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Culture

Le catholicisme contemporain a un problème avec la notion de patrie

Le catholicisme contemporain a un problème avec la notion de patrie

De Philippe Maxence dans L’Homme Nouveau à propos du nouvel ouvrage de Michel de Jaeghere, La Mélancolie d’Athéna, Les Belles Lettres :

L’avons-nous oublié ? Le Christ a pleuré sur sa patrie, sa destruction et sa ruine. Des larmes d’un homme profondément enraciné dans sa nation, pénétré jusqu’au fond de son être de l’histoire, de la culture, des mœurs et de la religion d’Israël. Des larmes d’un Dieu qui s’est choisi un peuple d’élection et qui a voulu s’incarner dans une terre, une nation, à un moment donné de l’histoire.

La notion de patrie

Dans son commentaire du Livre de Jonas, rapprochant la figure du prophète de celle du Christ, dom Jean de Monléon explique que le refus de Jonas de parler à Ninive et sa fuite de « devant la face de Dieu » qui s’est ensuivie sont le fruit de son profond amour pour Israël. Peut-on appliquer ce trait du prophète au Christ, s’interroge le bénédictin ? Qui rappelle au passage combien cet épisode biblique est une préfiguration de la vie du Sauveur dont nous fêterons la naissance dans quelques semaines. Une préfiguration jusqu’à cet amour pour Israël ? Oui, répond dom de Monléon : « Jésus était vraiment homme, il aimait profondément le peuple dans lequel son Père l’avait fait naître. »

Et nous, aimons-nous vraiment ce pays dans lequel notre Père nous a fait naître ?

La question n’est pas seulement rhétorique. Le catholicisme contemporain a un problème avec la notion de patrie. Il y voit d’instinct une restriction à l’amour du prochain. Dans son livre Rome ou Babel, Laurent Dandrieu décortique avec force ce dévoiement de la charité chrétienne et ses conséquences politiques et civilisationnelles.

La patrie, une évidence ?

Le catholicisme n’est pourtant pas le seul à entretenir un rapport difficile avec l’amour de la patrie. Le patriotisme, qui semblait une évidence à nos ancêtres, n’est souvent plus pour nous qu’un mot vide de sens, le rejeton d’un passé de ruines et de destruction, une obsession nationaliste, une nostalgie. Dans le même temps, le terrorisme islamique, les effets désastreux du libéralisme économique, la crise écologique elle-même, l’immigration constante et non contrôlée crient à chaque Une de nos quotidiens le besoin de limites, de protection, d’une politique défendant une culture et des mœurs communes.

Est-ce vraiment possible dans une société qui repose sur le contrat social et sur l’auto-détermination de l’individu ? Certainement pas et c’est pourquoi peut-être nous nous épuisons à dénoncer des effets sans en remettre en question les causes parce que, réellement, nous les chérissons. Dès lors, il ne nous reste plus que la fuite en avant ou la nostalgie du temps passé, aussi problématiques l’une que l’autre.

Une autre voie est pourtant possible. Celle du recours à l’Histoire comme maîtresse de vie, comme un regroupement à travers le temps des leçons fécondes qui peuvent encore guider la réflexion et l’action, comme une pédagogie puissante pour transmettre une expérience qui sans elle se perdrait dans les méandres de l’oubli. Elle nous offre, si nous le voulons bien et si nous ne la livrons pas aux mains des manipulateurs, de prendre à la fois de la distance et de regarder le cours du temps par le haut.

Patrie et civilisation

Cet effort – car c’en est un –, c’est en quelque sorte celui auquel nous invite depuis quelques années Michel De Jaeghere à travers les ouvrages qu’il propose à notre réflexion. Dans Les Derniers Jours (2013), il retraçait la fin de l’empire romain d’Occident, ne se contentant pas d’exposer les faits et de redonner la parole aux témoins de ce grand basculement. Il analysait finement, preuves à l’appui, la mise en place des éléments qui allaient conduire à l’effondrement d’un empire et d’une civilisation.

Plus récemment, avec Le Cabinet des Antiques (2021), il se penchait sur la question de la démocratie et sur ses origines antiques. Il citait à la barre non seulement les philosophes et les historiens de l’Antiquité mais aussi les pratiques de ces assemblées grecques que nous avons tendance à magnifier parce que nous ignorons tout à la fois leur fonctionnement et les limites qu’elles s’étaient données. Ce livre donnait toute sa place à une érudition qui peut aujourd’hui étonner tant elle n’est pas là d’abord pour séduire mais pour appuyer et étayer une qualité de réflexion dont nous avons perdu l’habitude.

La Mélancolie d’Athéna ou le retour sur la patrie

Dans la continuité du Cabinet des Antiques, le dernier livre de Michel De Jaeghere, La Mélancolie d’Athéna, se penche sur la question du patriotisme, à l’ombre à nouveau des grandes voix de l’Antiquité, nous redonnant à vivre, dans une langue d’une subtilité rare, des guerres médiques à la fin de la guerre du Péloponnèse, la tension entre la défense du bien commun des cités et la prétention hégémonique de l’impérialisme, tentation permanente, récurrente, à laquelle l’Histoire se trouve confrontée, à intervalles plus ou moins réguliers.

Ne nous trompons pas ! Ce livre ne décrit pas seulement un passé oublié auquel il parvient à redonner vie, transformant quasiment le lecteur en spectateur des conflits et des débats, le faisant vibrer à la victoire athénienne à Marathon ou sentant comme s’il y était la tension des Spartiates se sacrifiant aux Thermopyles.

Ce faisant, il parle surtout de nous. De nos faiblesses et de nos lâchetés, de nos errances, de notre abandon des vertus naturelles qui ont façonné un type d’homme, une civilisation, des mœurs que le grand recroquevillement individualiste a emportées dans une poussée égoïste et narcissique. Il nous replace devant les défis de notre temps et les fausses leçons tirées des conflits de l’avant-veille.

Leçons d’Histoire et patrie d’aujourd’hui

Au miroir de Thucydide, Michel De Jaeghere souligne que l’Histoire n’est pas une répétition des mêmes événements dans des époques différentes. Elle est source à laquelle il convient d’aller boire pour se rafraîchir aux principes de vie en société.

« On ne rejouera pas la guerre du Péloponnèse, souligne-t-il ainsi.

« On ne peut exclure que l’histoire que Thucydide a racontée, décryptée ne soit pourtant un rai de lumière dans l’obscurité qui nous dissimule l’avenir. Qu’elle nous enseigne, au moins, que le concert des nations est un meilleur gage de paix entre des pays libres qu’une hégémonie par nature instable ; que la volonté de puissance peut transformer le plus amène des régimes en une intraitable bête de proie ; que la domination d’une démocratie peut, à terme, devenir tyrannique, parce que l’essence même du régime lui interdit de s’inscrire dans l’histoire en lui donnant un cadre politique qui lui permette de transformer en empire, en nation les peuples sur lesquels elle prétend s’exercer néanmoins (…) ; que l’organisation du monde en hégémonies concurrentes multiplie les risques de généralisation des inévitables affrontements locaux ; que les hommes ont besoin d’un cadre politique au sein duquel chacun se sente assez semblable aux autres pour que la vie sociale soit l’occasion d’une amitié dédiée à la recherche du Bien ; que le morcellement politique n’est pas nécessairement un obstacle à l’ouverture, à la collaboration, à l’échange, quand il est sublimé par l’accord sur le Juste et le Vrai, la communauté de civilisation ; qu’il peut être criminel de faire un dieu de sa patrie mais qu’on ne peut impunément en priver l’homme, sauf à l’exposer à devenir un fétu de paille balayé par les vents contraires, un toton livré aux aléas de l’histoire. »

L’effacement de la patrie

Saurons-nous écouter ces leçons à l’heure où la France, comme nation, comme fruit d’une civilisation, semble s’effacer sous l’effet d’institutions et de politique suicidaires, ne reconnaissant dans le passé que la mainmise idéologique qui fonde leur (pseudo) légitimité ?

Les principes restent, mais chaque époque suscite par une sorte de miracle le veilleur qui, dans l’obscurité d’une civilisation qui s’éteint, perçoit les causes du désastre, les analyse et rallume de ce fait la première étincelle qui peut à nouveau embraser le cours des choses : cette prise de conscience et cette compréhension, premiers pas d’une action possible. Encore faut-il prêter l’oreille et, dans le cas présent, arrêter de gémir pour lire, comprendre et réfléchir.

Avec Le Cabinet des Antiques et La Mélancolie d’Athéna, le veilleur Michel De Jaeghere nous offre beaucoup plus que deux livres indissociables, fussent-ils deux perles rares de savoir et de réflexion, servis qui plus est par une langue d’une limpidité toute française. Il livre le testament d’une civilisation et le bréviaire d’une renaissance.

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