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France : Société

Le bon soldat

Nous avions évoqué le décès du colonel Jacques Allaire, héros de Dien-Bien-Phû. Ses obsèques ont été célébrées par son petit-fils, le chanoine Alban Denis (ICRSP), mercredi 6 avril en la cathédrale Saint-Louis des Invalides.

En voici l’homélie, par oral ou écrit juste dessous :

Avant-propos

Avant toute chose, mes chers amis, au nom de toute ma famille, je voudrais remercier l’évêque aux armées, Monseigneur Antoine de Romanet, ainsi que le recteur de la cathédrale, Monsieur le chanoine Emmanuel Duché, et le gouverneur des Invalides le général Christophe de Saint-Chamas pour leur accueil, ici, à Paris, dans cette cathédrale Saint-Louis.

Je voudrais aussi saluer toutes les autorités civiles et militaires qui nous honorent de leur présence aujourd’hui.

Enfin, vous, chers amis, qui avez connu ou non mon Grand-Père et qui avez fait le déplacement pour assister à cette messe de funérailles, solennelle et grandiose, ainsi qu’aux honneurs militaires qui vont suivre, du fond du cœur, soyez bénis.

Sermon.

Au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, ainsi soit-il.

Chère Marie-Christine,

Chère tante Annick, cher oncle Jean-Marie et chère tante Catherine,

Mes chers parents,

Bien chers frères et sœur et cousins,

Mes chers amis et vous tous qui êtes ici présents,

Nous voici donc réunis dans cette impressionnante cathédrale Saint-Louis pour rendre un dernier hommage au Colonel Jacques Allaire, mon Grand-Père.

Nous voici, rassemblés, les mains jointes ou bien au garde-à-vous, pour lui adresser nos adieux, lui offrir nos prières et notre recueillement en marque de respect.

Nous voici autour de son cercueil, au cœur des Invalides, écrin de l’héroïsme français et tabernacle des traditions militaires qui ont fait notre pays hier, et dont nous sommes appelés à nous imprégner pour qu’il reste intact demain.

Ah, la bravoure française !

Godefroy de Bouillon, Du Guesclin, Sainte Jeanne d’Arc bien-sûr, Bayard, le chevalier de Charette, le général de Sonis évidemment, le Maréchal Foch, le colonel Rémy ou le lieutenant Tom Morel aussi : comme elle est stimulante, mes amis, la litanie des serviteurs de la Patrie !

Chacun d’eux nous rend fiers. Tous, ils nous donnent le goût de placer nos pas dans les leurs et offrent à nos âmes, parfois fatiguées, des ressources pour résister à la médiocrité ambiante.

Mais ce matin, ce matin mes frères, ces figures de bravoure qui assistent au balcon du Ciel aux obsèques du Colonel Jacques Allaire, ces figures interrogent notre conscience :

« Et vous ? nous disent-ils, Et vous ? Êtes-vous disposés à œuvrer comme un bon et fidèle soldat, prêts à entrer dans la joie du divin maître ? »

Mais d’ailleurs, mais d’ailleurs, avant d’aller plus loin… au fond, mes amis, qu’est-ce un « bon soldat » ?

De prime abord, un bon soldat se caractérise par l’amour indéfectible de sa Patrie qui le transporte tout entier. La terre de ses pères, il s’en sait le débiteur insolvable et se tient prêt à la défendre devant la barbarie ou la menace étrangère.

Grand-Père aimait profondément son pays. Sans emphase pour se donner des airs, mais sans faillir non plus comme peuvent le faire les mondains. Il l’aimait tant qu’il a toujours respecté que ses adversaires, vietminhs ou fellaghas, puissent défendre le leur.

Le bon soldat, c’est aussi celui qui s’évertue à maîtriser le terrain sur lequel il opère, qui cherche à acquérir une connaissance fine de son adversaire, à en déceler les limites comme les qualités.

La connaissance du terrain, le colonel Allaire l’a apprise auprès de son maître, le général Bigeard, dont il fut l’un des plus fidèles disciples, au point sans doute d’en être le préféré.

Le bon soldat enfin est un bon compagnon. La camaraderie militaire dépasse de beaucoup l’entendement du quidam. Dans les joies et les peines, dans les veilles et les souffrances, les marches nocturnes et les quartiers-libres se scellent des souvenirs uniques qui fondent des amitiés solides. Hélie de Saint-Marc observait : « Si rien n’est sacrifié, rien n’est obtenu ! ». Oui, ce sont les épreuves et les larmes qui obtiennent souvent les trésors les plus inestimables. Et il n’est pas nécessaire de le dire seulement aux enfants.

Le sens de l’amitié, s’est toujours traduit chez le colonel Allaire par une disponibilité de tous les instants à l’endroit de ses soldats. Partout, dans chaque recoin de l’hexagone, il avait un camarade à visiter, un ancien compagnon à saluer. Son guide Michelin à lui, c’était son carnet d’adresse des « anciens ». Comment d’ailleurs les portes auraient-elles pu rester closes devant son humour toujours pétillant et son charme innocent ? Il aimait ses hommes comme sa propre famille, voire peut-être même comme sa première famille…

Oui, il fut un bon soldat. Et c’est une fierté de l’avoir eu comme mari, père, grand-père, arrière-grand-père ou tout simplement comme compagnon d’arme et ami. Oui, mes frères, c’est une fierté pour chacun d’entre nous d’être ici présents.

Mais il faut le dire ce matin, à l’occasion de cette messe de funérailles, il existe un autre combat auquel nul homme ne peut échapper au risque d’endurer une éternelle défaite qui plonge l’âme « dans les ténèbres du dehors où résonnent les pleurs et les grincements de dents » (Mt 22, 13).

Cette lutte pour parvenir au Ciel, les maîtres spirituels, de saint Jean de la Croix à sainte Thérèse d’Avila, de saint Ignace de Loyola au grand Padre Pio, n’ont eu de cesse de le comparer à un combat où chaque baptisé est appelé, justement, à se comporter en « bon soldat » du Christ. « Que sert à l’homme de gagner l’univers s’il en vient à perdre son âme. » (Mc 8, 36)

En effet, pour la nature humaine blessée par le péché originel, mes frères, mener droitement son âme vers Dieu nécessite une énergie féroce. Pour faire le bien, il faut se donner souvent du mal. Hélas, hélas bon nombre de baptisés, illusionnés par la mélodie mensongère du « On ira tous au Paradis[1] » croient pouvoir s’exonérer de toute forme de combat ou d’ascèse. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir été prévenu par le Christ, par Jésus lui-même : « Celui qui veut marcher à ma suite, qu’il se renonce, qu’il porte sa croix chaque jour, et qu’il me suive » (Luc 9, 23).

Oui mes frères, la vie est un combat. Résister aux tentations et vaincre le mal réclament d’avoir en bandoulière autour de son âme des munitions essentielles, au risque d’une bérézina spirituelle, d’une capilotade de l’âme.

Amour de la patrie – Maitrise du terrain – esprit de camaraderie. Permettez-moi d’en trouver les correspondances : Amour de Dieu – Connaissance des exigences de la vie chrétienne – communion des saints.

A l’amour de la patrie fait écho l’amour inébranlable de Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit. A cœur vaillant, rien d’impossible ! Dieu est bon et la bonté de Dieu est conquérante. Et nous sommes appelés chacun d’entre nous à vivre de cette authentique charité qui rend bon, profondément bon et missionnaire pour faire le bien ici-bas.

La Foi que donne l’amour permet à l’âme enracinée dans le Christ de rester justement imperturbable malgré les offenses, les crachats, les quolibets.

Faire face aux défis de l’existence dans l’amour de Dieu, et pour l’amour du Ciel, garantit à chacune de nos journées qui s’achève des horizons au parfum de soleil d’Austerlitz.

Dans notre quête du Paradis, la maitrise du terrain se traduit par une connaissance approfondie des exigences de la vie chrétienne. Notre âme, mes chers amis, trouvera toujours avantage à mieux connaître les écueils à éviter, les remèdes à prendre et les bons coups à jouer pour gagner du terrain, jusqu’à, selon le mot de Claudel, « devenir totalement coloniser par l’Evangile ».

Et puis, enfin, entre autres choses, un chrétien ne peut oublier qu’il ne saurait mener cette lutte terrestre en solitaire. Et l’assemblée réunie ce matin peut en témoigner. En chrétienté, l’esprit de camaraderie porte un joli nom, celui de « communion des saints ».

Cette communion du monde visible et invisible, si chère à la tradition chrétienne, n’est pas autre chose qu’une solide complicité vécue avec nos amis les anges et les saints. Elle participe grandement à notre réconfort ici-bas. « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime. » (Jn 15, 13)

Voir notre prochain se sacrifier pour nous, nous transporte et nous confond. Se consumer pour son prochain donne des ailes. Ce matin, ne l’oublions pas pour les années qu’il nous reste à vivre.

Mes chers amis, tous les hommes meurent un jour, mais qui parmi eux vivent vraiment ? Qui, parmi eux, souhaitent véritablement mener ce combat intérieur ? Ce combat spirituel pour la victoire éternelle, le Ciel.

Celui de notre grand-père s’est achevée le 3 avril dernier. Le colonel Allaire a donc fini par rendre les armes à 99 ans, un petit soir de dimanche, le premier du temps liturgique de la Passion, à l’occasion de cette dernière ligne droite du carême.

Nous savons tous ici, le fait d’arme singulier qui fut le sien lors de la bataille de Dien-Bien-Phû. Alors qu’il refusait la défaite, le lieutenant Allaire réclamait une confirmation écrite d’arrêt du combat à Bruno, alias Bigeard.

A l’heure de rendre son âme à Dieu, pour la fin de son combat terrestre, Grand-Père aura eu la délicatesse de ne pas demander à Saint-Michel, Patron des paras, un ordre écrit de cessez-le-feu. Et, à vrai dire, en avait-il envie ?

Le dimanche 27 mars, affaibli et très touchant, il confiait à mon frère Tugdual : « Pardon de vous avoir cassé les pieds et pardon pour toutes mes bêtises ». Il faut savoir partir l’heure venue, et il n’est pas obligatoire de demander un bon de sortie. S’abandonner n’est pas une défaite. « En vos mains, Seigneur, je remets mon esprit ». (Lc 23, 46)

Selon le mot d’un théologien, « La vie n’est que la courte préface à un livre qui n’aura pas de dernière page[2] ».

La préface du colonel Allaire s’avère bien épaisse. Voici donc venue l’heure d’en tourner la dernière la page, avant de confier son éternité à la miséricorde de Dieu dans nos prières et les messes que nous ferons célébrer pour le repos de son âme, car le Ciel n’est jamais une chose acquise mes frères, même s’il a eu la grâce de faire une bonne mort, muni des sacrements de l’Eglise. Il faut prier pour les âmes des fidèles trépassés. Il faut prier pour nos chers défunts qui ne sont pas des absents mais qui sont nos compagnons de Route vers ce monde éternel, le Ciel.

Oui, mon Colonel, une page se tourne. Et cela à un triple titre :

Une page se tourne pour vous, d’abord. Comme d’ailleurs un jour, elle se tournera pour nous. « Je ne meurs pas, j’entre dans la Vie[3] ». Mon Colonel, devant la mort, un cercueil et une tombe, nous nous trouvons devant l’inévitable brève durée d’une vie qui, au regard de l’éternité, n’est « qu’une heure passagère, un seul jour, qui s’échappe et qui fuit[4] ».

Cher Grand-Père, une page se tourne ensuite pour votre famille.

Vous étiez le dernier de nos grands-parents qui restait.  Cette page qui se tourne nous rappelle, nous, vos enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants, l’impérieuse nécessité d’écrire à notre tour la plus noble préface au livre de notre éternité à venir. Il nous revient désormais de reprendre le flambeau. Si nous prions aujourd’hui pour le repos de votre âme mon Colonel, c’est aussi pour que vous puissiez intercéder pour nous, l’heure venue, auprès du Trône de Dieu.

Enfin, sans grandiloquence et sans chercher à vous faire rougir mon Colonel, mon cher Grand-Père, avec votre départ, c’est aussi la page d’une certaine France qui se tourne. Celle d’un pauvre garçon de ferme atteint de polio, qui devint dévoreur de livres tout en laissant traîner ses guêtres partout où la France se battait et où l’honneur obligeait. De Dien-Bien-Phû assiégé au putsch d’Alger.

Dans une dizaine de jours mes frères, nous rentrerons dans les trois jours saints sensés nous mener vers Pâques. Le fameux Triduum Pascal. Bientôt, descendra sur toute l’Eglise, une fois encore, les grâces de la formidable rédemption du Christ, scellée dans le sang de la Croix et l’éclat de la Résurrection au sortir du tombeau. Cette Rédemption nous presse, tous et chacun.

Puisse donc le colonel Allaire retrouver le plus tôt possible ses frères d’arme tombés au champ d’honneur.

Puisse Mamie retrouver bien vite Grand-Père pour, qu’à l’unisson, ils intercèdent tous deux pour nous tous ici présents.

« Toi, bon et fidèle soldat, entre dans la joie de ton Maître »

Amen.

Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Ainsi soit-il.

[1] Chanson de Michel Polnareff, 1972.

[2] Abbé Victor-Alain Berto

[3] Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus

[4] Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus « Mon chant d’aujourd’hui »

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