faire cette gestation pour autrui: il était explicitement spécifié que mon nom n’apparaîtrait nulle part. Mais la nuit avant le transfert de l’embryon, l’agence m’a appelé pour me prévenir de ce qu’ils appelaient une «formalité»: les enfants naîtraient à mon nom, et l’acte de naissance serait réécrit aussitôt l’adoption faite. Là encore on m’a forcée: si je refusais, je devais rembourser l’intégralité des frais de clinique déjà avancés. Évidemment je ne pouvais pas rembourser, j’avais déjà en partie consommé les sommes avancées… j’étais prise au piège.

En réalité j’ai découvert plus tard que c’est toujours ainsi: les mères porteuses disposent du moins d’information possible au début. C’est d’autant plus anormal qu’aux États-Unis, tout est défini par les contrats. Chaque point doit être spécifié dans les clauses et si l’on signe, on sait exactement à quoi l’on s’engage. Pour la GPA, c’est l’exact contraire: le contrat est sans cesse bafoué par l’agence.

Normalement, il était donc prévu que je renonce à tous mes droits maternels, et donc en aucun cas mon nom n’avait à apparaître quelque part. Moi-même je savais que je devais tisser le moins de liens possible avec l’enfant, ne surtout pas m’y attacher. D’ailleurs, comme j’ai accouché par césarienne, je n’ai pas réellement vécu mon accouchement: au moment où je me suis réveillé, les enfants avaient déjà été éloignés.

Par la suite en revanche, vous vous êtes davantage attachée aux enfants que vous avez portés…

Oui, ou en tout cas j’ai pris conscience que c’était impossible de ne pas créer ce lien. À ma troisième GPA, le couple commanditaire n’était plus du tout sûr de vouloir des enfants que je portais car j’étais enceinte de deux garçons alors qu’ils avaient payé un supplément pour avoir un garçon et une fille. J’avais donc été implantée avec un garçon et une fille, mais ce sont des choses qui arrivent: la petite fille a été expulsée et l’embryon garçon s’est dédoublé, formant des jumeaux. Bref, en tout cas je devais chercher un plan B car je ne savais pas du tout, et ce jusqu’au dernier moment, si les commanditaires prendraient les bébés, et à la naissance j’ai finalement passé pas mal de temps avec eux: je me suis rendu compte à quel point ils reconnaissaient ma voix, mais aussi celle de mon mari car lorsqu’il était présent dans la pièce, ils réagissaient, alors qu’ils ne bougeaient pas du tout lorsque le père «adoptif» était là. J’ai donc compris que même si moi je me refuse à considérer ces enfants comme les miens, eux, bien sûr, ne peuvent pas comprendre que je ne suis pas leur vraie mère.

En réalité, tout est fait pour nous dissimuler la réalité de ce que nous vivons: l’agence ne parle jamais d’ailleurs de «femme enceinte» ni de «grossesse»: elle dit que nous vivons un «voyage», une «aventure»… C’est par le vocabulaire, déjà, que commence le mensonge: il ne faut surtout pas que nous prenions conscience de l’importance psychoaffective du «travail» que nous accomplissons.

[…] Le marché de la fertilité, comme celui du tabac ou de l’industrie pharmaceutique, est extrêmement lucratif: il n’y a pas que les agences, mais aussi tous les professionnels de santé, les médecins, les infirmières, les intermédiaires… Tous ces gens mentent aux mères porteuses, leur dissimulent les risques, la précarité juridique des contrats, les conséquences possibles sur la santé… On encourage aussi, de plus en plus, la vente d’organes, sans dire non plus quels sont les risques que cela peut impliquer.

Même les parents d’intention mentent: la première fois, le couple français m’avait dit qu’ils étaient mariés (ce qui, à l’époque, n’étaient pas possible pour un couple homosexuel français, mais je ne le savais pas), et donc ils m’ont caché que j’aurais à inventer une histoire pour qu’ils puissent repartir en France avec les enfants. Lorsque je l’ai découvert, je n’avais plus le choix, et ils m’ont forcé à faire croire aux autorités françaises que j’avais conçu les jumeaux au cours d’une relation adultérine avec l’un des deux hommes. La GPA est peut-être légale dans de nombreux États américains, mais même lorsqu’elle est légale, elle est faite de mensonges en permanence.

Enfin, j’ai été sidérée de constater à quel point la mère porteuse est le dernier maillon d’une très longue chaîne. J’ai risqué ma vie: lors de ma dernière grossesse, j’ai manqué de mourir en couches. J’ai passé des moments extraordinairement éprouvants. Tout ça pour voir qu’en fait, je ne touche qu’une infime partie de ce que les couples commanditaires déboursent pour une GPA! Les traducteurs, les avocats, les médecins, l’agence… touchent d’importantes commissions: parfois, pour une seule visite médicale pendant la grossesse, le médecin peut toucher presque autant que la mère porteuse. Cela bien sûr, je n’aurais jamais dû le savoir, je ne l’ai appris que par hasard à l’occasion d’une erreur de destinataire dans un mail envoyé par l’agence. Et puis, dans les contrats, la mère porteuse est la moins protégée de toutes les parties, les clauses bénéficient presque toujours à l’agence ou au couple commanditaire.

Comment se sont comportés les couples à votre égard?

La première fois comme je vous l’ai expliqué, j’ai été choquée que les hommes me poussent à mentir. Et la seconde fois, le couple commanditaire a été aux abonnés absents. Par ailleurs, la mère a divorcé de son mari presque aussitôt après que je leur ai remis l’enfant, et pendant longtemps cette pensée m’a hanté. J’avais de la peine pour cet enfant que j’abandonnais à une existence probablement difficile… Depuis, la mère a même complètement disparu de la vie de la petite fille.

La troisième fois a été la pire. J’ai eu affaire à un couple espagnol qui avait payé un supplément très onéreux pour s’assurer que les bébés étaient un garçon et une fille, or comme je l’ai dit j’ai finalement été enceinte de deux garçons. À partir de ce moment, ils ne m’ont plus jamais adressé la parole, je n’existais pas à leurs yeux. Ils étaient persuadés, malgré les explications du médecin, que tout était ma faute. Alors que j’étais épuisée par la grossesse et que j’ai fait une crise d’éclampsie, la première fois que la mère est entrée dans ma chambre d’hôpital, c’était pour s’empresser de réclamer une échographie: seul le sexe des bébés l’intéressait. Ils ont finalement pris les enfants et se sont éclipsés du pays sans donner de nouvelles, refusant par la suite de payer les frais de cliniques (qui s’élevaient à des milliers d’euros). L’agence n’a rien voulu savoir, et la clinique m’a envoyé toutes les factures! […]

Après ma dernière grossesse, j’ai eu pendant longtemps des tendances suicidaires, et j’ai perdu mon emploi à cause du stress post-traumatique que j’ai éprouvé. Aucune femme n’a conscience de la charge mentale que représente une GPA, et aujourd’hui, je veux m’engager pour alerter les femmes et pour aider celles qui l’ont vécu à se reconstruire.

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