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L'Eglise : L'Eglise en France

Le curé, l’évêque et les loubards fêtent les motards

Le curé, l’évêque et les loubards fêtent les motards

D’Antoine Bordier :

La rencontre est inédite, voire historique : Guy Gilbert, le curé des loubards, et Mgr Michel Aupetit, l’ancien archevêque de Paris, ont fêté, ensemble, la saint Christophe, la fête des motards, en grande pompe ou presque. Presque, car au même moment sur les hauteurs de Rougon, au-dessus de la Bergerie de Faucon, sévissait un incendie de faible ampleur. Reportage dans les Gorges du Verdon.

« Cette année, à cause de l’incendie de Rougon, nous avons décidé de fêter quand même la saint Christophe, ici, à Faucon », explique le père Guy Gilbert, le célèbre curé des loubards. Les motards ? « Ils sont 5 fois moins nombreux qu’à l’habitude » explique Pierre Berthélemy, l’organisateur, côté motard, de cette journée festive.

De Toulon, dans le Var, il faut mettre près de 2h30 pour parcourir les 133 km. « Je suis arrivé par le TGV d’Aix-en-Provence, puis, j’ai loué une voiture », raconte Mgr Michel Aupetit qui était l’invité du curé. Il est arrivé vendredi et a profité de ses 48h pour se reposer à l’auberge de Rougon. Impossible de louper cette adresse, et, son nom : l’Auberge du Point Sublime. Il n’y en pas 50 comme celle-là, des auberges dans les Gorges du Verdon. Magali Sturma-Chauveau et son mari Philippe résument l’ADN de leur auberge unique : « Nous sommes la 3è génération. Mes grands-parents, André et Solange Monier se sont installés ici en 1946. En même temps que mon grand-père est tombé amoureux du Verdon, il est tombé amoureux de ma grand-mère originaire de la Palud-sur-Verdon… » A la deuxième génération, l’histoire prend plus d’ampleur. Alors que les guides et les premières cartes postales d’André ont attiré et « fait le buzz », à l’époque, Solange dans sa cuisine met en haut de l’affiche les produits du terroir. La carte est alléchante : soupe au pistou, cochonaille locale, gnocchis faits maison (avec de la truffe-pays), etc. Leurs enfants, Jeanne, Renée et France vont multiplier, par la suite, les activités dans la région, avec, notamment, l’ouverture de la boulangerie et le lancement de l’activité de taxis. A la 3è génération – celle de Magali, la patronne – l’histoire de la 1ère génération se répète : elle épouse Philippe, le futur chef de l’auberge. Désormais, Magali et Philippe préparent leurs deux fils Aurélien et Simon, accompagné de son épouse Kah Yern, à prendre le relais.

Sur place, Mgr Michel Aupetit regarde au loin, l’horizon : « Regardez, le Point Sublime c’est là-bas à 250 m. Attention à ne pas tomber dedans », fait-il en rigolant et en montrant du doigt le Grand Canyon du Verdon. 

Un médecin des corps et âmes

Le parcours de l’ancien archevêque de Paris est des plus intéressants, à plus d’un titre. Cet évêque est, à la fois, épatant et mystérieux, grandiloquent et silencieux, intelligent et humble. Sa bonhommie, son esprit d’ouverture, son humour, sa réflexion et son grand détachement ne semblent pas l’avoir quitté, après la terrible épreuve qu’il a vécue, il y a deux ans. Pensez, en résumé : ce médecin, heureux, quitte tout pour devenir prêtre à l’âge de 39 ans. Il entre au séminaire de Paris en 1990. Il est ordonné le 24 juin 1995, par le cardinal Jean-Marie Lustiger, archevêque de Paris. Puis, le 19 avril 2013, il reçoit la consécration épiscopale du cardinal André Vingt-Trois, avant d’être nommé évêque de Nanterre, par le pape François, le 4 avril 2014. Il devient archevêque de Paris le 7 décembre 2017. Notre-Dame brûle en avril 2019, et deux ans après c’est la maison de l’archevêché qui brûle, au sens allégorique du terme. En novembre 2021, Mgr Aupetit est poussé à la démission à la suite d’une enquête publiée par Le Point, qui met en exergue la gouvernance du prélat et sa vie privée. Les médias s’emballent, l’Eglise aussi. C’est la chute…provoquée par un tollé général.

Forcé, le 25 novembre, dans une lettre, il présente sa démission au pape. Il reconnaît avoir eu un comportement « ambigu », mais il se défend d’avoir eu une relation intime ou sexuelle. Le pape accepte sa démission le 2 décembre. 5 jours après, il se justifie lors d’une conférence de presse à haute altitude (donnée dans son avion), le 7 décembre :

« Un homme, dont la réputation a été atteinte si publiquement ne peut pas gouverner. Et, ceci est une injustice. C’est pourquoi j’ai accepté la démission d’Aupetit, non pas sur l’autel de la vérité, mais sur celui de l’hypocrisie ».

7 mois après ce scandale médiatico-ecclésial, Mgr Aupetit se retrouve dans la Bergerie de Faucon, fondée il y a près de 50 ans par le curé des loubards, le père Guy Gilbert. Il est visiblement en forme, et, remis de cette terrible épreuve.

« Je ne suis pas du tout dépressif. En fait, je ne m’attendais pas à ça. Je me suis dit : “Mince, il y a autant de gens qui me détestent”, mais pas tant que ça finalement, puisque j’ai reçu des milliers de lettres de soutien qui disaient :  “On vous aime !” Quand le préfet de la Congrégation pour les évêques (sorte de DRH des 5000 évêques) m’a dit : “Par humilité vous devriez présenter votre démission”, je me suis dit : “De toute façon ma charge ne m’appartient pas”. Et, aujourd’hui, je suis dans la paix. L’important c’est de suivre le Christ, pas moi. Aujourd’hui, je suis le Christ plus qu’avant… »

A 71 ans, l’archevêque émérite démarre, donc, une nouvelle vie, moins exposée et plus humble. Il répond favorablement aux invitations amicales de ses confrères.

Des loubards et des motards en fête !

A la Bergerie de Faucon, le père Guy Gilbert côtoie aussi bien les loubards, les motards que les grands et les stars de ce monde. Parmi les « grands », il y a des présidents, des rois, des reines. Il y a la royauté de Belgique. Il y a le prince Laurent et Claire Coombs. Parmi les stars, il y a Stromae et Coralie Barbier, Jamel Debbouze et Mélissa Theuriau. Ces couples ont un point commun : il les a tous mariés. Mais, à n’en pas douter, il préfère la compagnie des loubards et des motards à celle des stars. A bientôt 87 ans (le 12 septembre prochain), il a gardé son rôle de berger presque intacte. Il est, toujours, accompagné de ces jeunes, écorchés vifs, de ces anciens loubards qui ont préféré suivre les pas du curé, qu’ils appellent « grand-père », plutôt que celui de la bande, du juge, de la case prison et des foyers clôturés où la jeunesse a du mal à respirer. Besoin d’air…

A Faucon, Jean-Yves Tenabral vient d’arriver dans sa superbe voiture de course toute rouge. Ce n’est pas une Ferrari, même si ce grand gaillard en rêve. C’est une voiture de collection, une Mazda MX-5, qui a près de 30 ans ! Ce genre de bolide, véritable roadster japonais, des années 89-90, doit être conduit par un as du volant. Jean-Yves en est un très original. Cela se voit. Il a bardé sa décapotable d’autocollants en tout genre. Le chiffre 13 y règne partout : « 13e rallye des princesses » (celui de 2012). « I love rien » est collé sur le pare-choque arrière. Il se gare à côté de Guy Gilbert, qui vient de revêtir son aube blanche avant de célébrer la Messe des motards, celle de la saint Christophe. L’évêque, lui, part se changer en passant devant la voiture, et, en rigolant.

« Qu’est-ce que tu fous, je t’avais dit de venir à 9h00. Tu es en retard », apostrophe Guy avec son autorité légendaire. Jean-Yves ne sait pas quoi répondre. Il baisse la tête. « Allez, viens, j’ai besoin de toi », finit par dire Guy après un temps de silence décontenançant. Jean-Yves s’exécute et le suit comme la brebis derrière son berger.

Au loin, les bruits pétaradants des Harley Davidson font leur entrée dans la bergerie. « Ce sont Les Chevaliers de l’Etoile de Moustiers-Sainte-Marie », annonce le père Guy Gilbert. Le spectacle commence. La centaine de personnes présente se tourne comme un seul homme vers les motards qui chevauchent les montures emblématiques. Il est vrai que le spectacle en vaut le détour. On dirait le tournage d’une scène d’un film. Avec leurs motos, leurs blousons et leurs lunettes noirs, ils ressemblent aux Black Angels des Etats-Unis. Mais, eux, même si l’apparence est trompeuse, ressembleraient plutôt aux anges, aux White Angels. Car, ils sont du côté de la force, de la lumière !

Un cœur de chevalier

Michel Melandre est motard depuis toujours ou presque. Il a commencé très jeune. Puis, il a connu le père des loubards.

« J’ai rencontré Guy, il y a 20 ans. Avec les autres, nous faisons partie de l’association Les Chevaliers de l’Etoile de Moustiers-Sainte-Marie. Elle existe depuis 1956…Mais historiquement, elle remonte au chevalier de Blacas, qui vivait dans le château de Vérignon, près de Brignoles, dans le Var. Ce chevalier a fait partie de la 7è croisade de Saint-Louis, au 13è siècle. A l’époque, il n’y avait pas de motos, mais des chevaux… »

, raconte Michel, qui est interrompu par une femme fascinée par sa moto. Il y a quelques années, Guy Gilbert a été adoubé par cette association qui ressemble à une véritable confrérie médiévale.

Michel, ce passionné de grosses cylindrées, a créé sa propre association, il y a quelques années : Les Chevaliers de l’Etoile Mariale. Dans le civil, il est décorateur pour le secteur du spectacle. Il travaille au sein de la société Stageco qui réalise toute l’ingénierie des concerts, des évènements et des spectacles pour le grand public.

 « On a travaillé pour les concerts de Johnny (NDLR : Halliday), des Pink Floyd, de Tina Turner, de Michel Sardou…On fait tous les gros évènements. Mon rôle ? Je dessine et réalise des scènes. »

A 62 ans, ce papa de 3 enfants, a épousé à 20 ans une motarde ! C’est un as des deux roues. Ce qu’il aime chez Guy Gilbert : c’est « sa foi et son ouverture d’esprit ». Avec son association, Michel et les autres chevaliers (au nombre de 60, ce qui représente près de 10 % des 700 habitants de Moustiers), multiplient les œuvres caritatives auprès des personnes les plus démunies.

Ils sont, également, philosophes, le temps d’une conversation. Le chevalier Michel Melandre au cours de la conversation évoque la crise mondiale actuelle :

« Notre humanité s’endort de plus en plus. Elle oublie le Seigneur et son devoir envers ses frères, envers les plus fragiles. Notre société se fragilise au rythme de son matérialisme. Elle se déshumanise et oublie le bien commun. C’est pour cela que les crises se multiplient…»

Michel est soucieux de l’humanité, de son bonheur.

La conversation se termine, la Messe des motards va bientôt commencer. Tous se réunissent en plein air, autour du père Guy Gilbert, de Mgr Michel Aupetit, et, d’un prêtre qui vient d’arriver. Face aux Gorges du Verdon l’instant est idyllique, presque magique. Avec les 120 animaux disséminés dans sa bergerie, l’instant ressemble à l’arrivée de l’arche de Noé sur le mont Ararat.

Philippe : le disciple de Guy ?

Le père Philippe, l’autre prêtre, serait-il le prochain curé des loubards ? Par rapport à Guy Gilbert, il passerait presque inaperçu. Il ne porte pas de blouson noir (par cette chaleur, c’est un peu normal), ni de bagues aux doigts, ni de santiags (cela fait une dizaine d’années que Guy n’en porte plus). Mais tous les deux ont un point commun, même si près de 40 ans les séparent : ils s’occupent

« des jeunes en rupture profonde avec la société, que ce soit pour des raisons scolaire, familiale, personnelle, psychologique et autres. Nos jeunes sont habités par des violences immenses depuis leur plus tendre enfance. »

Guy, disait presque mot pour mot la même chose que Philippe, dans les années 70, il y a 50 ans. Philippe est un peu son disciple. D’ailleurs, ils ont presque la même taille ! Philippe continue en ajoutant :

« Ici, à Faucon, c’est particulier : les jeunes sont placés sous mandat par des juges, des institutions, l’aide sociale à l’enfance. Moi, ce que je fais avec mon équipe, à Istres, dans les Bouches du Rhône, c’est de recevoir dans un cadre libre, associatif, des jeunes qui viennent de leur propre gré, passer un peu de temps dans notre local d’accueil mis à leur disposition par la mairie. Ces jeunes en rupture s’y reconstruisent. »

Cités du coeur

Côté vie privée, le père Philippe voue un respect-souvenir incroyable pour ses parents, Emile et Irène, qui lui ont donné un amour inconditionnel et qui ne sont plus de ce monde. A 49 ans, il se souvient de ses 19 ans quand il a rencontré Dieu, alors qu’il n’était pas pratiquant du tout. « J’ai découvert le divin grâce à la nature, à sa beauté, à son harmonie. Il faut un artiste incroyable pour créer tout cela. Longtemps après, j’ai découvert que cet artiste, ce poète, c’est Dieu et qu’Il a un cœur énorme. Il est très aimant. » Ce passionné de plongée sous-marine fait le grand saut en se rendant plusieurs fois à l’abbaye de Lérins, en face de Nice. C’est là qu’il décide au plus secret de son cœur, de tout donner à Dieu, à l’Eglise. Et l’Eglise a le visage de ces jeunes en déshérence. Avec une dizaine de jeunes, il vient de passer une semaine à Faucon. Quelque soit leur origine, en les regardant et en les écoutant ces jeunes, qui blaguent et qui semblent toujours vouloir monter sur un ring, prêts à en découdre, ont une vraie soif de l’autre et de la vie.

Le dynamisme du père Philippe, ordonné en 2006, pour les jeunes est remarquable. Avec des partenaires privés et institutionnels qui ont validé son projet, et une dizaine de bénévoles, il lance cette association : Jeunes et solidaires, en 2016. Puis, en 2020, comme le père Guy Gilbert en 1978, avec son livre un prêtre chez les loubards, il sort le sien aux Editions Salvator : Cités du cœur.

Il a beau répéter :

« Je ne suis pas Guy Gilbert, il a son expérience. Mon expérience rejoint la sienne, c’est vrai. C’est le même esprit. Et, si les jeunes de notre époque sont différents de ceux des années 70, 80 et 90, les souffrances sont les mêmes. »

C’est certain, maintenant : nous avons trouvé le fils spirituel du père Guy Gilbert (devenu chanoine par les mains de l’ancien archevêque de Paris, Mgr Michel Aupetit). Il reste, maintenant, à Philippe à parler en argot, et à porter un blouson noir, des bagues et des santiags. Ah, une dernière chose : il ne roule pas à moto, mais il aime les motards !

Reportage réalisé par Antoine Bordier

Copyright des photos A. Bordier

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